Il a signé des tee-shirts et des posters pour Mac DeMarco, Kurt Vile et Gum, ainsi que la pochette du sixième album de Pond, Man It Feels Like Space Again (2015). Mais l’Australien Montero est aussi musicien. Il fait paraître vendredi, avec Performer, un album aussi attachant que le personnage.
La musique Montero – Bjenny Montero de son vrai nom – s’inspire du désordre des Beach Boys. Repéré en première partie de Mac DeMarco en novembre dernier, ce musicien et artiste d’origine australienne, désormais basé à Athènes, tisse – dans son deuxième album, Performer, à paraître vendredi – des pop songs nimbées de psychédélisme dans la pure tradition du rock prog des années 70. Son premier single, Vibrations, au clip jubilatoire et complètement foutraque, est une déclaration d’amour à Supertramp. A 40 ans, Montero s’est réconcilié avec le succès en renonçant à l’idée que celui-ci allait arriver. Il poursuit sa carrière de musicien-chanteur et se consacre aussi à son autre passion, le dessin. Il gribouille des animaux impolis et décadents, satire de ses questionnements les plus intimes qui l’empêchent de se morfondre. Magic a tenté de savoir s’il était aussi bordélique et dingo que son pote Mac DeMarco. Réponse : c’est bien probable.
Magic : Tu as beaucoup voyagé ces dernières années, entre Melbourne, New-York, Austin… Où te trouves-tu en ce moment ?
Ben Montero : Je suis à Athènes, en Grèce. C’est là que je vis. J’y ai posé mes valises pour de bon il y a trois ans (sourire). Pour la petite histoire, je voulais aller dans les îles mais quand j’ai débarqué à Athènes, je n’ai plus voulu en repartir. Il y a quelque chose de magique ici que je ne saurais expliquer. J’habite un appartement charmant dans le quartier anarchiste d’Exarchia. C’est assez fou ! Il y a des bastons de rue régulièrement mais ça participe au charme. J’ai deux chats qui me mènent la vie dure, je passe mon temps à nettoyer leurs bêtises ! A côté de ça, la scène musicale est très dynamique. Il y a des concerts presque tous les soirs. Ici, les gens se contentent de peu et s’en accommodent. Ils ne sont pas blasés pour un sous – contrairement à là d’où je viens, en Australie – alors qu’ils ont toutes les raisons d’être cyniques ! Parce qu’ils n’ont plus rien à perdre, ils se sentent libres de s’exprimer comme ils l’entendent et c’est déjà beaucoup. Il y a une vraie belle énergie qui se dégage de tout ça.
Tu sors ton deuxième album le 2 février, quatre ans après le précédent The Loving Gaze. Pourquoi avoir mis si longtemps pour te remettre au travail ?
Il n’y avait pas d’urgence ! Pour une fois, j’avais envie de faire les choses pour moi-même, voyager seul et explorer ce qui m’était étranger, découvrir de nouveaux endroits et des pays différents qui pourraient m’inspirer. J’ai beaucoup dessiné pendant cette période et je n’ai ressenti ni le besoin ni l’envie de faire de la musique. Je voulais juste prendre du recul par rapport à l’industrie musicale.
Jusqu’à comparer la musique à « l’enfer ». Pourquoi continuer à écrire des chansons si tu n’aimes pas jouer ?
C’est exactement pour cette raison que j’ai arrêté de faire de la musique pendant un moment. Ça me rongeait trop, cette manie de compter ses mini-succès et ses insuccès. Quand j’ai enfin réalisé que la musique n’était pas la chose la plus importante dans ma vie, c’est devenu le paradis. J’ai retrouvé un certain plaisir à jouer. L’industrie musicale peut vous rendre cynique. Il a fallu que je me souvienne de ce qui me motivait à faire de la musique à l’origine. J’ai pris le temps d’y penser, ou plutôt j’ai appris à ne pas trop intellectualiser les choses et je me suis détendu. Ces dernières années m’ont permis de clarifier les choses à propos de ce métier. Il n’y a pas eu d’incident particulier, mais le fait de prendre du temps pour moi, organiser ma vie, faire mes valises, voyager à travers le monde et avoir un chez moi, m’a ouvert les yeux !
Tu co-produis ton nouvel album avec Jay Watson de Tame Impala et Pond, qui est aussi ton ancien coloc’. Qu’aviez-vous en tête tous les deux ?
