En agrémentant un son électro d’un piano qui tend vers la chanson française et Laurent Voulzy, Judah Warsky, accompagné pour la première fois de deux producteurs, signe un troisième album aux mélodies prodigieuses.

Des nappes synthétiques effleurent une rythmique puissante et des arrangements électroniques lourds. Au milieu de cet amas d’effets aussi subtils que modernes, la voix parlée de Judah Warsky émerge. L’environnement semble commun : le Français a pris l’habitude de commencer par ce “gimmick” ses albums comme sur Painkillers & Alcohol, sorti en 2012 et Bruxelles, paru l’année suivante. Le titre de la chanson pousse pourtant à la réflexion. Before. Celui du disque aussi, Avant/Après. L’artiste français lance un clin d’oeil à ce qu’il faisait avant et s’engouffre dans de nouvelles perspectives. L’oreille se fait alors plus curieuse. Un invité nouveau envahit la piste. Un piano, clair et envolé qui s’impose définitivement sur la piste suivante, Je m’en souviendrai jusqu’à la fin de ma life.

Pour la première fois de ma carrière, tout a été écrit au piano. Parce qu’avant, je n’en avais jamais eu, raconte l’auteur assis à une table d’un café parisien du XVIIIe arrondissement. D’habitude, quand je vais dans mon studio, j’allume mon ordinateur, j’allume mes synthés. Pas là, je m’asseyais devant mon instrument, je jouais.” Cette nouveauté fait suite à un heureux hasard. Le piano appartient à un de ses amis et lui a été confié à la suite d’un déménagement. Cet événement impromptu lui rappelle ses débuts. Alors membre du groupe Los Chicros, il se coince un jour le majeur dans une porte après un concert à Marseille. Seul chez lui, il compose alors sur un clavier et de la main gauche Painkillers & Alcohol, sous l’impulsion d’Arthur Peschaud, fondateur et patron de son label Pan European Recording.

Six ans plus tard, et avec ses dix doigts, Judah Warsky propose des mélodies plus organiques, plus dansantes aussi. Plus pop en définitive. “Moi je dis “variété” car je trouve le mot drôle, déjà”, précise-t-il dans un large sourire. Ce mot, plutôt péjoratif dans l’esprit des fans de pop moderne, l’artiste en fait une force, un idéal qui résume parfaitement les variations et les esthétiques de ce très réussi Avant/Après. De la liberté ouatée entendue dès novembre 2017 sur le single La Voiture Ivre, au british Je m’en souviendrai jusqu’à la fin de ma life, pour lequel sa “pine-co” Alice Lewis réalise quelques choeurs très accrocheurs, en passant par le délicat Les oiseaux l’ont mangé, l’artiste plonge dans l’histoire de la chanson française de Gainsbourg à Brigitte Fontaine, en passant par… Laurent Voulzy.

Je suis tombé amoureux fou de sa musique, ose-t-il. Je connaissais ses tubes comme tout le monde. Mais je me suis pris une claque. Ce mec est un génie. Chaque album, même les récents, il y a des morceaux mortels. J’ai pété un câble. J’ai fait écouter à des gens qui n’étaient pas français. Ils étaient d’accord avec moi. Un pote anglais, je lui ai fait écouter My song of you, il n’en revenait pas. Il l’a comparé à McCartney”. Judah Warsky n’hésite d’ailleurs pas à le réécouter entre certaines prises pendant l’enregistrement d’Avant/Après pour que son piano sonne comme l’auteur de Rockollection.

Nouveau cycle, producteurs et Alain Chamfort

Mais l’album n’est pas constitué d’une simple succession de piano-voix. Ses harmonies charmantes se renforcent au contact de son electro si caractéristique, faite de trips spatiaux et d’envolées psychés. Warsky mixe alors ces deux univers a priori opposés. “C’est exactement ce que je voulais faire. De la variété sous MD. C’était vraiment le mot d’ordre”. MD – apocope de MDMA – une drogue, cousine de l’ecstasy. En d’autres termes, les caresses de Voulzy lors d’une soirée en boîte. Mais pour arriver à un tel résultat, Judah Warsky bouscule ses habitudes.

Sur Painkillers & Alcohol et Bruxelles, le Parisien faisait tout, tout seul. De la composition, à la production. Cette fois, il renouvelle l’expérience de Seul, son EP produit avec Flavien Berger. “Au bout de trois disques, il faut changer de méthode. C’est le début d’un nouveau cycle”, confesse-t-il. Pour l’aider à confectionner sa “variété sous MD” il fait appel à Pierrot Casanova et Nicolas Borne, qui forment Sex Schön et qui ont été également aperçus sur scène avec Acid Arab. Ils s’installent au studio Shelter qui appartient au duo. “Je les connaissais par Acid Arab, raconte-t-il. Ils me disaient à chaque fois : « Viens, il faut que tu viennes voir nos studios un jour, tu vas kiffer, on a tous les synthés qui existent ». Effectivement, ils ont tous les synthés qui existent. Tous. Mais ce n’est pas à ce moment-là que je me suis dit « ok je vais faire un disque là »”.

