Avec Génération(s) éperdue(s), sorti ce vendredi 27 avril chez Because, la jeune génération françaises reprend 19 titres de l’auteur-compositeur Yves Simon. Un disque en guise de pansement pour l'un des chanteurs et poètes les plus doués du siècle dernier
En 1977, tu décides du jour au lendemain, et à la surprise générale, de ne plus faire de scène. Il aura fallu attendre 2008 pour que ce soit le cas, sur la scène de l’Olympia. Qu’as-tu fait pendant tout ce temps ?
J’ai écrit, beaucoup. Juste après la sortie du film Diabolo Menthe en 1978, j’étais au sommet. Le succès est une drôle de chose, tu sais. Cela fait globalement plaisir mais c’est assez contraignant. Dans la rue, les gens t’abordent, te regardent comme une belle femme. Tu commences à avoir des manies de mannequin, tu regardes la pointe de tes pieds, ou loin devant. C’était devenu pesant, ce succès. J’ai failli partir vivre à Los Angeles ou à Tokyo, mais je me suis rendu compte que j’aimais trop Paris pour m’exiler. Je savais en revanche que j’en avais marre de tourner et de faire des concerts à droite et à gauche. Je pensais que cela allait durer juste quelques années. C’est finalement cet Olympia de 2008, d’où est tirée la face B de Génération(s) éperdue(s), qui a mis fin à cet exil.
Habituellement, les albums de reprises sont un moyen de se remplir les poches quand elles commencent à être vides. Ici, on sent un véritable engagement de la part des artistes à l’instar de Feu Chatterton!, Woodkid ou Soko. Quelle est la genèse de ce projet de tribute de cette face A ?
Il est né d’une façon «normale», je pense, finalement. Il y a trois ans, je reçois un disque, où est marqué à l’encre «Christine & the Queen». Quel drôle de nom ! Elle n’était pas du tout connue, elle n’avait fait aucun disque. Quand je la rencontre, je suis très étonné. Mais ce n’était rien quand j’ai découvert la version finale d’Amazoniaque qui ouvre ce disque.
A la même période, sur YouTube je regardais une jeune nana depuis Los Angeles. C’était Soko et elle chantait Diabolo Menthe. Elle avait une vraie gueule, une voix magnifique. Il fallait que je la rencontre.
A ce moment-là, je fais la connaissance de celui qui deviendra mon producteur : Emmanuel de Buretel. Ce projet est né de cette rencontre. Comment oublier aussi Louis Garrel? On fréquente les mêmes bars du quartier Odéon. Il avait chanté déjà dans le film de Christophe Honoré, Les Chansons d’amour et voulait absolument participer à ce projet d’album tribute. Il souhaitait reprendre Les Gauloises Bleues. C’est finalement en écoutant la production de Clou, que mon cœur a chaviré. Elle avait le même âge que moi quand j’ai écrit ce titre. Quelle inventivité ! J’ai eu la larme à l’oeil quand j’ai écouté sa reprise pour la première fois.
Louis Garrel s’est finalement rabattu sur L’Aérogramme de Los Angeles, avec Woodkid. Habituellement, les tributes me mettent mal à l’aise car c’est souvent mal fait, produit à la va-vite. On a mis un an à signer les contrats. J’y allais à reculons, je ne savais pas si j’en avais vraiment envie. Aujourd’hui, je ne regrette pas car je suis très ému et surpris par quelques titres qui ont été arrangés.
On te sent très paternaliste avec cette nouvelle génération présente sur le disque…
Je n’ai jamais eu d’enfants, même si j’ai eu beaucoup de femmes dans ma vie. C’est un peu comme si j’étais leur grand frère. C’est une génération très talentueuse, touche-à-tout, qui créait sa musique dans un home studio. A l’époque, j’étais obligé d’aller dans un studio d’enregistrement pour faire des maquettes, avec de vrais musiciens. C’est d’ailleurs le seul reproche que je peux leur faire : ils ont encore beaucoup à apprendre et ils sont globalement un peu moins professionnels que nous, artistes de l’époque. Certains écoutent les conseils des anciens, pas tous. Par contre, ils sont beaucoup plus engagés que ce que nous l’étions. C’est en partie grâce au rap, qui a donné un véritable élan de réécriture de la langue française. Plus qu’engagés, ils sont enragés.
Qu’as-tu ressenti quand tu as vu à quel point ces trentenaires aimaient tes compositions ?
Ils m’ont sorti de ma torpeur, de ma dépression. Pendant plusieurs années, j’ai cru que l’on m’avait oublié. C’était paradoxal alors que je me suis mis à l’écart pendant toutes ces années, un peu avant la sorte de Diabolo Menthe. Je me suis demandé si je n’avais pas fait une erreur d’avoir abandonné la chanson. Faire un disque, puis un livre, a été très équilibrant pendant des années. Une vie secrète et une vie en lumière, en quelque sorte. Les disques ont été ma première ferveur d’adolescent et arrêter quelque chose qu’on aime ce n’est pas la solution. C’est Génération(s) éperdue(s) qui m’a sauvé ! Ces jeunes artistes ne m’avaient pas oublié, grâce notamment à leurs parents qui continuaient de m’écouter dans leur coin. Aujourd’hui, ils m’ont ressuscité parce que je n’ai pas sorti de « tube » depuis longtemps…
Comme Diabolo Menthe… Est-ce gênant qu’on prenne à chaque fois l’exemple de cette chanson pour évoquer ta carrière ?
Oui… ou du moins cela me gène que mon succès ne se résume qu’à ça pour beaucoup de personnes. C’est la seule chanson que j’ai écrite sur commande. C’est très difficile de comprendre son succès. Quand j’ai fait la musique titre du film, c’était la première réalisation de Diane Kurys. Elle m’a tanné pendant des mois pour sortir quelque chose. J’ai écrit les paroles et la musique en quelques heures, avant un concert, trois semaines avant le mixage final. Tout cela parce que j’ai reçu une lettre d’une adolescente, sur une feuille de classeur perforée, à petits carreaux, où elle me raconte qu’elle est en seconde, qu’elle a 16 ans. C’est une lettre d’amour écrite comme celle d’une femme mûre et réfléchie. Je me dis que si ses parents savaient ça… J’avais mon sujet pour le film. Et aujourd’hui, 40 ans après, c’est Soko qui se réapproprie cette mélodie de manière angélique.
Propos recueillis par Julien Bouisset