Alors que la sortie d’un vrai-faux best of vient rendre à Ricky Hollywood sa place de pionnier et champion de la néo-synthpop en français, il nous livre en dix chansons choisies et commentées sa vision d’une décennie qui l’a vu passer de malaxeur de samples à orfèvre mélodique. Entre rires et larmes, sincérité oblige.
INTERVIEW Michaël Patin
PHOTOGRAPHIE Arthur SoubranneRicky Hollywood : Je n’ai pas trop écouté le groupe mais beaucoup ce titre, une sorte de hip hop instrumental avec des samples de soul et d’exotica. En même temps ça sonne pop, il y a plein de parties et une subtilité d’arrangements qui rappelle l’illustration sonore. Ils exploitaient déjà une veine vintage en utilisant les craquements du vinyle. À cette époque, je samplais les disques que je chopais à la médiathèque. L’extrait My Empty Fridge, l’un des plus vieux sur ma compilation, est basé sur un sample que j’avais trouvé sur un CD d’easy listening volé au Monoprix. J’étais hyper fier de moi. Il y en a d’autres, mais la plupart ne s’entendent pas, ils sont fondus dans la matière sonore.RH : Lui aussi a cette approche cut-up. Il fait souvent des chansons très courtes, des interludes, comme sur 36 Erreurs (1999), avec la séquence Top 50. Osmose est sur l’album suivant, qui débute par un cadavre exquis à base de discours découpés qu’il utilise pour parler de lui. Le côté récup’, bidouille de studio et optimisation de la matière me touche beaucoup. J’ai hérité ça du rap dans les années 90 et j’ai essayé de le placer dans une perspective pop un peu expérimentale. Charry s’est plus orienté vers l’art contemporain. Après Oui Oui, il avait ce système de robot actionné en coulisse, avec des projections vidéo. Il a aussi lancé l’idée du morceau unique, que je lui ai piquée pour le maxi Renaturation (2013). Moyennant 15€, j’enregistrais une dédicace en amorce du premier morceau. Ça prenait beaucoup de temps, si bien que je ne l’ai fait que trois fois !RH : Ce morceau a été composé par Eggstone, un groupe de pop suédois que j’adore et dont Tricatel a sorti une compilation, ça Chauffe En Suède ! (1999). J’étais un peu amoureux d’April March après Chrominance Decoder (1996). J’ai même rédigé un mail pour lui déclarer ma flamme, mais je ne suis pas certain de l’avoir envoyé. Certains de mes copains bossent avec elle, comme Julien Gasc ou Mehdi Zannad qui travaille en ce moment sur son prochain album. Je devrais donc avoir bientôt l’occasion de la rencontrer.RH : Je n’ai pas forcément fait l’effort de comprendre de quoi il s’agissait, mais cette chanson me fait beaucoup d’effet pour des raisons personnelles. Je l’écoutais énormément à une période où l’un de mes proches était souffrant, et ça m’évoque la mort, avec cette forme circulaire qui suggère qu’on s’enfonce de plus en plus dans la forêt, à la manière d’une marche funèbre. Dans ma musique, j’essaie souvent de désamorcer la dimension dramatique, mais parfois, ça fait du bien d’aller au bout d’une émotion. Je me rends compte aujourd’hui que j’ai essayé de le faire sur le dernier extrait de la compilation, Geisha. J’y parle de la mort de mon chat, ce qui était une manière pudique d’aborder la question. J’ai multiplié les couches de chœurs jusqu’à atteindre une sorte de transe, sans aucune censure dans le pathos. Ça forme un bloc mélodique que j’épluche ensuite peu à peu jusqu’à ce qu’il ne reste plus rien. Ça rejoint le vertige existentiel que me procure Forest.RH : Il y a eu plein de compilations dédiées à François de Roubaix, et celle-ci regroupe des morceaux d’obédience synthétique. L’Antarctique est une pièce en sept parties qu’il avait proposée à Cousteau, ce dernier l’ayant finalement refusée. Et pour cause, c’est complètement barré ! Je me demande comment il a pu se lâcher autant pour un documentaire animalier. Il est allé très loin dans l’introspection, c’est directement lié à son amour de la mer – d’ailleurs, il est mort en faisant de la plongée. Je trouve ça