Dans le numéro 211 de Magic, en 2018, la rédaction avait retenu dix longs métrages directement inspirés de la biographie de pop stars, comme exemplaires de la façon dont la musique nourrit le cinéma. À l'occasion de ces longues et calmes soirées confinées et des premières images de "Stardust", prochain film consacré à David Bowie, voilà une liste à explorer.
Love & Mercy
Le génie torturé de Brian Wilson
Ce qu’on voit
Le film narre l’itinéraire du leader des Beach Boys, Brian Wilson, en alternant ses tourments de créateur au sommet à la fin des années 1960 puis la détresse de l’homme quand il refait surface à la fin des années 1980. Paul Dano et John Cusak font rejaillir les fragilités du génie avec un remarquable jeu d’acteur – la ressemblance physique de Dano crée même une confusion sidérante. De cette souffrance rentrée émergent par miracle «amour et pardon» (Love & Mercy).
Ce qu’on apprend
Le film prétend prendre peu de distance avec la biographie de Brian Wilson. Il permet de faire plus ample connaissance avec le ombres envahissantes qui ont étouffé son existence, le père violent et musicien raté Murry Wilson et le psychiatre Eugene Landy, manipulateur condamné par la justice.
La direction musicale
Les classiques des Beach Boys en V.O., en son et en images. Plaisir permanent et voyage dans le temps garanti.
Incontournable
La reconstitution des sessions d’enregistrement, notamment de Pet Sounds, d’un réalisme peu égalable.
Discutable
Le scénario a été autorisé par le couple Wilson et fait de Melinda Ledbetter, son épouse, une héroïne hollywoodienne assez caricaturale.
Last Days
Les dernières heures de Kurt Cobain
Ce qu’on voit
Fidèle conteur des marges de la société américaine (My Own Private Idaho, Elephant), Gus Van Sant nous offre ici une méditation poétique noire sur ce qu’ont pu être les dernières heures de Kurt Cobain, l’antihéros des nineties. Dans un silence de mort et une noirceur apocalyptique, on suit les errances de Blake, un punk-rockeur au bout du rouleau qui, en pyjama, n’a même plus la force de se servir des céréales. Happé par cette atmosphère macabre et étouffante, le spectateur suit la longue et lente descente aux enfers finale d’un Cobain de fiction interprété par un Michael Pitt au sommet. Jusqu’à la mort.
Ce qu’on apprend
Pas vraiment adepte de polémiques et de théories du complot stériles, Gus Van Sant choisit de ne pas prendre parti sur la question du suicide de Kurt Cobain.
La direction musicale
Une BO très influencée par le grunge et très noire, faite de Velvet Underground malsain (Heroin) et de répétitions pré-mortem célestes à souhait, jouées par Michael Pitt.
Incontournable
La scène finale où un Blake mort sort de son corps nu, comme Adam pour aller rejoindre l’au-delà.
Discutable
Nirvana et Kurt Cobain ne sont cités à aucun moment. Ce choix artistique radical peut décevoir les spectateurs en recherche d’un biopic codé.
Walk the Line
Comment Johnny Cash a appris à se respecter
Ce qu’on voit
Le film se concentre sur la première partie de la carrière de Johnny Cash, entre 1953 et 1968, entre sa première chanson composée à l’armée et son concert mythique à la prison de Folsom. Qu’importe la musique quand le héros se respecte aussi peu, quand plane l’ombre du frère vénéré mort à 14 ans, quand être un chef de famille demeure une douloureuse énigme, et surtout quand l’amour fou voué à June Carter se heurte aux barrières des drogues et de la société. La tension dramatique du film tourne autour de cette impossible, vitale et fatale conquête.
Ce qu’on apprend
La place des addictions dans la première vie du chanteur. Johnny Cash et June Carter ont aidé James Mangold à préparer le film dès 1999, quatre ans avant leur disparition. De nombreux détails sur leur vie privée sont révélés à l’écran ; ils les avaient jugé trop sensibles pour leurs autobiographies.
La direction musicale
Les acteurs interprètent eux-mêmes tous les classiques de l’époque. On évolue évidemment en Ligue 2. Mais les nombreuses images de concert, filmées depuis la scène, restent un point fort du film.
Incontournable
L’alchimie des regards entre Joaquin Phoenix (Cash) et Reese Witherspoon (Carter), qui vaudra l’Oscar de la meilleure interprète féminine à Witherspoon.
Discutable
Un premier quart d’heure de pur contexte, qui surligne les fêlures de Cash sans vraiment les intégrer à la tension narrative.
I’m Not There
Les mille facettes de Bob Dylan
Ce qu’on voit
La mythologie autour des personnalités variées de Bob Dylan – qui n’a jamais cessé de se réinventer. Six acteurs y interprètent six périodes marquantes de sa vie, de ses débuts en vagabond hobo où il se prend pour Woodie Guthrie (Marcus Carl Franklin, acteur afro-américain), en passant par sa mutation électrique en 1965, sa phase born-again de prêcheur chrétien à la fin des années 1970 jusqu’à sa fuite médiatique.