Le vrai moment arrive quand Judah Warsky tombe sur un remix de la chanson d’Alain Chamfort, Toute la ville en parle, réalisé par Sex Schön. “Ils n’avaient rien rajouté, rien enlevé, rien restructuré, décrit-il. Ils ont repris les pistes. Du coup, c’est un morceau un peu variété, qui sonne plus moderne. Là, je me suis dit : « C’est le son que je veux pour album ». Alors, je leur ai ramené mes maquettes. Ils ont trouvé ça bien.” Pierrot Casanova et Nicolas Borne pigent instantanément l’envie de Judah Warsky de créer une “variété sous MD”. “Ils ont tout de suite compris ce que je voulais dire par là, souligne-t-il. Bien sûr, l’album est plus couplet/refrain comme j’ai écrit les chansons au piano. Mais après, on les a arrangées et structurées comme des morceaux de club”.

Cette collaboration permet à Judah Warsky de prendre du recul sur sa musique, de l’épurer mais aussi de gommer un certain goût de l’imperfection assumé au début de sa carrière. “Ce n’est pas du tout imparfait sur Avant/Après, se marre-t-il en sirotant son Perrier. Pierrot et Nico sont crédités en tant que producteurs sur le disque, donc ils voulaient que ce soit bien fait quoi (rires). Encore une fois, les disques imparfaits, je les ai faits, c’est cool. Maintenant, il faut passer à autre chose. Je n’ai pas envie de refaire le même disque.” Pour les textes, il développe le thème de la mémoire et de l’oubli. ”Je trouve ça hyper intéressant ce qu’on oublie, explique-t-il. On ne sait pas ce que c’est, fatalement. C’est comme un filtre. Il n’y a pas de souvenir sans l’oubli en fait.”

L’outsider

Un titre en particulier symbolise ce chambardement et les nouveaux mélanges proposés par l’auteur. Morceau le plus long de l’album, I Would Not Fear I Would Not Cry s’impose comme l’apogée d’un disque foisonnant, l’une des plus belles offres de la scène française de ces dernières années. Pendant plus de neuf minutes, la tension émotionnelle est impeccablement maîtrisée par Judah Warsky et se sublime au contact d’un piano flâneur, élégant et éthéré. “C’est ma préférée de l’album, admet-il. J’adore le fait qu’elle soit longue, lente. C’est le côté MD dont je parlais. Un truc caressant.”

Elle traîne pourtant dans ses tiroirs depuis trois ans déjà. Il l’avait commencée dans son ancien studio à Montreuil où il avait composé l’album Bruxelles. “Au début il n’y avait qu’une instru chelou, retrace-t-il. À chaque fois je la mettais de côté. Un jour j’ai eu l’idée de la suite (il la fredonne). Après j’ai ajouté la voix, puis le piano. C’est vraiment quand j’ai trouvé la fin, que c’est devenu une vraie chanson.

La voix de Judah Warsky, autrefois fragile, se fait également beaucoup plus affirmée au fur et à mesure des neuf chansons de l’album. S’il ne se considère pas comme “un chanteur à voix”, capable de gagner The Voice”, il estime que travailler avec des producteurs l’a aidé. “Ce n’est pas toi qui appuie sur espace pour enregistrer, c’est quelqu’un d’autre, décrit-il. Toi tu es dans la cabine d’enregistrement de l’autre côté. Tu fais plus de prises pour avoir la bonne. Quand t’es seul, ça te fait chier, tu la chantes une fois et puis c’est bon.”

Place maintenant à la scène où Judah Warsky sera encore seul, notamment au Point Ephémère à Paris, le 28 février prochain. “C’est génial d’être seul sur scène, c’est la liberté. Je pense que je n’ai pas fait le tour encore. Peut-être pour le disque d’après. J’ai encore le goût de ça.” Celui qui se définit comme un “outsider” dans le paysage musical français pourra profiter des moments de solitude qu’accorde une tournée pour continuer à réfléchir à son prochain album. “Je sais déjà comment il va être, à quoi il va ressembler, place-t-il malicieusement. Mais c’est trop tôt pour en parler. Il sera différent en tout cas. J’ai envie de ménager une surprise.”Alors, doit-on s’attendre à une salsa sous MD, à un opéra sous champignons ? Excitant mystère.

Texte : Luc Magoutier
Photos : Julien Bourgeois 

Un autre long format ?