Certaines rééditions titillent mollement notre nostalgie. D’autres attisent un peu notre curiosité avec leurs bonus, leur packaging retravaillé. Mais quelques-unes sont de vraies délivrances, des prières exaucées. C’est le cas avec ces trois albums de The Aislers Set parus entre 1998 et 2003 chez Slumberland Records, et qui étaient depuis l’objet d’une chasse au trésor frustrante. La boutique de Mike Schulman, le patron de Slumberland, regorge d’ailleurs d’un bon nombre de disques floqués du terrible “Out of print”. The Ropers, Rocketship, Lilys, Go Sailor et autres Velocity Girl : les belles signatures du label d’Oakland pendant les années 90 n’existent aujourd’hui que dans l’immatérialité du Net. Si Schulman a choisi d’exhumer les fabuleux enregistrements de la bande d’Amy Linton, c’est que cette dernière a une histoire intimement liée au label et qu’elle incarne parfaitement ce qu’on pourrait appeler l’esprit Slumberland. En 1993, la jeune Amy débarque à San Francisco avec son groupe Henry’s Dress. Elle envoie ses premières démos à Mike Schulman qui reconnaît dans cette pop saturée et timide une mentalité proche de la sienne lorsqu’il créa sa structure en 1989 autour de son groupe Black Tambourine et de quelques formations amies. Soit un amateurisme débrouillard érigé en esthétique et couplé à la volonté de forger une ambiance familiale basée sur le partage et la sincérité. Amy Linton ne tarde pas à se fondre dans le moule et lorsque Henry’s Dress se sépare en 1996, elle s’en va taper sur les fûts de Go Sailor. Mais la compositrice brillante ne tarde pas à reprendre sa guitare.
Ainsi naît The Aislers Set, comme un projet solitaire avec pour seul horizon les murs d’un appartement. Simplement armée d’un vieux magnétophone à bandes, Amy Linton s’adonne à sa passion pour la pop des années 60 et la musique do it yourself. Une démarche redevenue légitime aujourd’hui mais qui, à époque où l’industrie musicale dominait encore, n’était l’apanage que d’une poignée d’hurluberlus. En 1998 sort Terrible Things Happen, premier album précieux bien qu’encore imprécis, où l’on découvre les grandes obsessions de l’Américaine. Intimiste mais pas introverti, le LP recouvre son indie pop craquelée d’un primitivisme façon Velvet Underground (Holiday Gone Well) tout en l’illuminant d’harmonies à la Kinks (Alicia’s Song, Long Division). On y décèle déjà cette étrangeté qui fait toute la beauté de The Aislers Set, celle d’une musique fondamentale et accrocheuse (Falling Buildings) mais toujours fuyante (California, brinquebalante et magique comme du Television Personalities). Pendant l’enregistrement, des musiciens approchent Linton et lui proposent de l’épauler. D’un membre, le groupe passe à cinq. On retrouve ainsi des habitués de la scène indépendante san franciscaine qui jouent dans moult projets : Wyatt Cusick (guitare/voix) de Track Star, Alicia Vanden Heuvel (basse) de #Poundsign#, Yoshi Nakamoto (batterie) de Scenic Vermont et Poastal ainsi que Jen Cohen (clavier) de The Fairways.
Après quelques 45 tours et des concerts, cette formation augmentée publie The Last Match (2000). Plus travaillé dans les arrangements (cordes, trompettes, percussions diverses), plus ample dans le son et porté par un niveau de composition très élevé, ce disque est le chef-d’œuvre de The Aislers Set. La personnalité géniale d’Amy Linton se fond dans l’esprit de groupe et met pleinement en lumière des morceaux incisifs (One Half Laughing, Hit The Snow, The Red Door) bien que toujours sensibles (Last Match, Balloon Song) et instrumentalisés avec raffinement (Fairnt Chairnt). Un petit succès critique leur permet de tourner autour du monde, notamment avec Belle & Sebastian, et même de faire un crochet par le studio de John Peel. Pourtant, sur How I Learned To Write Backwards, publié en 2003 (en coproduction avec Suicide Squeeze), Amy prend ses distances avec l’immédiateté pop de The Last Match pour livrer son essai le plus introspectif. Sous une production splendide à la Phil Spector (et toujours fait maison), How I Learned To Write Backwards renferme ses chansons les plus troublantes, mais aussi certaines de ses plus belles (Attraction Action Reaction, Mission Bells, Catherine Says). Si elle semble alors au sommet de son art, ce sera pourtant le dernier LP d’une formation qui a simplement joué sporadiquement sur scène depuis. À noter que ces rééditions – essentielles – s’accompagneront d’une tournée nord-américaine puis d’une compilation de raretés prévue pour 2015. De quoi nous faire miroiter un éventuel retour discographique de l’un des plus beaux trésors cachés de l’indie pop internationale.