(Anticon/La Baleine)
La patience est mère de toutes les vertus. Son premier album, Angel Deradoorian en a longtemps rêvé. Habituée de la scène indépendante américaine – elle quitte l’école à dix-huit ans pour sillonner les États-Unis au sein de divers groupes –, elle avait refusé de rejoindre David Longstreth et ses Dirty Projectors en 2006 pour se concentrer sur un projet solo qui ne verra jamais le jour.
Ralliant finalement la bande à Dave un an plus tard, la bassiste et choriste apparaît sur la pochette du classique Bitte Orca en 2009. La même année, elle réussit enfin à sortir un premier EP, Mind Raft. Un effort inaugural qui, s’il n’est pas dénué de charme (naïf), souffre d’un manque de maturité criant. Ça tombe à plat. La donzelle ne se dégonfle pourtant pas.
Elle quitte Dirty Projectors en 2011 pour se focaliser sur un premier album. Nonobstant la parenthèse Slasher Flicks avec son compagnon Avey Tare (Animal Collective), elle va élaborer pendant trois longues années The Expanding Flower Planet. Quasiment seule, sans label, avec juste le soutien de quelques amis musiciens. C’est ce qu’il fallait pour trouver la voie et accoucher d’un disque majuscule.
Bien entendu, on devine en toile de fond l’influence du parcours de Deradoorian. Son travail avec Dirty Projectors se fait souvent sentir dans les chœurs (A Beautiful Woman) ou dans certaines tournures mélodiques (Violet Minded, DarkLord). Mais c’est surtout une originalité insoupçonnée qui se dévoile dans ces compositions charpentées de manière hors pair, puisant des inspirations là où on ne s’y attendait pas. La monumentale ouverture A Beautiful Woman peut ainsi se targuer d’une rythmique krautrock implacable.
Le riff bancal de DarkLord évoque lui le post-punk feutré et tribal de The Raincoats quand The Eyes évolue sur une répétition à la Stereolab et Ouneya présente un arrière-plan moite digne d’On Patrol (2010) de Sun Araw. Le tout adouci par une voix d’ange ensorcelante (l’extrait Expanding Flower Planet hante bien après l’écoute du disque) voire miraculeuse à deux reprises. Sur Grow d’abord, sublime conclusion à tiroirs de six minutes où Angel se montre d’une audace pop expérimentale rare (seule Julia Holter pourrait rivaliser).
Sur Komodo ensuite, ballade d’une retenue bouleversante et d’une subtilité mélodique désarmante, où Deradoorian touche des sommets de grâce comme on n’en avait plus entendu depuis White Chalk (2007) de PJ Harvey. The Expanding Flower Planet est de cette trempe : un OVNI hors des modes, aussi merveilleux qu’inattendu et humble.