Trois ans après "Light Upon The Lake", Whitney revient avec "Forever Turned Around", opus de country-soul lumineuse dont le maître-mot est l’amitié.
Le guitariste Max Kakacek et le chanteur Julien Ehrlich, têtes pensantes de Whitney, sept membres au total, sont apaisés. Détendus, à tel point que Julien “ne s’est pas lavé depuis deux jours”. Un état d’esprit assez nouveau pour eux. Cinq ans après la fin prématurée de Smith Western, l’un des groupes phares de la scène indie-rock de Chicago du début des années 2010, mais surtout trois ans après la sortie de leur premier album, Light Upon The Lake (porté par le fantastique single No Woman), les deux comparses reviennent avec Forever Turned Around, second volume tout aussi radieux que le précédent, dont le titre résonne particulièrement pour eux.
“Forever Turned Around, c’est pour nous une façon de regarder l’infinité de possibilités que t’offre l’existence. Quand tu es enfant, tu te rêves en MVP des finales NBA ou en président des États-Unis. Tout le monde te dit que c’est possible… Et quand tu te réveilles à 27 ans, avec le sentiment que tout est passé trop vite, tu es en sous-vêtements dans ton lit, en train d’écrire des chansons et tu réalises que tu ne seras jamais basketteur en NBA”, expliquent de concert Julien Ehlrich et Max Kakacek.
“Même si notre musique paraît un peu triste, elle rend heureux parce qu’on se rend compte en l’écoutant qu’on est pas tout seul dans cette galère.” L’élaboration de cet opus, justement, en a été une, de galère. Les premières ébauches d’écriture eurent lieu lors d’une semaine off au Portugal, pendant la tournée triomphale de Light Upon The Lake, qui s’est étalée sur près de trois ans. “On voulait commencer à travailler dessus juste après la sortie de notre premier disque, mais réfléchir à tout ça quand tu es coincé dans un van, c’est mission quasi-impossible. En tournée, et les mois qui suivent, tu ne te sens pas assez humain pour écrire de la musique. Nos cerveaux étaient cassés. On a préféré attendre le bon moment pour composer.”
Avec pour objectif de jouer dans des salles plus importantes, comme le Trabendo à Paris, où ils seront le 21 novembre. “On ne recherche pas du tout la célébrité, j’ai même encore du mal avec les sessions d’interviews et de shooting, raconte Max, mais on veut juste pouvoir faire des concerts un peu plus évolués, devant un peu plus de monde et avec un peu plus de moyens.”
Avec Forever Turned Around, Whitney a aussi affiché l’ambition de se dépasser coûte que coûte. Quitte à passer des journées entières à criser sur un refrain, comme ce fut le cas pour Friend Of Mine. “On est resté un mois bloqué sur cette chanson, confesse Julien. Je me revois passer mon temps à crier “fuck !” dans ma chambre en déchirant mes brouillons, jusqu’à ce que le refrain arrive de nulle part.” La raison est simple : une recherche de satisfaction personnelle qu’ils espèrent transmettre à leur public. “On en attend beaucoup de nous et ça nous force à toujours essayer de nous impressionner, explique Max. Et quand tu y arrives, tu flottes dans un nuage de bonheur pendant une semaine. C’est la meilleure sensation au monde.” Des idées partagées par Julien, qui “avait l’air d’un idiot souriant pendant un mois après avoir terminé Light Upon The Lake”.
Les interrogations de Whitney
Le résultat est à la hauteur de leurs aspirations. Car Forever Turned Around est un disque splendide, où le falsetto aussi ému qu’émouvant de Julien Ehrlich est mis en valeur par de subtils arrangements de cordes et de cuivres. Il donne une folle envie de se perdre dans les étendues champêtres du Midwest, pour apercevoir le soleil entre les branches des conifères et tremper les pieds dans le Saint-Laurent. Cette pépite d’or est un témoignage précieux des interrogations existentielles qui traversent encore les pensées de Max et Julien, dans des textes rédigés avec le même ascétisme que les mélodies.
“On a écrit nos premières chansons pour Whitney quand ça commençait à mal se passer dans Smith Western. C’était une période assez flippante, et je pense qu’on a toujours gardé ce côté un peu angoissé par le changement dans notre écriture. Comme ça, on met des mots sur nos peurs et on les affronte un peu plus facilement. La musique a toujours été quelque chose qui éloigne des problèmes pendant 3 minutes 30”, sourit Julien Ehrlich. Les changements dont parlent les deux gaillards sont autant des changements dans leurs situations amoureuses respectives, dans leurs vies, autrefois paisibles mais aujourd’hui rythmées par les enregistrements, les promos et les tournées, que ceux induits aux États-Unis par la présidence de Donald Trump, personnage dont ils refusent cependant de parler ouvertement. “Tu n’écoutes pas de la musique pour qu’elle te rappelle ce que tu détestes le plus”, justifie Julien.
Forever Turned Around peut aussi s’entendre comme une formidable déclaration d’amour et d’amitié, deux sentiments tout aussi importants pour les sept membres de Whitney. “Si tu n’aimes pas les gens avec qui tu fais de la musique, cingle Julien, ça sonnera sans doute comme de la merde.” Mais l’amitié ne sert pas qu’à composer des mélopées champêtres, c’est aussi le carburant de l’équilibre de la vie, un matelas amortissant les chutes lorsque les temps sont plus durs et une façon de garder sa stabilité quand des changements surviennent. “Dans nos relations amoureuses respectives, on a appris à devenir amis avec ceux qui partagent nos vies. C’est la meilleure chose possible, tu te prends moins la tête, même quand tu laves les chaussettes de l’autre”, éclaircit Max, espiègle.
L’album fut enregistré dans le studio chicagoan de leur ami Zyad Asrar, personne la plus qualifiée à leurs yeux pour donner au disque des airs de pureté. “On ne s’imagine pas enregistrer autre part ou avec quelqu’un d’autre. Il fait partie de la famille maintenant, c’est une présence rassurante pour nous ! À la fin de Smith Westerns, on a vécu avec lui pendant un an, on sait qu’on y sera toujours bien.”
Mais pour préserver l’intégrité de cette belle aventure, Julien, Max et les autres membres de Whitney savent qu’il leur faut se préparer à accepter les critiques pour progresser. “Ce qui a causé la fin de Smith Western, en plus d’un manque de communication entre les gars, c’est que certains d’entre nous laissaient leur ego dicter leurs décisions et étaient outrés à la moindre remarque. Si tu veux faire de la bonne musique, tu dois comprendre que tu n’es pas parfait et te remettre souvent en question”, éclaire Max Kakacek. Leur petit truc en plus ? “On prend la musique au sérieux, bien sûr. Mais se prendre au sérieux, ce n’est vraiment pas pour nous !”
Retrouvez la chronique de Forever Turned Around dans le Magic n°216