Ce qu’on apprend
La quête existentielle de Bob Dylan est étroitement liée aux grandes figures de la culture américaine auxquelles il a toujours tenté de s’identifier, mais aussi au poète français Rimbaud. L’acteur Ben Whishaw incarne cette facette dans des séquences en noir et blanc : c’est le Dylan d’avant la trilogie rock (Bringin It All Back Home, Highway 61 Revisited, Blonde on Blonde).
La direction musicale
Une véritable pépite. Des chansons de Bob Dylan interprétées par Sonic Youth, Yo La Tengo, Mark Lanegan, Charlotte Gainsbourg, Sufjan Stevens ou Richie Havens pour ne citer qu’eux. Mention spéciale pour la version de One More Cup Of Coffee par Roger Mc Guinn (The Byrds).
Incontournable
Les références au documentaire No Direction Home (2005) de Martin Scorsese et au dernier western de Sam Peckinpah, Pat Garrett et Billy le Kid (1973) où Dylan y tenait le rôle d’Alias, rallié à la cause du hors-la-loi.
Discutable
Hyper-référencé, I’m Not There est un film de dylanophile à la narration volontairement décousue, incompréhensible pour un public peu averti. Pour les autres, il manque le Dylan mystique de la Rolling Thunder Revue (tournée de 1975), sujet passionnant et peu traité jusqu’à présent.
Barbara
Barbara, ton image me hante, je te parle tout bas
Ce qu’on voit
Un réalisateur (Mathieu Amalric) embauche, pour une biographie filmée de Barbara, une actrice, Brigitte (Jeanne Balibar), à la ressemblance physique troublante. Au point que très vite, la vraie vie et le plateau de tournage ne font plus qu’un…
Ce qu’on apprend
Barbara est beaucoup moins un biopic qu’une rêverie sur la façon dont Monique Serf «jouait» l’une des plus passionnantes chanteuses françaises et sur la fascination durable qu’elle a suscitée. Un palais des glaces «méta» dans lequel Amalric baptise son personnage de cinéaste amoureux du patronyme de sa mère, Zand. Et offre le rôle de la musicienne à une comédienne qui a longtemps partagé sa vie.
La direction musicale
Les classiques surgissent par fragments – au spectateur de les compléter dans sa tête. Göttingen est chanté en allemand sur un parking, Nantes esquissé au piano sans que le nom de la ville soit cité, L’Aigle noir défile sur une télé qu’un homme regarde en sanglotant au comptoir d’un bar.
Incontournable
La façon dont les archives de la vraie Barbara et les images du tournage du film dans le film se vampirisent.
Discutable
Si vous cherchez un résumé didactique de la vie de Barbara, passez votre chemin. Le spectateur ne sait jamais trop où et quand il se trouve.
Control
L’existence dévorée de Ian Curtis
Ce qu’on voit
Après avoir photographié les stars du rock, réalisé des clips (de Joni Mitchell à Coldplay) et scénographié Depeche Mode, Anton Corbijn filme la vie en accélérée de Ian Curtis, le leader de Joy Division, qu’il a fréquenté avant son suicide le 18 mai 1980 à 23 ans. Dans un noir et blanc un brin poseur, le spectateur assiste à son quotidien étouffant, ses élans amoureux contradictoires et son ascension (malgré lui) vers la gloire, qui lui font perdre le contrôle de sa vie. Ian Curtis sombre à mesure que l’épilepsie le gagne, au climax de ses émotions, dans une quête éperdue d’amour, d’aventure, jusqu’au cul-de-sac émotionnel et l’asphyxie.
Ce qu’on apprend
Les coulisses des tournées, entre sérieux et humour potache. Mais la formation du groupe à un concert des Sex Pistols est vite évacuée.
La direction musicale
Ça va des premières amours pour le glamrock (Bowie, Lou Reed, Roxy Music) aux morceaux de Joy Division, dont les textes résonnent avec sa propre vie.
Incontournable
Pas de ressemblance frappante chez le jeune acteur, Sam Riley, mais un mimétisme confondant quand il se contorsionne sur scène.
Discutable
Le film, issu de l’autobiographie de Debbie Curtis, nourrit le mythe entourant Ian Curtis plus qu’il ne l’éclaire. Au spectateur de chercher sa vérité dans les silences de l’artiste, qui ne se confiait à personne.
Nowhere Boy
Un orphelin nommé John Lennon
Ce qu’on voit
L’histoire d’un adolescent torturé qui cherche à comprendre pourquoi ses parents ne l’ont pas gardé, même si sa mère l’adore à sa façon, par ailleurs sexuellement ambiguë. Quand Nowhere Boy s’achève, John Lennon
et son groupe n’ont jamais quitté Liverpool et le garçon est un écorché vif qui fait payer à la Terre entière le décès récent de sa génitrice et la défiance de sa tutrice envers le rock.
