En se replaçant dans la situation confortable de leur début, celle qui avait permis la belle surprise de leur premier album, Django Django espérait reprendre le contrôle. Avec Marble Skies, à paraître aujourd’hui, le groupe nous livre un nouvel opus certes plaisant, mais bien en-deçà des promesses initiales. Rencontre.
Dans les locaux branchés de chez Because Music, les quatre membres de Django Django sont bien au calme. Le staff est aux petits oignons, leur apporte pâtisseries et cafés. Ils accueillent avec le sourire. Plus ou moins. Peut-être est-ce la fatigue de la soirée VICE de la vieille, le “premier concert depuis Noël”. Ou bien le stress de leur live sur France Inter, qui aura lieu plus tard le jour même. Pour eux, la “récréation est finie”. La promo et les tournées, c’est reparti. Ils présentent Marble Skies.
C’est le troisième long format d’une carrière qui tient son rythme – un album tous les trois ans – et un cap – une signature unique -, et ce disque marque un tournant. Pour permettre la sortie de celui-ci, le quatuor britannique a rompu avec le grand professionnalisme de leur deuxième album Born Under Saturn. C’est à la fois ce qu’avance le dossier de presse et ce que décrivent les musiciens, enfoncés dans le canap’. “Ce n’est pas un retour à nos racines. Je dirais plutôt qu’en enregistrant Marble Skies, on voulait retrouver un environnement de travail similaire au premier album, plus confortable et plus ludique pour nous”, explique Jimmy Dixon, bassiste et chanteur à mèche, le seul Anglais de la bande.
Après le gros son de leur précédent disque, enregistré dans le clinquant studio Angelic, au nord d’Oxford, et après huit mois d’une tournée achevée en janvier 2016, le groupe se replie dans le studio Urchin à Tottenham, plus modeste, comme à leurs débuts. Une zone de confort, où le DIY et la simplicité qui faisaient leur marque de fabrique peuvent s’exprimer. “Pour le premier album, nous disposions de beaucoup de temps, détaille Vincent Neff, sympathique chanteur et guitariste irlandais de 38 ans. Et sans coûts d’enregistrement, de studios et de producteurs extérieurs, on avait très peu de pressions financières”. “Ce studio est devenu une base neutre pour travailler, un lieu qu’on aimait, où l’on pouvait faire ce que l’on voulait”, résume-t-il. Avec Anna Prior de Metronomy à la batterie, ils atteignent alors “quelque chose de plus concis et plus minimaliste, avec des mélodies plus claires”, résume Jimmy. David Maclean, batteur, producteur et tête pensante écossaise de 36 ans, jusqu’alors éloigné des ses acolytes, s’empare à distance des maquettes, avant qu’ils ne finissent tous ensemble leur oeuvre.
“Tourner la page”
Si le groupe fait valoir que dans les paroles, “il y avait pas mal de références à la renaissance, au fait de tourner la page et prendre un nouveau départ”, selon des propos de David rapportés dans le dossier de presse, une autre réalité ressort de notre rencontre.
Revenir à une forme de cocon, mais pas en arrière… Est-ce vraiment possible ? David le croit. “Tu ne dois pas faire le même album éternellement. Le premier est là, derrière nous… C’est du passé, argumente-t-il avant d’avouer que certaines chansons du deuxième et du troisième album proviennent des mêmes sessions que le premier. (…) Certains riffs de guitare qui n’ont pas trouvé leur place sur le premier album, nous ont permis de faire Shake and Tremble, 4000 Years, Tic Tac Toe [sur Marble Skies, NDLR]…”, se souvient-il. Pratique courante, mais qui jure avec l’ambition affichée.
Pourtant, les quatre musiciens apprécient la vie de groupe, leur complicité et les critiques enthousiastes d’une presse presque à l’unisson. Mais à force de questions, sous les sourires, pointe une forme d’aigreur. Notamment au sujet de la “hype” dont ils ont fait l’objet. “Pour Born under Saturn, la pression de l’argent se tenait là, en arrière-plan, et par moment a pu gêner notre processus artistique, reconnait Vincent. À cause de l’ampleur qu’avait prise le groupe…”.
