Aztec Camera – High Land, Hard Rain (30th Anniversary Edition)

Roddy Frame, le fondateur d’Aztec Camera, a toujours eu l’esprit punk et le sens de la comparaison. Il a ainsi déclaré qu’il se sentait tout petit face à Joey Ramone. Quelle idée ! Prendre la mesure face à pareille perche. Passons à deux autres variantes relevant de l’anticonformisme. D’abord, Roddy Frame est Écossais. En Angleterre, venir d’Écosse est une véritable manifestation de contre-culture. Présentez-vous à des supporters de Tottenham en leur indiquant que vous êtes né à Glasgow et que votre club d’affection se nomme les Rangers, vous ne tarderez pas à entendre des rires méprisants d’hyènes s’élever. Le second point concerne le style. Roddy Frame n’en manque pas, parfait médaillon partagé entre l’oisiveté et le romantisme. En 1983, alors que tout le monde fait ses ablutions devant les synthétiseurs et autres boîtes à rythmes funèbres, il ressort pour son premier album High Land, Hard Rain la bonne vieille guitare sèche. Imaginons un peu… Ça fait le même effet qu’un DJ qui passerait les Gipsy Kings durant un défilé Chanel. Commercial Suicide , comme la chanson de Colin Newman. Pourtant, quelques années auparavant, le jeune Roddy adorait l’électricité et ne jurait que par The Clash. Il foutait la zone à East Kilbride avec son premier groupe, The Forensics. Ensuite, il s’est laissé aller au gris avec Joy Division, et comme dans tous les endroits où il pleut sans discontinuer, il s’est mis à écouter les standards de Motown. Divin mélange. Au chômage, coincé entre une paresse légendaire et un crépusculaire orgueil, l’adolescent porte les badges des Sex Pistols. Une tentative comme une autre d’exister. Rapidement, les lectures se font précises : le journal de Kafka, Sartre et Baudrillard. À vrai dire, il tourne toutes ces pages façon dilettante.

Plus consciencieusement, il se plaît à admirer la posture de Warhol et vénère le Velvet. Grâce à Alan Horne, un dictateur raffiné, Roddy sort en 1981 sa première semence avec Aztec Camera, Just Like Gold. Un titre enregistré pour le joujou de Horne, le label Postcard. Un mille-feuille pop où l’on entend une jeune personne en faire trop. On frôle l’indigestion face au nombre d’accords entassés dans ces quelques pauvres minutes. Just Like Gold est pourtant un petit chef-d’œuvre, pareil à une vieille maîtresse qui n’aurait pas pris une ride. On n’en dira pas autant d’Endgames, Berlin Blondes ou Simple Minds, tous ces groupes qui obstruent les ondes des radios en Écosse et partout ailleurs à l’époque. Concernant les ventes, Aztec Camera connaît un succès relatif qui tombe langoureusement dans les oreilles des patrons de Rough Trade. Le pacte est signé. Aztec Camera – un nom sorti des décombres stupéfiants de l’imagination de Roddy Frame qui voyait dans la culture aztèque une ambiance colorée constituée de pyramides et autres sacrifices humains – fait donc partie de la même écurie que The Smiths et The Apartments. Morrissey et sa bande vont tout rafler, laissant seulement des miettes aux autres. Mais c’est une trop longue histoire… Il faudrait un livre entier de mauvaise foi pour rentrer un tant soit peu dans les détails. En tout cas, Domino nous invite aujourd’hui à revenir trente ans en arrière. Laurence Bell, le big boss chez Domino, est un gars généreux, c’est certain. Et un homme de goût. Il avait précédemment pensé à rééditer Josef K et Orange Juice pour des retours en arrière toujours très classes. Un superbe travail d’archiviste. On note tout de même au passage que ce type de flash-back, on en fait trop souvent à présent. On se surprend même à se désintéresser de l’actualité musicale. Un passe-temps de vieux cons ? Un club serré pour happy few ? Non, cette fois-ci, on s’épargne un mauvais torticolis.

Car replonger dans le premier LP d’Aztec Camera a un réel intérêt. Pour ceux qui ne connaissent pas High Land, Hard Rain et qui adorent Pacific Street (1984) des Pale Fountains, vous pourrez dire au pape François que les miracles existent. Pour les autres qui n’entravent rien, vous n’êtes pas très malins voire un chouïa fumistes… et surtout sacrément chanceux. Finalement, ne rien connaître de cette période-là et tout découvrir aujourd’hui est la situation parfaite. Notre époque qui récure abondamment les sous-sols de la new-wave et autres musiques de chambre des années 80 va recevoir d’un coup sec et en pleine face cette lettre ensoleillée postée anonymement. Vous voilà prêts pour découvrir la malle au trésor pop. Dès Oblivious, titre qui a conservé toute sa fraîcheur, on sait que l’on tient là un disque de chevet. Cette musique et ce sens de la mélodie outrageusement instantanée pourront passer pour atypiques aujourd’hui. Oblivious, porté par une guitare en forme de romance naïve, agacera toujours les mêmes tristes sires. Une chanson traversée par les musiques au sang chaud comme le flamenco ou la bossa. Ce type d’évasion vers d’autres cultures a toujours été une recette prodigieuse pour la pop. Dès les premières secondes, Roddy Frame chante la liberté et le goût pour l’universel : “From the mountain tops down to the sunny street/A different drum is playing a different kind of beat”. On pense forcément à Arthur Lee et son groupe Love qui avaient parfaitement joué les alchimistes le temps d’un mémorable Forever Changes (1967). Michael Head reprendra la formule brillamment avec The Pale Fountains. Couleurs vives et formes éclatantes à l’instar de la pochette signée David Band, un peintre écossais qui signa également certains visuels pour Spandau Ballet, une personne à coup sûr totalement fascinée par la joie de peindre d’Henri Matisse.

Roddy Frame a souvent présenté ces dix compositions comme des titres de punk acoustique. En voilà un qui a le sens de la formule. Par ailleurs, Oblivious aurait été une source d’influence pour le single This Charming Man de The Smiths, paru fin 1983. Bref, un classique. Suit The Boy Wonders, qui nous précise l’amour que porte son auteur pour les années 60, décennie radieuse où les cocktails rocambolesques, Burt Bacharach, Sartre et Bob Dylan régnaient. Souvent, durant High Land, Hard Rain, on entend The Byrds, ce qui rapproche Aztec Camera des premiers R.E.M.. Les deux formations partagent la même grâce et cette légère insolence intemporelle. Délicieux. Walk Out To Winter confirme qu’il s’agit bien d’une chanson de The Clash, mais acoustique. We Could Send Letters est une merveille qui a dû hanter les doigts de Stuart Murdoch sur bien des compositions de Belle And Sebastian. Plus loin, l’âme du disque est résumée brièvement avec les superbes paroles du single Pillar To Post “I love the flames like I love the cold”, John Keats n’aurait pas mieux dit. Release est réussi comme une soirée alcoolisée dans un bar jazz miteux. Rien ne vaut un cocktail chargé pour oublier ses bluettes. L’album se termine avec Down The Dip, un titre court et intense, une conclusion en coup de griffe. On l’a dit, Laurence Bell est généreux et les bonus de cette réédition sont assez formidables, travaillant, remâchant toujours la chair mélodique de High Land, Hard Rain. Des versions parfois émaciées (Kid Jensen Session) aux relectures bigarrées d’Oblivious, ces archives servent à enrichir la connaissance d’une œuvre à la fois jeune et éternelle. Une véritable cure de jouvence à (re)découvrir absolument.


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