La Féline a signé, sur sa page Facebook personnelle, un texte magnifique sur sa relation artistique avec Christophe, disparu jeudi 16 avril à Brest. Agnès Gayraud nous a autorisé à reproduire en intégralité ces mots si justes sur la trace laissée par le chanteur sur ses auditeurs et ses amis.
J’ai du mal à écrire quelque chose ; on devait enregistrer ensemble, dans peu de temps, avant le confinement. Ah, ses textos, à eux seuls, ils étaient mythiques. Il manquait toujours des mots, mais il restait les meilleurs et les plus drôles. Il n’avait pas du tout dit au revoir artistiquement non, il en avait encore sous le coude, ému, émouvant, avec sa voix d’oiseau nostalgique.
Je me souviens d’un soir chez lui devant son majestueux Prophet, quelqu’un lui avait amené un SP404, un petit sampler d’occasion. En deux secondes, sans trop chercher à savoir comment ça fonctionnait, il avait enregistré trois notes d’harmonica traitées avec une énorme réverbe, et dans cette ambiance, je l’ai vu commencer à partir, à s’envoler dans la musique, comme un drogué se faisant un fix, mais là juste, par le pouvoir des sons qui lui parlaient et des lunettes noires en pleine nuit, il décollait.
Il était toujours curieux de ce qui se faisait, il écoutait, il comprenait, il n’était pas jaloux des plus jeunes, et il restait fidèle aux « copains » de sa génération aussi. Dans son appartement, chaque objet, chaque fétiche – juke box, piano, photographies sensuelles des années cinquante, affiches de cinéma – servait à créer cet endroit où il fusionnait avec la musique.
Il m’avait prêté quelques excellents Werner Herzog. « Merde, ‘Cristofe’, je crois que je ne t’ai pas encore rendu Les Nains aussi ont commencé petits, — il faut qu’on se capte… — Ouais… Bientôt… » Et qu’est-ce qu’il va devenir ton chauffeur de taxi? Qui attendait toute la nuit pour ramener tes visiteurs, que tu retenais parfois des heures, le temps de passer un moment? «Reste.»
Une fois même, tu m’avais fait la gueule, parce que je voulais partir un peu vite. Tu m’avais retenue une bonne partie de la nuit pour me faire la gueule. Ça remonte à quelques années tout ça. On avait échangé mais sans se revoir. T’as dû faire le coup à plein d’autres. Les retenir, les laisser s’attacher à toi.
Je le sais depuis longtemps, Christophe est peut-être le chanteur français le plus important pour moi en tant qu’artiste, l’influence la plus déterminante, et je suis loin d’être la seule dans ce cas. Il avait juste cette intelligence instinctive, ce sens des mots dans les sons, ce blues pas patrimonial, vraiment gravé dans son cœur ; cette grande culture en fait, mais qui n’altérait pas la naïveté, cette idiotie de génie.
Christophe est peut-être le chanteur français le plus important pour moi en tant qu’artiste, l’influence la plus déterminante, et je suis loin d’être la seule dans ce cas.
Agnès Gayraud, le 17 avril 2020
Je mets là cette petite vidéo d’un duo qu’on avait fait en 2013, pardon si ça fait narcissique, selfie avec les stars, avouez, je ne le fais pas souvent, sauf dans certains rêves. C’est un si heureux souvenir d’avoir chanté ensemble (en 2013) Les Paradis perdus. Sur cette version en plus, il la chante super, avec beaucoup de naturel (parfois sur le « peut-être un beau jour voudras-tu? », il faisait une grosse voix d’Yves Montand que j’ai toujours trouvée un peu affectée, mais là non, il ne surjoue même pas ce moment là, il est parfait, comme le pain de piano à 2’13).
Tes concerts aussi Christophe, comme je les aimais, en mode bateau ivre dont on était jamais sûr qu’il finirait par accoster. Je ne sais pas où cette nouvelle scandaleuse de ta mort va nous mener, je préfère ne pas y penser. Allez, on se capte… Ouais… Bientôt…
• Christophe, l’ami “beau bizarre” (sur le site de L’Obs)
• Archive Magic : la réédition de Belavicqua (2011)