Je savais que je referais un album un jour mais rien ne m’y forçait. Alors on travaillé sans pression, parce qu’on avait du temps pour le faire. Ce besoin de liberté fait écho à mon mode de vie et la façon dont j’aime voyager. On a enregistré l’album à Londres, dans les studios de Mark Ronson, en son absence ! Jay m’a entraîné avec lui pour mettre en boîte tout ce qu’on pouvait en une semaine seulement. C’était la première fois que je mettais les pieds dans un endroit aussi chic. Il y avait un tas d’instruments absolument incroyables. J’étais fasciné par les lumières bleues, vertes et violettes qui contrastaient avec le sol à carreaux noir et blanc.
Cet album est beaucoup plus référencé que le précédent. Tu rends hommage à toutes les musiques que tu aimes. Quels sont les disques qui t’ont accompagné pendant l’enregistrement de Performer ?
Je suis fan des Beach Boys. Mes albums favoris sont des classiques des années 70-80. Des albums pop. Rien de trop pointu. J’écoute vraiment de tout. J’aime Stevie Wonder, Love et Supertramp. J’aime la pop mélodique, tout ce qui va droit au but, et qui convoque la parfaite image. En musique, il est surtout question d’émerveillement. J’aime être surpris et impressionné par ce que j’entends. Je ne saurais trop intellectualiser mon rapport à la musique ou ce que je ressens quand j’en écoute. Je n’en ai pas envie, à vrai dire. C’est pour cette raison que je n’ai pas d’instruments qui traînent partout chez moi. J’ai juste un petit pad sur lequel je peux faire quelques rythmiques et des boucles de chansons. Pour le reste, j’aime me laisser surprendre par ce que je peux trouver chez les autres.
Quel rôle jouait la musique dans ta famille et ton éducation ?
Ma mère joue du piano classique et beaucoup de Chopin. Mon grand-père, du piano jazz. C’est mon instrument préféré. Mes parents écoutaient beaucoup de jazz, Thelonious Monk, Miles Davis, Bill Evans, mais aussi des artistes comme Tom Waits, Van Morrison, Leonard Cohen, Phoebe Snow, Billy Bragg, de la bossa nova, du blues, de la world music, du rock. Ils avaient beaucoup de disques très cool qui continuent à m’influencer d’une manière ou d’une autre. Je continue d’en écouter certains. Je n’ai jamais pris de cours de chant ou de musique. Je me suis formé sur le tas.
Toutes les chansons parlent d’amour. Quel amoureux es-tu ?
Je suis célibataire (sourire) ! Je me suis séparé de ma copine en venant vivre à Athènes. On avait monté un groupe ensemble, Early Woman, un duo à la Sonny and Cher qui serait tout à coup devenu démoniaque. C’était une période assez agitée pour moi. J’ai eu du mal à m’en remettre. Ces dernières années de break m’ont aussi permis de panser mes plaies et cela se ressent dans les chansons de ce nouvel album.
En France, les médias musicaux te présentent comme le « dernier zinzin de la bande de Mac DeMarco ». Sur tes visuels de promo, tu poses accroupi à côté d’un tas de déchets…
(Rires) C’est une façon de me mettre en valeur ! La chose la plus folle que j’ai jamais faite, c’est d’emménager à Athènes. Je me demande encore ce que je fais là mais j’aime cette ville un peu plus chaque jour !
Quel rôle a joué Mac DeMarco dans ta carrière ?
Aucun, c’est mon ami. On se connaît depuis environ un an. On partage les mêmes passions : la musique, le dessin et les chiens. Ils ont toujours cet air niais et passent leur temps à traîner ici et là. Je les adore ! Et puis ils sont très faciles à dessiner. D’ailleurs tout le monde pense que j’ai dessiné la pochette de son album This Old Dog (sorti en 2017, ndlr) mais c’est lui ! Personne ne veut le croire (rires). Quand j’ai voulu faire ses premières parties, je lui ai envoyé un SMS et il m’a répondu ok. C’était aussi simple que ça ! Je travaille avec les gens qui me font marrer, jamais avec des gens que je n’aime pas. Je ne suis pas carriériste. Cette idée me met mal à l’aise. Pour moi, la musique est une affaire d’amitié. Mais bon, quand j’ai vu mon nom en grosses lettres rouges sur la façade de l’Olympia (le 14 novembre 2017), je n’ai pas pu m’empêcher de prendre une photo pour l’envoyer à ma mère. J’avais l’impression d’être une superstar (sourire). Aujourd’hui, j’ai la possibilité de faire ce que j’aime et d’avoir un public. J’ai longtemps fait de la musique dans l’ombre d’autres artistes. Je suis de nature timide et introvertie. J’ai dû me faire violence mais je ne me force plus aujourd’hui. Je prends le micro et je fais semblant d’être une pop star, alors qu’au fond je ne suis qu’un dessinateur de BD (rires) !
