A l’occasion de la sortie de Weather Diaries, le nouvel album de Ride, retour en vidéos sur l’histoire du Shoegaze, ce courant musical qui a fait la gloire des guitares distordues et des têtes tournées vers les pieds.
Par Étienne Greib
Le terme shoegaze vient d’une pique de journaliste constatant, à la fin des années 80, que les groupes de l’époque regardaient davantage l’étrange ballet opéré par leurs pieds sur leurs pédales d’effets que leur public.
A quiconque souhaite découvrir les ambassadeurs de ce courant, il y a d’abord les incontournables de ce courant musical : My Bloody Valentine, Ride, Slowdive…
Et puis il y a les autres, ceux de l’époque dont l’histoire a vaguement retenu les qualités, comme Swervedriver ou Lush.
Ou encore ceux que l’histoire a préféré jeter, souvent à raison, aux oubliettes (Chapterhouse, Catherine Wheel, Adorable).
Et puis, enfin et surtout, il y a ceux qu’il faut en toute subjectivité redécouvrir.
Les racines
Plus qu’un véritable mouvement, le shoegaze est d’abord une affaire de traitement du son des guitares. Les grands stylistes de la new wave ont désenclavé l’usage de l’instrument en favorisant chorus, écho, flangler, delay et autres trémolos : ils peuvent donc être mentionnés comme les inventeurs du genre. De John Mc Geoch (Siouxsie, PIL, Magazine) à Keith Levene (PIL) en passant par Vini Reilly (The Durutti Column), et sans oublier la figure tutélaire de Robert Smith (The Cure, Siouxsie), on a donc fini par arriver à Robin Guthrie dont les frondaisons brumeuses au sein des Cocteau Twins ont établi les véritables fondamentaux de la scène shoegaze.
Un lien doit aussi être fait entre le shoegaze et la figure incontournable Brian Eno, ou encore Robert Fripp qui avec ses recherches sur les bandes et les boucles sous le nom de Frippertronics n’en était déjà pas si loin.
La distorsion est parfois déjà présente (Pornography -1982 de Cure reste de fait, un album pré-shoegaze de référence) mais elle viendra d’ailleurs pour My Bloody Valentine ou The Jesus And Mary Chain : de l’influence fondamentale de l’usage de la fuzz et de la réverbération chez The Cramps (Poison Ivy et Bryan Gregory), puis du travail de sape au même niveau de Rowland S Howard chez The Birthday Party.
Pour Kevin Shields, c’est d’Amérique que vient la lumière, lorsque qu’un certain Bob Mould au sein d’Hüsker Dü élargit le seuil de résistance du hardcore en couplant distorsion, delay et chorus. L’Irlandais n’a alors plus qu’à déconstruire cette chape de plomb à coup de réverbération inversée et un usage unique du vibrato de sa Fender Jazzmaster (arme de prédilection chez Sonic Youth et Dinosaur JR, dont on ne peut pas ne pas faire mention) pour armer le déclencheur. Alors, coupler les brumes arty de la new wave à la distorsion au napalm de Jesus And Mary Chain, n’aura été qu’un simple raccourci avant l’offensive. Sans même parler de ferveur dans la répétition, c’est à dire sans jamais omettre l’apport biblique et essentiel des Spacemen 3, voire de Galaxie 500.
https://www.youtube.com/watch?v=eP_MG3kaogU
Les molécules oubliées
Difficile d’oublier les phénoménaux Pale Saints, qui en dépit d’un succès d’estime dans notre pays ne dépassa pas ses promesses. En mariant la vélocité pop de Mc Carthy, la puissance mélodique de New Order et les salves bruyantes de Jesus And Mary Chain, le groupe signe le chef d’œuvre oublié de l’époque The Comfort Of Madness (1990) avant de passer à des textures plus feutrées sur In Ribbons (1992).
https://www.youtube.com/watch?v=RyD9V34AApc&list=PLqmsbP2u9Jz4huy7PrUSe8mDHjMQmEON1
De prime abord, on associe souvent les Liverpuldiens Boo Radleys à leur succès massif de l’ère Britpop. Mais la manière dont le groupe transcenda ses influences (de Dinosaur Jr à Love en passant par le dub) sur Everything’s Allright Forever (1992) puis le bien nommé Giant Steps (1993) figurent parmi les plus belles réussites de l’époque.
On trouvera aussi des oubliés dans le giron de Sarah Records avec Eternal, dont l’unique single Breathe (1990) fait figure de pépite ultime et dont le guitariste Christian Savill ne tardera d’ailleurs pas à rejoindre les rangs de Slowdive.
Sans oublier Secret Shine qui avec Untouched (1993) puis Greater Than God (1994) donnera sa propre version du genre.
De l’autre côté de l’Atlantique, les trépidants Swirlies (Blonder Tongue Audio Baton-1993) font la jonction entre My Bloody Valentine et la vague Lo-Fi et même en France ou l’entité underground KG (bientôt réédité chez Captured Tracks) influencera jusqu’à M83.
Une dernière pensée pour Moose, marotte indestructible de Magic, qui avant de devenir le groupe respectable que l’on sait, s’affilia momentanément au mouvement pour ses premiers maxis réunis sur la compilation Sonny & Sam (1991).
Les héritiers
Actualité oblige, la réédition récente du Texas Jerusalem Crossroads (2001) de Lift To Experience ne sera pas passée sous silence, car s’il faut admettre un véritable chef d’oeuvre post-Shoegaze c’est bien de cette somme qu’il faut parler (cf numéro 203 de Magic).
Du même état les expérimentations minimalistes de Stars Of The Lid (The Tired Sounds of…-2001) valent aussi le détour.
En Angleterre, une fois le soufflé retombé on ira chercher du côté de l’autre scène de Bristol (Third Eye Foundation, Movietone, Flying Saucer Attack, Crescent) une véritable descendance, avant de tomber sur les incontournables Mogwai, dont le gout immodéré pour l’assaut sonique et les effets en boucle(s) perpétuèrent largement le genre même si certains préférèrent les affubler d’un terme qui trouve aussi (AR Kane, Moonshake, Main, Bark Psychosis, Disco Inferno, Hood) une partie de ses racines dans le terreau d’Albion, le post-rock.
De nos jours le Shoegaze est mis à toute les sauces (Chill-wave, Nu-gaze, Dreampop) dès qu’un groupe met un peu plus de bruit ou de vide que la normale dans sa potion (A Place To Bury Strangers, Crocodiles, M83, Temples, DIIV, Beach House, Team Ghost, Toy). Il n’en reste pas moins le bourdonnement plus ou moins avisé d’une continuation psychédélique notable.