bouleversant.JTNDaWZyYW1lJTIwd2lkdGglM0QlMjIxMDAlMjUlMjIlMjBoZWlnaHQlM0QlMjIxNjYlMjIlMjBzY3JvbGxpbmclM0QlMjJubyUyMiUyMGZyYW1lYm9yZGVyJTNEJTIybm8lMjIlMjBzcmMlM0QlMjJodHRwcyUzQSUyRiUyRncuc291bmRjbG91ZC5jb20lMkZwbGF5ZXIlMkYlM0Z1cmwlM0RodHRwcyUyNTNBJTJGJTJGYXBpLnNvdW5kY2xvdWQuY29tJTJGdHJhY2tzJTJGMzg3MTEwMDklMjZhbXAlM0Jjb2xvciUzRGZmNTUwMCUyNmFtcCUzQmF1dG9fcGxheSUzRGZhbHNlJTI2YW1wJTNCaGlkZV9yZWxhdGVkJTNEZmFsc2UlMjZhbXAlM0JzaG93X2NvbW1lbnRzJTNEdHJ1ZSUyNmFtcCUzQnNob3dfdXNlciUzRHRydWUlMjZhbXAlM0JzaG93X3JlcG9zdHMlM0RmYWxzZSUyMiUzRSUzQyUyRmlmcmFtZSUzRQ==RH : J’ai rencontré Marielle Martin à l’époque où elle jouait dans Playdoh et faisait des chœurs pour Los Chicros. Je l’ai accompagnée à la batterie pendant un an, on a fait deux concerts avant d’arrêter. Dès le début des années 2000, elle faisait de la synthpop en français. Sa musique est limpide et légère, jamais prétentieuse. Elle est aussi drôle, avec un petit côté Gotainer, et parvient à dire des choses personnelles sans se prendre la tête, sur un ton pas du tout dramatique. On peut écouter ses deux EP sur Soundcloud, ils sont toujours là, et toujours dix kilomètres au-dessus des groupes de pop en français que j’ai pu voir apparaître ces dernières années. Si un jour je monte un label – ce à quoi je commence à penser –, ce sera elle ma première référence.RH : Quand j’ai découvert Cornelius, je me suis dit : “Voilà la pop du futur.” C’est vraiment de la musique d’ordinateur, hyper carrée ; on sent qu’il se fout de laisser de la place à l’aléatoire. Il utilise plein de procédés très modernes comme cette manière de “freezer” sa voix, quand les notes de la mélodie deviennent des nappes, ou ces entrelacs de guitares avec des delays qui s’étendent à l’infini. Chaque prise de son est parfaite, c’est chirurgical, clean de chez clean. J’aime beaucoup les harmonies qu’il développe, un peu brésiliennes quelque part. C’est de la sunshine pop à la japonaise, qui du coup semble exécutée par des robots. Le fait d’aller aussi loin dans la perfection a quelque chose de vicieux. Je trouve ça fascinant.RH : Mon tube de l’année 2007. En fait, je connais plus les films de Quentin Dupieux que la musique de Mr. Oizo. Ses premiers albums sont trop chargés, ça fait mal au cerveau ! Sur Bonhomme, il y a une batterie, un sample et c’est à peu près tout. Quand je l’écoute, les images de SteaK me reviennent tout de suite en tête. J’ai également beaucoup aimé son dernier film, Wrong Cops (2013), avec ce running gag autour de la musique. Éric Judor est compositeur et fait écouter son morceau à des gens qui le trouvent soit génial, soit complètement nul. Je pense que Mr. Oizo a un vrai recul sur les codes et les poncifs de la musique populaire. Il a mis du chaos et de l’absurdité dans la french touch. Sa démarche est assez nihiliste, c’est à la fois drôle et proche du désespoir.RH : J’ai choisi un titre parce qu’il le fallait, mais tout l’album de ces Montréalais est vraiment unique. Il est produit par Radwan Moumneh, qui a travaillé avec le groupe Suuns et qui a aussi un projet sous le pseudo de Jerusalem In My Heart, avec des arpeggios de synthétiseur et un chant oratoire en arabe rappelant un peu Omar Souleyman. Dans le genre psyché-kraut en français, Au Contraire est largement supérieur à tout ce que j’ai pu entendre. Les voix sont mixées à l’anglo-saxonne, c’est bourré de réverb’ et de delays à bandes, de string machines et de rythmes pop sixties, un peu comme du yé-yé arty. J’ignore pourquoi il n’a pas été pris au sérieux par le monde de la musique. Il faut vraiment écouter ce disque.RH : Il s’agit du précédent groupe de Chris Cohen, quand il jouait avec sa nana Nedelle Torrisi. On y trouve déjà toutes les qualités de son écriture, très organique et mélancolique, avec des harmonies sophistiquées. J’aime beaucoup le son de guitare qu’il a développé. Cette chanson est à la fois romantique et sombre, c’est la musique de l’amour, mais en même temps on peut presque deviner qu’ils vont se séparer. D’ailleurs, elle a fini par se barrer avec Sufjan Stevens si je ne m’abuse. Je suis persuadé que Chris est encore triste et que son album solo (Overgrown Path, 2012) en porte les stigmates. Lui, je l’idolâtre à fond, c’est l’un des meilleurs compositeurs actuels.