Avec In The Rainbow Rain, Will Sheff, chanteur-guitariste et tête pensante de la formation renoue avec les plaisirs de ses débuts. Les graines semées sur son précédent album, Away, ont germé et fleuri en un univers épanoui et radieux. Nous l’avons rencontré pour évoquer les secrets de ce printemps artistique.
C’est une étape que peu de musiciens abordent avec fraîcheur. Quand ils l’atteignent. Le rare dixième album. Sur Away (2016), son précédent disque, Will Sheff annonçait la mort du groupe dans une élégie poignante au nom sans appel : Okkervil River RIP. Quoique certains indices, des bourgeons dirait le botaniste, laissaient présager d’un printemps à venir. Au line-up de l’album, on découvrait de nouvelles têtes, et au creux des morceaux, l’univers de Will Sheff renouait avec la sincérité de ses débuts. Ces bourgeons fleurissent aujourd’hui dans son dernier opus.
“Sur Away, je me suis affranchi de ces idées qui, à un moment, ont pu me restreindre : qui je suis censé être, telles manières de faire de la musique et du business, l’obligation de rentrer dans une case musicale. Des injonctions en désaccord avec mes intuitions…, raconte ce chevelu aux rondes lunettes à la John Lennon. Après avoir coupé ces liens, sur In The Rainbow Rain, je déploie mes ailes.”
Des ailes protectrices qui couvent un univers accueillant et réussi. Car si l’adage veut qu’on ne fasse pas de bonne littérature, ou d’art en général, avec de bons sentiments, Will Sheff, épargne à son folk rock le tiède et le mièvre. “J’avais envie de faire un album gentil, tendre et bienveillant, détaille-t-il. Je voulais que les gens s’y sentent les bienvenus.”
“Ils m’ont aidé à devenir ce que je suis”
L’inclinaison de Will Sheff pour le bon, le beau et le bien prend source dans ses inspirations du moment. “Pendant la confection de l’album, j’ai beaucoup écouté Stevie Wonder et Curtis Mayfield. Le premier m’a inspiré pour la musique et le second pour les paroles. On y trouve une révolte pleine d’espoir et optimiste, confie-t-il. Le son de l’album Young Americans de David Bowie m’a aussi beaucoup intéressé (Ndlr., un intérêt audible dans les saxo, piano et choeurs du morceau The Dream And The Light). Trois autres artistes étaient aussi présents dans mon esprit : Daryl Hall et John Oates, un duo de pop commerciale qui m’a toujours rendu très heureux et Joni Mitchell, notamment The Hissing of Summer Lawns, son album réalisé avec un band de jazz fusion.” Un carnet d’inspirations assez discret de prime abord, mais finalement cohérent et lisible à l’échelle de l’album dans sa bonté omniprésente.
L’alchimie trouvée avec la nouvelle formation, constituée en 2016 pour Away, participe aussi de ce bonheur. Will Sheff insiste toutefois pour qu’il n’y ait aucun malentendu. “Je ne dénigre aucunement mon ancien groupe. Ce sont des gens exceptionnels, mais si nous nous sommes séparés, c’est que nous n’étions plus faits les uns pour les autres. Comme un couple”, explique-t-il en s’autorisant un long moment de réflexion pour répondre. En évoquant les nouveaux musiciens, son débit se fait plus rapide, la discussion plus enjouée. “Avec ces gens talentueux, passionnés et très réfléchis sur la manière d’accomplir leur art, je me suis senti suffisamment libre et en sécurité pour être aussi ambitieux que je le souhaitais. Ils m’ont aidé à devenir ce que je suis”, plante-t-il.
Benjamin Lazar Davis nourrit le groupe de sa basse impeccable. “Avec lui et Cully Symington (Ndlr., le batteur, plus ancien membre de la formation actuelle, arrivé en 2009), je sais que les grooves vont fonctionner. Et c’est devenu quelque chose de très important pour moi ces jours-ci, bien plus que l’énergie rock’n’roll brute, que je trouve moins intéressante.” Et Will Graefe, guitariste, peint sur le canevas construit par Benjamin, Cully et Will. “Nous avons des goûts similaires, mais en termes de technique et de pratique, il me surpasse largement, et la plupart des guitaristes que j’ai rencontrés, sourit-il. Il est capable de superposer des couches mélodiques et de couleurs qui apportent une troisième dimension à notre musique”. Sarah Pedinotti, enfin, est le complément vocal de Sheff et déniche toujours “cet ultime détail manquant, souvent un élément étrange, dont le morceau a besoin”.
Une entente inédite qui pousse même le chanteur parolier à les inviter dans le processus d’écriture de certains morceaux. ”Avant j’ai écrit des chansons avec Jonathan (Ndlr., Jonathan Meiburg, ancien claviériste et frontman du groupe Shearwater), mais ce n’était pas comparable. J’écrivais les couplets et lui un pont par exemple. Aujourd’hui on a vraiment écrit certaines chansons à quatre mains dans une démarche collaborative. C’est vraiment quelque chose que je veux poursuivre à l’avenir, explique-t-il. Ça faisait longtemps que je n’avais pas été aussi excité de faire de l’art, il faut remonter à l’époque où j’étais encore adolescent.”
“Il y a deux Okkervil River”
Cet enthousiasme printanier tient autant de son environnement musical que de sa discipline personnelle et créative. Entre le microdosage de drogues psychédéliques, la méditation transcendantale, la spiritualité quaker – “le bouddhisme du christianisme” – et sa thérapie, il a “tourné son art et sa vie vers la beauté et l’harmonie”. Une démarche notamment impulsée par l’élection de Donald Trump, survenue au lendemain d’Away. “Quand je réfléchis sur ce qui va mal aux USA, je pense que c’est notamment du fait d’un certain abrutissement. Non pas que les gens soient devenus de mauvaises personnes, mais je pense qu’il y a une affection de la spiritualité. Et je ne veux pas que cela m’arrive. Je veux vivre ma vie en pleine conscience, faire mon art de la même manière et être une présence lumineuse pour les gens que j’aime.”
Tout, dans Will Sheff, laisse croire à un nouveau départ depuis Away, album au sujet duquel il confiait mystérieusement : “Ce n’est pas vraiment un album d’Okkervil River mais c’est aussi mon album préféré d’Okkervil River”. Quid de In The Rainbow Rains ? “(Rires) C’est bien un album d’Okkervill River. Mais il y a deux Okkervil River, celui des albums Black Sheep River ou The Stage Names… Mais à un certain moment, ce groupe-là est devenu ennuyeux. Et je l’ai tué. Okkervil River RIP. Et il y a cet autre groupe que je me rappelle avoir formé en 1998 avec mes deux meilleurs amis du lycée, que personne ne connaissait… C’était une époque excitante, sincère et heureuse. C’est cet Okkervil River-là que j’ai ramené à la vie.”
Benjamin Pietrapiana
Okkervil River
In The Rainbow Rains
Sortie le 27 avril sur ATO