Tu mets en scène des petits personnages dépressifs, anxieux et paranoïaques, qui souffrent de la solitude. Cela correspond à un aspect de ta personnalité ?
Totalement ! Mes dessins sont comme un journal intime. C’est une thérapie. Il s’agit de sentiments très personnels que j’exprime à travers mes dessins.
As-tu peur de la mort ou simplement d’être allongé dans un lit d’hôpital ? C’est un thème récurrent dans tes dessins.
Je n’ai jamais réfléchi à ça. C’est une bonne question. (Silence) J’ai peur de beaucoup de choses, mais quand je les exprime, mes peurs disparaissent. Dans mes dessins, je me montre vulnérable. (Silence). Tu m’as eu ! Je ne sais pas quoi dire… Je parle de mes insécurités. Ces petits personnages allongés sont éreintés et ils peuvent à peine bouger. C’est propice à l’anxiété et la remise en question. Tout ce que ces personnages ressentent viennent de moi. Ça m’aide à faire disparaître les zones d’ombre en les transformant en quelque chose de beau ou de mignon. Ça m’aide à comprendre ce qui m’arrive.
D’où viennent ces insécurités ?
La vie, le monde moderne, la pression sociale, la pollution de l’Internet, la morosité ambiante, faire face à la colère que j’ai en moi, mes pensées cyniques. J’essaie de comprendre d’où ça vient, le bien et le mal, et je n’ai pas encore toutes les réponses. Mais ce sont des sentiments partagés par beaucoup de gens je crois. Quand je vais repenser à tout ce qu’on s’est dit, je vais sûrement m’allonger et pleurer (rires).
Tu ne dessines plus d’humains, ou alors pour les tourner en ridicule ou mimer des orgies ?
(Rires) Je ne dessine plus d’humains c’est vrai. Je ne les trouve pas intéressants. A l’époque, mes dessins étaient beaucoup plus cyniques. C’était des petites parodies du monde dans lequel on vit. J’essayais de comprendre d’où venaient toute cette haine et cette jalousie qui me tenaillaient. Je voulais absolument prouver mon intelligence, mais être obsédé par ce genre de questionnement peut vous rendre triste. Après tout, ce n’est pas si grave de ne pas être aussi intéressant qu’on l’espérait. J’ai remplacé les humains par des avatars, mais ça ne s’adresse pas pour autant aux enfants (sourire).
Quel est ton personnage préféré ?
La grenouille est culte. J’aimerais lui ressembler davantage sur bien des aspects. C’est une version plus pure de moi-même. Je n’aime pas mes défauts : la colère, la frustration, la jalousie, l’hédonisme et une tendance à l’autodestruction. « Froggy » est probablement la partie de moi sur laquelle j’aimerais capitaliser et me présenter au monde. Je suis aussi obsédé par la nourriture. Mes personnages aiment manger des pizzas au lit. Qui n’aime pas ça franchement ? C’est l’endroit rêvé !
Tu critiques les réseaux sociaux, et notamment Tinder. Tu as même désinstallé l’appli. Parce que tu n’as pas eu assez de match ?
« WTF » exactement ! Un seul match en un an. Ça n’aide pas pour le manque de confiance en soi. Ok je vais me coucher (rires) !
Quels sont tes projets ?
Je prépare un recueil de mes dessins qui sortira cette année chez Captured Tracks, le label de Mac DeMarco. C’est ce qui arrive tout en haut de ma « to do list ». Vous êtes les premiers à qui j’en parle.
Entretien : Alexandra Dumont
Photos : Maria Damkalidi
MONTERO – Performer
Chapter Music / Differ-Ant
Sortie le 2 février 2018
En concert le 26 février à Paris (Point Ephémère)
Montero sur Facebook : https://www.facebook.com/monteroband/
Montero sur Instagram : https://www.instagram.com/bjennymontero/