Luis Vasquez, l’homme de The Soft Moon, a fait de son projet musical l’occasion de cheminer vers ses vérités les plus profondes. Avec Criminal, son quatrième album à paraître sur Sacred Bones Records, il flirte aujourd’hui avec la dark wave et les sons industriels. Un album anxiogène et introspectif sur lequel il se met à nu, comme jamais auparavant.
Criminal est ton oeuvre musicalement la plus originale et sur laquelle tu abordes les thématiques les plus intimes. Peut-on en conclure que c’est aussi ton album le plus personnel ?
Oui et de loin ! Je pense qu’après avoir écrit Deeper (son 3e album, sorti en 2015, NDLR), je suis tombé accroc au processus d’aller toujours au plus profond de moi. En continuant dans cette direction sur ce nouvel album, j’ai pu être plus honnête encore. C’est pour cette raison qu’il y a plus de colère et que je lâche tout. Et avec ma tête, pour la première fois, en cover de l’album, on sait de qui je parle, il n’y a pas de malentendu.
Qu’as-tu trouvé “au plus profond” de toi ? Un “criminel” ?
Oui. Ayant grandi dans une culture catholique, j’ai toujours ressenti le poids de la culpabilité. Ce sentiment était important dans ma jeunesse et l’est encore aujourd’hui, quoi que je fasse. Cet album est à la fois le reflet de cela et une tentative de me débarrasser de ce ressenti. C’était aussi le moment approprié de ma vie et de ma carrière pour que je blâme les autres. Évoquer l’absence de mon père a probablement été l’une des choses les plus difficiles à faire. Car je n’en parle jamais, pas même avec mes amis… It Kills relate mon impossibilité à m’échapper des cercles vicieux : à chaque fois que j’essaie de devenir quelqu’un de meilleur, je finis par reproduire les mêmes erreurs. Give Something, le troisième morceau, est ma première chanson d’amour… Enfin, une chanson sur l’amour au sujet de mon incapacité à y répondre… Criminal, c’est la culpabilité et toute la haine que j’ai de moi-même.
Cet album est donc le prolongement du précédent, Deeper.
Je dirais plutôt que la formule reste la même. Mais cette fois, j’y suis allé plus fort et de manière plus agressive, notamment dans les sons et la production. Mais j’utilise toujours le même équipement. Beaucoup de guitares et de pédales d’effet pour créer un mélange d’électronique et de rock, de sons distordus et d’ambient…
Tu sembles paradoxalement plus confiant. Cela peut s’entendre notamment au niveau du chant, plus en “avant” et moins pris dans les différentes couches du mix.
Au départ, j’étais effrayé par ma voix. Mais plus j’évolue, plus je deviens capable de mettre des mots sur mes sentiments, ce qu’auparavant je ne parvenais pas à faire. Aujourd’hui, je comprends mieux ce que je ressens, donc je me permets de mettre mes paroles en avant. Je suis fier de mes textes et je veux qu’ils se fassent entendre. Je suis plus précis alors que j’étais bien plus métaphorique. Probablement, est-ce parce que je vieillis et que je gagne en confiance. Avant, ma démarche était totalement expérimentale, ce qui est formidable, mais maintenant, j’ai plus de contrôle et je suis plus structuré. Mais je suis aussi un fan de pop, j’apprécie cette forme d’écriture et ces productions où la voix est proéminente. Sur Criminal, je retrouve un peu de ce que j’aime chez des artistes comme Michael Jackson ou Prince, que je cite souvent.
Aujourd’hui, peut-on dire que tu écris des chansons plus que de “simples” morceaux de musique ?
C’est vrai pour certaines… Je considère le morceau éponyme Criminal, comme une chanson à part entière. Mais d’autres, comme Ill, n’en sont pas vraiment et restent des morceaux de musique expérimentale et électronique. Et malgré cette distinction, mon processus créatif reste le même. Je procède exactement comme je le faisais pour le premier album, je le fais juste mieux. Mais j’ai encore peur d’écrire de la musique et de ce que je pourrais en apprendre sur moi, car le processus reste émotionnel, et ça, ça n’a pas changé depuis le début.
Que s’est-il passé dans ta vie pour que tu opères une telle mue de vérité sur cet album ?
Aujourd’hui, je vis à Berlin. Une ville complètement folle, très libre et où personne ne dort vraiment. Là-bas, c’est dur d’être une bonne personne. (Rires). Ça se ressent dans le son et le concept de l’album : j’ai réalisé quel point je peux être une “mauvaise personne”. Souvent, je me demande ‘comment j’ai pu faire ça hier soir ?’ Avec Criminal, j’ai compris tout un tas de choses sur moi.
Entretien : Benjamin Petrapiana
Photos : Julien Bourgeois