On le sait depuis longtemps, Mark Kozelek soigne particulièrement ses entrées. Ainsi, Lost Verses en ouverture du chef-d’œuvre April (2008) signait une superbe mise à l’eau, longue mélopée entêtante charriant un des plus beaux textes écrits par l’Américain. Il s’y campait en présence fantomatique hantant les rues de San Francisco et veillant sur d’anciens amours et amis. La mémoire de cette chanson et de cet album éclaire aujourd’hui d’une lumière particulière son sixième LP sous l’appellation Sun Kil Moon. Elle permet de mesurer les bouleversements à l’œuvre dans l’écriture de Kozelek. Musicalement, les structures répétitives demeurent, déclinées en textures et rythmes plus variés, mais la nature des textes a changé. Le très émouvant titre d’ouverture engage immédiatement sur cette voie nouvelle, plus littérale et narrative.
Carissa évoque la disparition tragique d’une cousine perdue de vue, tuée par l’explosion d’une bombe aérosol comme son grand-père avant elle. C’est une poésie plane qui est ici déroulée, dont la beauté tient plutôt au point de vue adopté et au phrasé qu’à la formulation en elle-même. L’essentiel des chansons évoque des histoires (vraies) plus ou moins tragiques, abordées du point de vue de Kozelek dont la voix est mixée très en avant. Ce n’est pas toujours passionnant, il faut le souligner (I Can’t Live Without My Mother’s Love). Mais la plupart du temps, les compositions arrivent mystérieusement à transcender cette apparente banalité et touchent au sublime. L’énergie appuyée de Dogs, l’ampleur gagnée en bout de course par Pray For Newtown, l’orgue de Jim Wise, la voix dédoublée sur Richard Ramirez Died Today Of Natural Causes, de tout cela émane une beauté irréelle. Ben’s My Friend est servie en guise de conclusion étonnamment légère, évoquant le Mark Eitzel de West (1997). Avec un saxo dégueu en bonus.
> Sun Kil Moon est en concert ce vendredi 21 mars à Nantes (Lieu Unique) dans le cadre du festival Assis ! Debout ! Couché ! et le lendemain à Paris (Café de la Danse).