Après deux albums post punk, dont l'excellent "Supermercado" en 2017, le quatuor montréalais a dévoilé "Junior" en avril sur Sub Pop. Premier disque chanté dans la langue de Marquis de Sade du mythique label américain. Dominic Berthiaume (chant/basse) et Jonathan Robert (voix/guitare/synthés) ont accepté de répondre à ce sujet.
Comment s’est fait la signature chez Sub Pop ?
Dominic Berthiaume : Au Québec, il est possible de faire subventionner un disque par l’État. Il faut présenter des démos et on en a enregistrées. Notre tourneur/manager a tenu à les envoyer à quelques personnes, parmi lesquelles quelqu’un de chez Sub Pop, qui les a écoutées et envoyées à tout le bureau. Là-bas, apparemment, le choix des artistes se fait de manière assez démocratique : il faut que toute l’équipe ait une sorte de coup de coeur. Ils sont revenus vers notre tourneur en disant : “On aime beaucoup les nouvelles chansons de Corridor. Quand est-ce qu’on peut les voir en concert ?” Un mois après, on avait un live à NY donc ils ont pris l’avion de Seattle jusqu’à New York juste pour venir nous voir.
Fallait pas se rater ce soir-là...
Dominic Berthiaume : Ce n’était pas très intimidant. Eux étaient à l’arrière de la salle, on les voyait pas et on n’avait pas vraiment d’attentes envers tout ça.
Jonathan Robert : On avait beaucoup joué cette année-là et Dominic avait aussi connu une petite déception, suite à une situation comparable dans autre groupe.
Dominic Berthiaume : C’était un peu similaire. Un gros label se disait intéressé et qu’ils allaient venir nous voir… Mais après quelques échanges de mails, on n’en a plus entendu parler… Donc pour Sub Pop on se disait : “Ils sont là, on va faire ce qu’on sait faire“. Le concert s’est bien passé et quatre ou cinq jours après, on a reçu un contrat par courriel !
Jonathan Robert : On y croyait pas trop… Le nom du label, ce logo assez mythique…
Le fait que vous soyez francophone, ça a joué ?
Dominic Berthiaume : Je ne sais pas… Mais par rapport à l’industrie dans laquelle on évolue au Québec, ça tient presque de l’exploit. Ça faisait longtemps qu’un groupe de notre trempe n’avait pas signé sur une major indie comme Sub Pop… En tout cas, C’est évident que par rapport à l’industrie de la musique francophone, les radios, les labels et autres magazines, ça a fait la surprise. Genre : “Tabarouette, Corridor vient de signer chez Sub Pop. C’est possible ça ?” Cette annonce a clairement fait tourner des têtes.
En plus, les scènes francophone et anglophone sont généralement fermées l’une à l’autre.
Jonathan Robert : Oui et non… On a fait SXSW en juin 2018. On y a rencontré Snail Mail, Shame, Crumb, trois groupes qui nous ont permis de jouer un peu partout aux États-Unis. On a pu se rendre compte qu’il y avait beaucoup de fans qui venaient pour nous. Une fois, on a vu un type avec la pochette de notre précédent album, Supermercado, tatouée sur le mollet. En concert, il y avait du crowdsurfing, les gens connaissaient nos morceaux, même s’ils ne savaient pas chanter les paroles. Mais bon, nous on s’en fout… Nos chansons ne contiennent pas de slogan ! Tout ça était assez fantastique. Parce que même si au Québec, à l’extérieur de Montréal, on n’est pas capables de se caler dans les plus gros festivals, c’est tout aussi cool de défricher et de faire des tournées aux États-Unis et en Europe… Ça ne sert à rien de forcer le truc : on va là où l’on sent qu’il y a de l’intérêt.
Vous avez un style anglo-saxon mais vous chantez en français. Vous le portez comme un étendard ?
Jonathan Robert : Il n’y a rien de politique derrière tout ça. En commençant le groupe, on a eu une révélation : l’écriture en français, c’est naturelle, facile, et on se plait comme ça ! Chanter “The flower, the…” (il surjoue l’accent français, ndlr) et remercier le public en français, c’est quoi ça ? Chez nous la voix est un instrument. Ce n’est pas de la chanson française…
Dominic Berthiaume : On ne fait pas du rock français, on fait du rock EN français (rires).
C’est en effet très rock, très puissant.
Jonathan Robert : Je m’attendais à ce que l’album soit plus nuancé… Mais ça a été tellement direct, immédiat comme enregistrement, qu’il n’y a pas eu de retour en arrière. On s’était laissé du temps pour Supermercado, environ dix mois du début de l’enregistrement jusqu’au master… Contre l’équivalent d’un mois dans le cas de Junior, aujourd’hui.
Dominic Berthiaume : Plus je le réécoute, plus j’ai l’impression que tout est plus fort qu’avant.
Ce que vous aimez, c’est le côté immédiat, brut…
Dominic Berthiaume : Je pense qu’on a tous des avis différents à ce sujet, mais pour moi, c’est clairement ça. Ce que je préfère dans ma vie de musicien, c’est de faire des concerts. Il n’y a rien de plus spontané. Aller en studio et jouer vingt-huit fois la même chanson, à un moment, c’est ennuyeux. C’est bon aussi d’avoir ces intérêts différents dans le groupe. Joe, lui, aime être un studio et penser à ses trucs, les jouer, les rejouer… Moi non. Pour cet album, on n’a pas vraiment eu le choix, à cause du timing qu’on s’était donné. On voulait que l’album sorte cet automne, donc que les masters soient prêts en mai.
Jonathan Robert : On savait que c’était dangereux mais on voulait essayer cela depuis un moment, ne pas trop se laisser le temps de réfléchir, ne pas revenir en arrière. C’était très intense et difficile mais je suis vraiment content d’avoir tenté ça. C’est sûr, c’est extrêmement frustrant, éprouvant. On a entrecoupé le passage en studio d’une tournée de deux semaines, puis après avoir fini d’enregistrer, on est reparti trois semaines en Europe. Ça a été hyper intense mais avec du recul, je suis satisfait que ça se soit fait comme ça. Ça capture vraiment un moment.
Dominic Berthiaume : Pour moi, ça a été moins dur que pour Jonathan, c’est sûr. Peut-être que dans deux ans je me dirais : “Cette chanson-là, on aurait pu la changer.” Mais pour l’instant…
Jonathan Robert : Et puis, c’est comme ça que sont nés quelques classiques dans l’histoire de la musique. Il y avait un côté assez punk…
Vous poussez votre son encore plus loin… Quand vous êtes-vous dit que vous aviez trouvé le vôtre.
Dominic Berthiaume : C’est Retour au Bercail 3D, dernier morceau de Voyage Eternel (leur premier album, paru en mai 2015, NDLR). Une fois que l’album est sorti, qu’on a joué les chansons en live, qu’on réécoutait l’album… On trouvait collectivement que ce morceau était très répétitif et hypnotique avec différentes couches qui se superposent. On s’est servi de ça comme point de départ pour Supermercado et Junior. Mais le son sera différent à chaque album : aujourd’hui on tente un truc plus hi-gi, mais qui sait si on ne retournera pas à un truc plus lo-fi. On continue à aimer ces guitares en question-réponse, et on pousse le truc plus loin à chaque fois…
Jonathan Robert : Pour notre son, on va faire le ménage, prendre ce qui est le mieux, l’amplifier et le faire durer longtemps.
Propos recueillis par Nicholas Angle