Xavier Boyer nous dévoile quelques secrets de réalisation de son dernier album solo, Some/Any/New. Il est la tête d’affiche de la soirée Folk Explosion, programmée ce mercredi 6 décembre au Point-Ephémère (Paris) avec Barbe Bleue et Julien Pras.
Musicalement parlant, ton dernier album Some/Any/New est un peu plus proche de Tahiti 80 que d’Axe Riverboy (son précédent projet solo). Est-ce que c’est un juste milieu entre tous ces projets ?
C’est une période où j’ai écrit beaucoup de morceaux. Beaucoup auraient pu finir sur l’album solo et on les a jouées tous ensemble. Il a été est fait en réaction à Tutu Tango, mon premier album solo, qui était boisé, un peu plus innocent, naïf et plus direct, car plus folk. Je pense qu’on fait toujours les albums en réaction au précédent. Ce disque a un peu plus de substance, est un peu plus dark, aussi bien dans les textes que dans le son. Le plus important, c’est qu’on fasse le focus sur la voix, la composition, que les arrangements à côté ne viennent pas détourner l’attention de la mélodie. Quand t’es en groupe, au contraire, tu vas chercher ça. Tu as un guitariste, un bassiste et on va chercher l’interaction entre ces éléments-là. C’est ça un son de groupe.
Cette fois, tu as choisi de t’appeler Xavier Boyer et pas Axe Riverboy. Pourquoi ?
Dès le premier album, j’ai toujours voulu que m’appeler Xavier Boyer parce que c’était mon album solo, et que je ne voyais pas pourquoi ça s’appellerait autrement. Mais ma maison de disques de l’époque et mon tourneur m’ont dit “Non, Xavier Boyer, ça fera trop variété française, les gens vont croire que tu fais un album en français“. J’ai donc un peu réfléchi à une alternative. J’avais déjà joué avec des anagrammes, sur certains titres et là, j’ai trouvé ce nom, “Axe Riverboy”, une réinvention de mon nom. Le côté anagramme créait un décalage intéressant.
Sur ce disque, j’ai essayé de partir sur d’autres anagrammes. Je n’ai pas voulu l’appeler Axe Riverboy parce que je trouvais que, musicalement, ça a avait un peu changé. Les noms que j’avais, je ne m’y reconnaissais pas. Je me suis dit qu’il était temps que je dépasse ce que la maison de disques m’avait dit à l’époque. Aujourd’hui, je trouve qu’on a un rapport un peu décomplexé avec les noms, tout le monde peut s’appeler comme il veut. Maintenant, moi, j’assume ça.
C’est quelque chose d’assez rassurant de se cacher derrière un autre nom, parce que tu ne prends pas les critiques. Ça fera bizarre, maintenant.
Dans ce numéro 207 de Magic, on croit à la langue française en tant que langue pop. Mais toi, tu chantes en anglais. As-tu déjà envisagé de changer de langue ?
Je n’ai jamais envisagé de passer en français. Je pense que j’aurais une voix différente. Ce n’est pas que j’ai jamais chanté en français, j’ai par exemple co-réalisé l’album de Mehdi Zannad en français. Je l’avais encouragé à chanter en français, parce que je trouvais qu’il avait quelque chose. Ses chansons avaient une autre dimension instrumentale dedans. Elles étaient peut-être moins basées sur ce côté anglo-saxon de la mélodie. J’y ai fait les harmonies vocales en français, mais je ne suis pas allé plus loin que ça.
L’anglais, c’est quand même une langue avec des accents toniques, où très peu de mots peuvent signifier beaucoup. Avec Tahiti 80, on a toujours eu le souci musical de mélanger nos influences indie un peu blanches et la musique noire, Sly Stone, la Motown, Marvin Gaye… La langue anglaise est vraiment adaptée pour “swinguer”, “groover”, il y a quelque chose qui se fait naturellement.
Souvent, les ingénieurs du son vont parler du français en opposition à l’anglais. Dans les fréquences de voix, l’anglais va sonner plus fort au même niveau, parce que les fréquences de voix ne sont pas les mêmes. Le français, si tu veux le mixer – on parle de ce mix de variété -, tu mets la musique bas et la voix plus haute. Il y a des gens qui arrivent quand même à contourner ça. Les paroles françaises ont quand même besoin d’être intelligibles et il faut les mettre plus fort que les paroles anglaises.
Tout cela oblige à avoir un texte assez écrit. Il y a une culture de la littérature française… Noir Désir, et autres, qui se revendiquaient de Baudelaire, de Rimbaud… Une certaine poésie un peu classique a influencé les racines de la chanson française.
Pourquoi avoir choisi l’anglais avec Tahiti 80 ?
Être français et faire de la musique en anglais donnait une liberté que les Anglais ou les Américains n’avaient pas forcément à l’époque. Il y a toujours eu une scène anglaise, une scène américaine… Alors que nous, finalement, on pouvait un peu piocher dans toutes ces influences. Les groupes de Glasgow, les Primal Scream, les Teenage Fan Club, les Cardigans… Ou en Belgique, des groupes allemands… : on prenait toutes ces influences, auxquelles on rajoutait toute cette musique noire, brésilienne. Mais on faisait tout ça avec une sensibilité de français, parce que, même si on n’utilise pas la langue, on a grandi en France, on a une certaine façon de penser, on n’a pas le même mode de pensée qu’un Américain. Les Américains ont un mode de pensée en entonnoir : avoir toutes les idées, les cocher, et le résultat final sera ce qui aura validé tous les tests. En France on est un peu plus spontanés sur ce genre de choses.
Et les références françaises ?
Dans la chanson française, il y a quand même des choses très mauvaises qui ont pourri mon adolescence et ma jeunesse. Il n’y avait pas quelque chose de très sexy. C’est pour ça que le revival du chant en français me laisse un peu dubitatif. L’excès du chant en français aujourd’hui, je pourrais presque le comparer à l’excès du chant en anglais il y a cinq, dix ans où tout le monde se mettait à chanter en anglais parce que c’était la mode, parce qu’on disait que c’était comme ça qu’on allait vendre des disques. J’ai l’impression que parfois ça peut devenir une posture.
Je n’avais pas énormément de modèles, sinon des gens élégants. Il n’y a que des noms connus qui me viennent en tête, des gens comme Souchon et Voulzy qui ont réussi à faire des choses jolies. J’aimais bien Les Innocents, c’était une certaine façon de faire sonner la langue. Mais ça me parlait moins que d’écouter les Smiths… Il y a souvent une façon de mettre la voix en français, il y a un aspect musical qui est un peu mis de côté. Je pense quand même que les mots et les sonorités doivent s’adapter à la musicalité de la chanson et pas trop l’inverse. En anglais, on pouvait plus facilement faire ça.
Interview : Pamela Rougerie
Photo : Julia Borel