(Yuk-Fü Records/La Baleine)
Une voix vaguement réverbérée, un clavier Korg MS-10 et une Roland TR-808. Chouette, on va danser ? Non, ce n’est plus le moment. Vicié et vicieux, Bones (2012), le premier album de Blackmail, suintait les relents de Suicide et de punk rock “enclubbé”, transpirait les excès et les plaisirs de nuits sales et salaces. Les dérives nocturnes n’ont pas totalement disparu, la preuve avec le titre éponyme, évocation des raves d’antan et de cette “musique de hangar”. Plus loin, Weekend Facile conte la quête du dernier verre et s’inscrit dans le présent. Mais pour le reste, tout sent le trajet au boulot après la nuit blanche…
Gueule de bois dans le matin blême, lumière blanche et visages gris. Épuisée, réduite au cut-up, la parole s’efface et Sylvain Levene laisse la part belle aux anciens Bosco François Marché et Stéphane Bodin. Délaissant les structures pop (couplet-refrain), le tandem fignole un boucan techno mâtiné de synthétiseurs torturés et saturés (les relents acid de Bois De Vincennes, pas très loin des œuvres plus hardcore du Néerlandais Curley Schoop). Tout est déviant – le choix d’une ritournelle malade comme Sphinx pour single – ou dévié : la très Suicide Elle Est Cool brisée en son sein pour se prolonger en une techno lente et froide, ou bien Panenka, son inquiétant minimalisme qui se détraque et s’ouvre vers des scansions glacées.
Peu de tubes si ce n’est Mes Amis, autre variation suicidaire panachée d’Add (N) To X, faite de basse flippée et de timbre de crooner psychotique. Peu de tubes, mais on s’en fiche. Ce disque est une plongée secouée et en apnée. Où les instruments sont vrillés, dépouillés, pour faire jaillir une dance macabre. Jusqu’ici, Blackmail était coincé entre la posture du groupe de rock et celle du zombie d’after. Majoritairement instrumental, Dur Au Mal fait taire le chanteur. Une manière de délaisser la première posture et surtout d’harmoniser une époque grise et paranoïaque que les mots ne suffisent plus à définir. Bande originale de l’année.