Flavien Berger : “J’essaie toujours de faire des choses un peu “méta” sur la musique”

Avec Contre-Temps, Flavien Berger dévoile un deuxième album plus délicat et plus concret, mais toujours animé par des concepts, hérités du monde de l’art. Au programme aujourd’hui, le voyage dans le temps…

Nous l’affirmions dans notre numéro 211, le concept album a fait sa rentrée en septembre 2018. À proprement parler, Contre-Temps n’en est pas strictement un. Mais il a été pensé autour d’un sujet précis qui a dicté les nuances audibles de cet excellent deuxième album de Flavien Berger qui paraît aujourd’hui. “Au départ, je voulais m’exprimer sur le voyage dans le temps. Puis c’est devenu un disque sur le moment présent, le refus de l’écoulement du temps”, explique ce trentenaire, lors de notre rencontre, début mois septembre, à Paris. L’inspiration initiale provient d’un mémoire universitaire sur cette thématique, basé sur Geochronmechane : The Time Machine From the Earth, un tableau de l’Américain Paul Laffoley, écrit lorsqu’il était à L’École nationale supérieure de création industrielle (Ensci).

Son premier album, Leviathan, a été chaudement accueilli par la critique. “Je parlais de la rencontre du Léviathan, qui en fait était la musique en soi…, décrit ce chevelu. Ce grand monstre tentaculaire qu’on ne voit pas, mais qui est partout, qui accompagne l’histoire de l’humanité.” Un disque qui s’achevait sur un titre éponyme dont le couplet deux fois scandé commençait par ces mots “voyage dans le temps”. “Tout est prévu, et parfois même, tempère le trentenaire, ça l’est de manière inconsciente”. Normal, alors, de retrouver ces indices qui signent une filiation entre ses ouvrages. 999999999 (de son nouvel album), s’achève comme le début du morceau 88888888 (du précédent). Tout comme la fin de ce dernier est le commencement de 7777777 tiré de son album Contrebande, album gratuit sorti aussi en 2015. Drôle de lien antéchronologique, comme pour cultiver un certain mystère.

D’abord parti à la rencontre des terres inconnues des abysses du Léviathan, l’ancien professeur des Ateliers de Sèvres, une classe préparatoire aux école d’arts, s’élance vers une autre dimension. Celle du temps. Ces voyages dans des zones à découvrir, “ça me permet de raconter une histoire qui est la mienne, une histoire qui m’appartient”, et aussi “de parler d’une autre manière de la musique. La durée d’un morceau, la durée d’un album, c’est son ADN. C’est une manière de rentrer dans la spirale de la matière de la musique…” Visage rond et yeux rougis, il poursuit : “J’essaie toujours de faire des choses un peu méta sur la musique.” Pour répondre à un besoin d’innover ?  J’aimerais bien être novateur, mais je ne cherche pas absolument l’innovation, car ça peut être un faux combat.

Contre-Temps ne parle pas de voyage dans le temps, mais tente d’en être un. Aucun des morceaux n’échappe à cette ambition. Intersaison, évoque la halte, “un moment suspendu”. Hyper Horloge, désigne le grand déroulement des choses, le temps cosmique. Deadline, “c’est ce qu’il y a après la mort, après la ligne du temps”. Contre Temps, “se love dans le temps en grande proximité, tout proche, en calin presque”. Rétroglyphe, comme Medieval Wormhole, est une histoire de trou de verre, qui précise “comment en pliant deux dimensions, on peut faire des percées conceptuelles à la fois dans l’univers et dans la matière.” Pour ne citer que ces morceaux-là…

“J’adore avoir des sujets avant de commencer un disque, ça me permet d’être curieux par rapport au monde”

En solo, Flavien Berger n’est jamais bien loin des concepts qui ont parsemé son passé. A plusieurs, c’est aussi le cas. Ses activités musicales, dans le collectif Sin monté avec des membres de sa promo de l’Ensci, portent aussi la trace de ce background arty, comme leur dream machines  déployées encore récemment à la Philharmonie de Paris.” Pour autant, il insiste. “Ce que je fais pour le collectif Sin appartient au collectif Sin, ce que je fais pour moi m’appartient ; mais les deux s’alimentent, puisque j’ai les mêmes outils, le même cerveau, les mêmes oreilles. Il y a toujours un peu de collectif Sin dans ma musique.” Quand il participe, avec La Comète, à un projet à l’Opéra Bastille, il s’agit de “méta-cinéma” (sic) : un  film tourné et réalisé en direct, “les procédés du théâtre mélangés à ceux du cinéma, mélangés à ceux du streaming”. Et quand il décide de la cohérence esthétique de Léviathan avec le réalisateur Robin Lachenal, c’est sous l’égide d’un dogme. Rien de moins.

Car pour ses albums, Flavien Berger exige la cohérence des oeuvres du cinéma ou des expositions, avec toute la recherche préalable requise : avec un très important travail de corpus. “C’est comme préparer un film, tu cherches un lieu où tourner, tu rencontres des gens avec qui tu vas aimer tourner… Il y a plein de choses que tu n’entends pas dans le disque, mais qui servent à sa préparation, décrit-il. J’adore avoir des sujets avant de commencer un disque, ça me permet d’être curieux par rapport au monde, de lire des bouquins, de voir des films, d’acheter des disques sur ce thème. Ça vient complètement de ma culture de projet, où pendant un temps donné, quand tu as un travail à faire, tu alimentes ce travail de la culture qui t’entoure. C’est comme ça que j’avance dans la vie.

Contre-Temps s’inscrit dans la continuité de Léviathan, les procédés sont les mêmes : une énorme partie du travail est réalisée par Flavien en solitaire. “Mais maintenant j’ai invité des gens à chanter, plus de musiciens à jouer, à droite à gauche… “ Et le temps dont il a disposé a été beaucoup plus long. “On met toute sa vie dans son premier album, mais un an à faire le deuxième. Là, j’ai tout fait en un an et demi. Donc j’ai eu beaucoup de temps pour produire. Du coup, encore aujourd’hui,  je découvre les morceaux.“ Maintenant, c’est à votre tour de découvrir un des albums français les plus passionnants de cette rentrée.

Benjamin Pietrapiana

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