Blonde Redhead – Barragán

Pendant un instant, Blonde Redhead a tenu dans ses mains la formule parfaite, du temps de Misery Is A Butterfly (2004), chef-d’œuvre éblouissant où les orages noise des débuts fixaient leur intensité dans la nacre meurtrie d’une dream pop somptueusement ouvragée. Une expérience douloureuse et cathartique, qui ne pouvait ni devait être reproduite – au risque de passer, comme l’écrivait Marx au sujet des grands événements, de la tragédie à la farce. La suite fut une prise d’indépendance en forme d’apaisement. Produit par leurs soins, 23 (2007) rallia de nouveaux fans mais en fâcha beaucoup d’autres, qui le condamnèrent hâtivement pour sa froideur superficielle. Tout comme le suivant Penny Sparkle (2010), peu ou mal écouté malgré la participation d’Alan Moulder, et qui brillait pourtant par “sa fascination communicative pour les murmures et les larmes” (dixit Thomas Bartel, cf. magic n°145). Avec le recul, les plus acharnés devraient finir par reconnaître qu’ils se sont comportés comme des bêtes, transférant dans cette entreprise de lapidation toute la passion qui les animait peu de temps avant à propos de leur groupe préféré.

Il est donc temps de rendre au trio l’hommage qu’il mérite en imprimant cette vérité : un album de Blonde Redhead est toujours supérieur à 99% de la concurrence pop moderne – on vous met d’ailleurs au défi de dénicher une seule mauvaise chanson dans leur répertoire. Consacrant la sortie de cette houleuse période 4AD, Barragán s’impose à son tour comme une œuvre unique et autonome. Une œuvre qui respire, peu encline à l’enluminure, où la tonalité live, minimale et presque acoustique (voire jazz) est garante d’une proximité et d’une ampleur bouleversantes. On y retrouve intacts le génie du songwriting et la minutie des arrangements, mais comme jetés hors des studios, dans un paysage vierge et sauvage qu’on a pourtant l’impression de connaître, et qui est peut-être la plus fidèle représentation de l’éden intérieur de Blonde Redhead. “Whatever you do/I won’t be sorry/No more honey” ? Priez, pauvres pécheurs, pour que ce précieux miel ne cesse de couler.



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