S’il déteste le surplace, The Hacker reste fidèle à son panthéon musical pour continuer à créer des morceaux inspirés et dansants. La salutaire remise en question à l’aube de son troisième LP en solitaire lui a permis de décliner son inspiration selon plusieurs variantes. Ainsi, Love/Kraft sortira en deux fois, avec un premier volet aux allures de best of, entre electro et techno, rave et italo. Retour sur les artistes qui ont façonné les goûts du curieux et toujours humble Michel Amato. [Interview Alexandre Cognard].
DURAN DURAN – Girls On Film
Michel Amato : Girls On Film ! C’est l’un de mes plaisirs coupables, que j’assume complètement. J’adore les deux premiers albums de Duran Duran, qui ont influencé pas mal de monde, notamment les acteurs de la scène electroclash comme Tiga. A l’âge de douze ou treize ans, j’ai découvert The Reflex avant d’acheter tout ce qu’ils avaient fait jusqu’alors. Je crois que c’est l’un des disques que j’ai le plus écouté de ma vie. Les synthétiseurs sont superbes, leur look glam inspiré de David Bowie est représentatif de cette époque, les débuts de MTV avec des clips aux budgets de fous.
DAVE BALL – Man In The Man
Un vinyle que j’ai mis du temps à trouver et qui contient des titres remarquables avec Genesis P. Orridge ou le chanteur des Virgin Prunes. Je connaissais Soft Cell car il était impossible de passer à côté de leur énorme tube Tainted Love, mais je ne me suis intéressé à eux qu’une fois le duo séparé. Leur musique était visionnaire, et a préfiguré beaucoup de choses. C’est vraiment ce que j’avais en tête lorsque j’ai commencé à composer avec Miss Kittin, une formule minimaliste inspirée des duos eighties comme Eurythmics ou Yazoo, avec un type aux claviers et une chanteuse. J’ai eu plus de mal avec les délires cabaret de Marc Almond. Dave Ball a magistralement remixé Psychic TV et j’aimais bien son projet suivant, The Grid. Mais sa discrétion fait qu’il est difficile à suivre.
CHA CHA GUITRI – Art Nègre
On dirait un truc à la Nini Raviolette. Quand il y a eu toute cette vague de rééditions eighties, je ne connaissais que 10 % des artistes et j’étais loin de me douter qu’il y avait eu autant de groupuscules à l’origine d’un 45 tours ou d’une cassette. J’étais familier du travail des leaders de la new-wave hexagonale, Taxi Girl ou Kas Product, dont l’album Try Out (1982) m’avait mis une belle claque. Cette scène était très vivace avec un côté DIY attachant. La technologie devenait abordable et tout le monde se mettait à bricoler les boîtes à rythmes dans sa chambre ou dans sa cave. J’ai toujours cru que la France était à la traîne par rapport aux Anglais ou aux Allemands, mais finalement pas tant que ça. Tous ces groupes synthétiques étaient le sujet de moqueries il y a trente ans, et le succès de la musique électronique a depuis démontré qu’au contraire ils étaient dans le vrai.
CHBB – Ima Iki-Mashoo
C’est CHBB, soit Chrislo Haas et Beate Bartel avant qu’ils ne forment Liaisons Dangereuses. J’ai rencontré Marc Hurtado d’Étant Donnés au milieu des années 90 et c’est lui qui m’a conseillé leur disque. Quels gens bizarres, certainement drogués, à l’origine d’un LP unique qui ne ressemble à rien. C’est avant-gardiste avec un côté bizarrement funky et dansant. Chrislo Haas demeure un génie méconnu, disparu dans l’alcoolisme et la déchéance la plus complète. C’est aussi une influence pour Carl Craig ou Derrick May et tous les pionniers de Detroit. Leur découverte demeure, encore plus que tous ceux déjà cités, une influence décisive sur ma musique. J’écoutais beaucoup Jeff Mills et je faisais de la grosse techno mais je ne m’étais pas encore retourné sur les eighties. L’idée m’est venue alors de mélanger la puissance de la techno avec l’EBM européen violent à la Nitzer Ebb, Front 242 ou D.A.F. Ça a changé ma vie et permis de me différencier car nous étions très peu à avoir ce style avec David Carretta ou Terence Fixmer.
PATRICK JUVET – Fascination
Magnifique ! On rigole souvent au sujet de Patrick Juvet mais il a produit de très belles choses. Le disco de Giorgio Moroder ou de Cerrone m’a beaucoup inspiré, et le côté dancefloor me plaisait bien entendu. Je me sentirais capable de faire quelque chose de plus libre, de sortir de la techno traditionnelle pour laquelle tu dois remplir cet implacable cahier des charges : faire danser les gens ! La première partie de Love/Kraft remplit délibérément cette contrainte avec cinq titres rentre-dedans. La seconde se libérera de ce carcan, avec notamment une collaboration avec le chanteur de Crash Course In Science. J’ai même trouvé un nouvel intitulé, l’italo rave, pour décrire le genre d’une de mes compositions à venir.