Ce qu’on apprend
Vu la littérature consacrée aux Beatles depuis cinquante ans, rien du tout, et c’est normal, ce qui autorise même le scénario à des raccourcis borderline. Mais les incarnations de tante Mimi (admirable Kristin Scott Thomas) et de Julia Lennon, «mère de» (Anne-Marie Duff) donnent du souffle à cette vie antérieure, jusqu’ici documentée par des photos noir et blanc statiques et abîmées.
La direction musicale
Aucun hit des Beatles. Il est question de leurs influences fifties et de leurs tentatives du moment. Sans les bandes d’époque, cela convoque notre fond d’indulgence.
Incontournable
La reconstitution de la performance des Quarrymen le 6 juillet 1957 à la kermesse de Woolton, scène beaucoup plus forte que la première rencontre Lennon-McCartney quelques minutes plus tard.
Discutable
Lennon en beau gosse courageux et McCartney en jeune tête à claques prépubère, c’est une réécriture de l’histoire, qui ne fait pas toujours illusion.
Ray
Sexe, drogues & Ray Charles
Ce qu’on voit
Assez long mais jamais longuet, Ray suit le parcours du musicien de son enfance à son ascension dans les années 1970. La mort de son petit frère, ses premiers pas sans la vue, ses premières leçons de piano, ses premiers enregistrements… Il est surtout question, non sans clichés, de toutes les faiblesses du jeune Ray Charles : les femmes collectionnées sur la route contre le gré de son épouse, et les drogues.
Ce qu’on apprend
Le format du film permet de saisir la lenteur de son ascension. Chaque étape est développée. Notamment ses débuts dans un groupe de country «blanc» dont le leader tente de l’escroquer.
La direction musicale
Tous les classiques sont là et le détail du processus de création des plus connus est montré. On découvre qu’I Got a Woman, un texte sexuel enveloppé de gospel – combo qui deviendra sa marque de fabrique – a été inspiré par son premier rapport sexuel avec sa future femme.
Incontournable
Jamie Foxx, qui ressemble tant à son personnage, endosse avec justesse la vulnérabilité et la fragilité de Ray. Un Oscar du meilleur acteur le récompensera en 2005.
Discutable
Le film aborde la ségrégation sans s’y appesantir suffisamment et les personnages féminins sont caricaturaux : dépendants, influençables, opprimés. Seule la mère de Ray Charles (Sharon Warren), forte et insoumise, se fait poignante.
8 Mile
Eminem par Eminem
Ce qu’on voit
La naissance du futur plus gros vendeur de disques de l’histoire de la musique moderne, à travers l’histoire de Jimmy « B-Rabbit », en pleine crise existentielle dans sa banlieue pourrie de Detroit. Rappeur en herbe, le
jeune white trash traverse régulièrement la 8 Mile pour participer à des battles en plein quartier noir, face aux «gangstas», devant une armée d’Afro-Américains en sweet-capuche. Interprété par Eminem qui joue en réalité son propre rôle sept ans après avoir vécu des scènes très similaires, Jimmy finit par devenir le nouveau roi du quartier.
Ce qu’on apprend
D’où vient Eminem, comment il s’est construit, comment il a commencé dans les battles underground. Un film précieux pour comprendre la psyché malsaine du meilleur rappeur blanc de l’histoire.
La direction musicale
Un régal, avec des morceaux originaux composés par Eminem pour le film dont le hit planétaire Lose Yourself.
Incontournable
Le premier battle où le white trash met d’accord une armée de rappeurs noirs, en plein milieu de leur quartier.
Discutable
La mise en scène de la guerre blanc/noir du rap s’aventure parfois dans des sommets de pathos excessif. Des risques de l’auto-biopic.
Jimi All Is By My Side
Hendrix avant la gloire
Ce qu’on voit
Passé inaperçu faute de sortie en salle, ce long-métrage est pourtant traversé de l’excellente prestation d’André 3000 (chanteur
d’Outkast) qui, au delà d’une ressemblance physique évidente, mime presque à la perfection le tempérament mystique et évasif du génie électrique Jimi Hendrix. Le film se concentre sur ses premières années de galère, en 1965-66. Le spectateur plonge dans la vie intime de Johnny Allen Hendrix, derrière les clichés de Woodstock et de sa mort en icône du rock’n’roll.
Ce qu’on apprend
Ce n’est pas un scoop, mais le film montre le rôle prépondérant de Chas Chandler, ancien bassiste des Animals reconverti producteur, dans la fin de son anonymat new-yorkais et son départ pour Londres, où il va exploser.
La direction musicale
Sans les droits pour passer du vrai Hendrix, la B.O. se compose de
titres d’époque (Pentangle, Small Faces) et de réinterprétations de
l’Experience. Résultat plus qu’honorable.
Incontournable
La scène où un Jimi Hendrix inconnu vole la vedette à Cream et Eric Clapton, déjà stars, le 1er octobre 1966 au Central London Polytechnic.
Discutable
Le refus par les ayant-droits d’Hendrix de passer des morceaux originaux de Jimi Hendrix, alors que ceux-ci vivent sur les royalties de son défunt héros depuis presque cinquante ans.