Rappelez-vous. Trois ans seulement après leur premier single – Storm, 2009, déniché par la compilation Sisters – leur premier effort éponyme est nommé en 2012 au prestigieux Mercury Prize, récompense du meilleur album britannique et irlandais de l’année, et finit certifié Platine en France en 2014. Le deuxième album, Born Under Saturn – de meilleure facture mais franchement moins grisant – parvient lui à se hisser une semaine à la 15e place des charts britanniques en 2015. Ces débuts ont pesé lourd sur leurs épaules.
Préserver son pédigrée
Comme éreinté par le succès et la pression qui lui incombe, le groupe s’est donc replié dans sa zone de confort pour concocter Marble Skies. Le résultat est plaisant mais inégal et souffre la comparaison avec ses prédécesseurs. Notamment lorsqu’il s’aventure du côté du dancehall avec le morceau Surface To Air, sur lequel ils ont samplé le bookshelf rythm, un des rythmes les plus célèbres du genre, et où Rebecca Taylor de Slow Club pose sa voix. “Le dancehall, le reggae, les techniques dubb… Tout ce qu’on retrouve chez Prince Jammy et ses vieux synthés digitaux des débuts des années 1980. C’est un aspect qui n’a jamais été vraiment explicite chez nous, mais ce sont des choses que Dave et moi adorons !“, justifie Tommy Grace, le claviériste.
La 6e piste, Sundials, accueille, elle, un invité. Le prolifique claviériste de jazz-fusion des années 1970 Jan Hammer a été convié à la composition, alors que David avait “samplé” son morceau The Seventh Day. Le résultat, une des réussites de l’album aux côtés de Champagne et Real Gone, reprend ouvertement les accords introductifs de l’original.
“On aime les hooks et ces morceaux qui restent dans la tête, explique Vincent Neff. C’est ce qui continue de nous animer : faire une musique qui accroche le public…” Et cela s’entend, pas toujours pour le meilleur. Certains titres sont manifestement pensés comme des hits potentiels, propices à faire décoller le disque.
Mais gonfler ces morceaux d’une énergie délibérément “tubesque” et s’ouvrir aux influences extérieures nous pousse à ce constat : ce qu’il y avait de meilleur chez Django Django, les marqueurs forts de leur identité, se fanent au profit d’un psychédélisme emprunté, à l’entrain forcé. Comme si, malgré un retour à ce qui avait permis à leur esprit DIY et ludique de prospérer, le groupe se trouvait pétrifié, entre deux obligations : préserver son pédigrée – mais est-ce vraiment possible quand on place des morceaux dans les bandes-son de FIFA ? – tout en continuant à atteindre de belles audiences. Jimmy Dixon cependant l’assure : “On n’a enregistré Marble Skies sans masterplan en tête, on a juste voulu retrouver un esprit plus léger et plus positif”.
“Comment Fleetwood Mac aurait fait un album”
Que Marble Skies ait été réalisé sans “masterplan” n’implique pas une absence de vision pour le futur. Invité à se projeter dans leur avenir, le groupe opine quand David envisage déjà de produire leur prochain disque dans des conditions live. “S’enfermer dans une pièce avec deux instruments chacun, enregistrer sur bandes magnétiques, se demander comment Fleetwood Mac aurait fait un album et se laisser obséder par le looping et l’echoing, ce serait sympa”, rêve-t-il. D’aucuns verraient ici des contraintes créatives, comme pour faire perdurer une flamme en mal de combustible.
“Notre plus grande réussite, c’est de toujours être un groupe, analyse David dans un rire. Ce n’est pas aussi facile qu’on le croit. La plupart des autres formations avec lesquelles on a émergé, à part peut-être Alt-J, se sont séparées et on entend plus parler d’elles. Que les majors les aient abandonnés, qu’ils aient échoué ou pour n’importe quelle autre raison : parmi nos pairs, presque aucun n’a fait le troisième album“.
Quant à leur plus grand regret, ils répondent aussi dans de grands éclats de rire : “toujours être un groupe”. Du second degré ? Sans aucun doute. Mais la question s’impose quand David avoue plus tard de sa voix monocorde, au sujet de son état d’esprit du moment : “Aujourd’hui, je me se sens un peu comme dans Un jour sans fin… Je me dis ‘Ça y est, ça recommence…’”
Benjamin Petrapiana Fabulas