FUNKY FAMILY – Funky Is On
Funky Family ! Une partie des gens qui apprécient ma musique ne doivent pas comprendre ma passion pour l’italo disco, qui remonte à l’enfance, au Top 50 de l’époque. Ces dix dernières années, on s’est rendu compte que l’italo cachait des milliers de sorties préfigurant la house. D’ailleurs, tous les précurseurs de Chicago ou de Detroit le reconnaissent, tout comme Bernard Sumner de New Order qui est un grand fan. Ce mélange typiquement latin d’euphorie et de mélancolie me plaît, c’est la musique parfaite pour le printemps ou l’été, la bande-son idéale de l’apéro. Le côté amateur et bricolé rend la chose touchante – ça ne chante pas très bien, on entend l’accent italien, les paroles ne veulent pas dire grand-chose, il n’y a pas beaucoup de moyens… Funky Is On a ce côté euphorique dans le refrain, mais si tu enlèves le chant de Valerie Dore, c’est quasiment de la new-wave, revisitée joyeusement à l’italienne. Ce n’est pas Eurythmics ou Depeche Mode ! C’est grâce à un DJ set d’I-F que j’ai découvert nombre de perles italo en 1998, comme Spacer Woman de Charlie, Stop de B.W.H. ou les productions de Bobby Orlando.
ELECTRONIC – Try All You Want
C’est ma chanson préférée du premier Electronic, un autre de mes disques de chevet. On perçoit bien que Bernard Sumner est aux commandes et se lâche, même si Johnny Marr est présent, et son importance dans New Order. Impossible de nier l’influence de l’italo disco là encore ! Après ma période Duran Duran, je ne jurais plus que par Depeche Mode. Mon disquaire d’alors m’avait dit : “Non Michel, il n’y a pas qu’eux dans la vie”, et m’avait conseillé d’autres vinyles de Fad Gadget ou Substance (1987) de New Order qui venait de paraître. C’est vite devenu un de mes groupes favoris, avec ce côté joyeux et triste, comme dans l’italo. Je n’arrive pas à les critiquer, même quand Bernard danse sur scène. Il faudrait que j’arrête mais je ne peux m’empêcher de jouer Blue Monday de New Order, qui est un classique éternel du niveau d’I Feel Love. J’aime bien revenir aux Smiths épisodiquement seulement car le personnage de Morrissey me crispe. J’ai retrouvé récemment cet univers pop et ce sens des mélodies chez Aline, dont j’ai d’ailleurs remixé le tube Je Bois Et Puis Je Danse.
SERGE GAINSBOURG – Le Physique Et Le Figuré
Ah, Gainsbourg ! J’avais lu dans sa biographie de référence écrite par le regretté Gilles Verlant qu’on lui avait conseillé d’écouter Kraftwerk au tout début des années 80, et du coup il avait réalisé ce titre frustrant car trop court avec Jean-Pierre Sabar. Cela prouve qu’au-delà de la caricature de Gainsbarre, le type était très intelligent et talentueux évidemment, et qu’il s’intéressait à la nouveauté sans rester bloqué sur la chanson française. Il a ensuite continué dans cette veine, en plus funky, sur Love On The Beat (1984). Tu reconnais la touche mélodique à la Gainsbourg, pas robotique, plus romantique et moins froid, même si tu sens qu’il a digéré Kraftwerk entre deux tournées alcoolisées de Black Pernod ou de 102.
PIXIES – Indie Cindy
J’ai connu les Pixies à l’armée. On est loin de mes habituels codes, mais c’est justement le songwriting de Black Francis qui m’attire. Je trouve Doolittle (1989) et Trompe Le Monde (1991), avec Alec Eiffel, magnifiques, et même leur comeback me plaît, avec cette manière unique de composer des mélodies. Les Beatles, le punk rock ou la surf music les ont influencés, et ils ont inventé le format que Kurt Cobain a repris, avec un couplet calme et un refrain énervé où ça gueule. Joey Santiago, le guitariste des Pixies, a une façon particulière de jouer, dissonante, mais le tout donne des tubes qui me touchent.
TAXI GIRL – Les Armées De La Nuit
J’adore tous leurs singles, Paris ou Aussi Belle Qu’Une Balle, contemporain du Bizarre Love Triangle de New Order. Seppuku est sorti en 1981 et a ouvert la voie à pas mal d’autres musiciens new-wave, d’Indochine à Partenaire Particulier, avec plus ou moins de réussite. On a l’impression que Daniel Darc a toujours culpabilisé du succès de Taxi Girl et qu’il aurait préféré faire du punk. Je pense qu’il aurait pu prendre la relève, sans forcer, de Gainsbourg. Il en avait le niveau. Mirwais est tout aussi captivant et reste plus mystérieux, mais ce qu’il a fait en solitaire ou pour Madonna est formidable. Depuis Gainsbourg en passant par Bashung, Jacno, Daniel Darc, Étienne Daho, on peut tracer une véritable filiation entre tous ces artistes qui assument l’héritage de la chanson française mais qui vont voir ce qui se passe en Angleterre ou aux États-Unis. C’est ce genre de démarche qui me parle incontestablement.