À 28 ans, Daniel Blumberg compte déjà plus de projets à son actif que 99,9 % des musiciens de son âge. Depuis qu’il a intégré Yuck, à seulement 15 ans, il n’a jamais lâché la six-cordes. Mais en sortant Minus sous son vrai nom, il fait table rase du passé.
Après des albums avec Yuck, Oupa, Hebronix, Heb-Hex, Cajun Dance Party, The Howling Hex ou encore GUO, Daniel Blumberg dévoile vendredi son premier album sous son nom de naissance, Minus. Grand échalas livide, presque fantomatique, clope roulée au coin de la bouche et e-cig dans les mains, le personnage semble usé par toute la musique qu’il a déjà traversée et pourtant, l’artiste anglais l’assure, il ne nous donne aujourd’hui qu’un avant-goût de toute celle à venir.
Qu’est-ce qui t’a poussé à enfin sortir un album sous ton nom ?
Pour tout avouer, je me sens un peu mal à l’aise avec ça, car c’est paradoxalement mon album le plus collaboratif. Aucun des musiciens présents n’aurait pu être remplacé par qui que ce soit d’autre. Mais d’un autre côté, j’en suis l’instigateur, j’ai réuni tout le monde, j’ai écrit les morceaux et ça reste une oeuvre très personnelle que j’ai pensée comme un album de rupture amoureuse, où je m’adresse à celle que j’aime (ndlr., l’actrice Stacy Martin). On peut dire que cet album est en vrai décalage par rapport à ma carrière. C’est même une étape charnière, sur tous les plans. Pour bien comprendre où j’en suis, j’invite mes auditeurs à écouter le duo Guo que je forme avec Seymour Wright.
Plus collaboratif que celui que tu as sorti avec Yuck par exemple ?
Oui. Il faut bien comprendre l’histoire de Minus et ce qu’on a voulu faire. Depuis 2013, je travaille au café OTO (ndlr., lieu de résidence pour artistes et de concert, situé à Londres et qui laisse la part belle aux musiques expérimentales et improvisées) où j’ai pu rencontrer de nombreuses personnes dont Billy Steiger (violon), Tom Wheatley (double basse) et Ute Kanngiesser (violoncelle). Ce sont les trois principaux musiciens avec qui j’ai travaillé sur Minus. Aucun d’eux n’avait entendu mes précédents albums. C’était presque un gag. C’est peut-être pour ça que quand on joue tous ensemble, il y a une dynamique unique. C’est ça qu’on a voulu capturer en studio. D’où notre collaboration avec Peter Walsh (ndlr., producteur de Scott Walker à partir de 1984, notamment sur Tilt [1995] un de ses albums les plus connus). Il a réussi à mixer et capturer ces sons compliqués et simultanés. C’était un défi parce qu’on travaille seulement en live et que beaucoup de ce que nous faisons est improvisé et assez unique. Il se passe toujours beaucoup de choses, d’un point de vue acoustique dans la pièce. Je me rends compte qu’avec toutes mes collaborations au Café OTO, on a développé un langage collectif et ouvert, et ça m’excite pour tout ce qui pourra se passer par la suite. Minus est un tout petit aperçu de ce qui reste à venir.
Le résultat est en effet très différent de ce que tu as produit par le passé. À présent, comment considères-tu tes précédentes productions ?
J’ai toujours voulu les effacer. Je n’écoute plus mes anciens disques, je n’ai plus aucune relation avec eux, ni les musiciens d’alors, à l’exception de Neil Hagerty avec qui je joue dans le groupe Howlin Hex, qui est son projet. C’est un vrai artiste avec qui j’ai beaucoup appris. Le seul passé qui m’intéresse, ce sont toutes ces heures d’enregistrement avec les musiciens du Café OTO. Il y a tellement de potentiel dans notre manière de travailler. Il faut laisser derrière soi ce qu’on a été pour se laisser l’opportunité d’être neuf. Et pour être honnête, en regardant derrière moi, je me dis que c’était de la merde. Mais ce n’est pas triste, ça permet surtout de voir ce que je ferai mieux la prochaine fois.
Tu as commencé la musique à l’âge de 15 ans. La flamme ne s’est-elle jamais tarie ?
Je ne sais pas vraiment. Pour moi, la musique a commencé presque par hasard. Un ami m’a invité dans un groupe du lycée alors que je ne rêvais pas vraiment de devenir musicien. Par contre, après, j’ai toujours été honnête. À chaque fois que je me suis senti mal à l’aise dans un groupe, je suis parti. Notamment parce que je pense que les choses peuvent toujours être faites différemment et mieux. C’est ce qui m’a permis de garder l’énergie et d’entretenir la flamme. À côté de la musique, je dessine (ndlr., la pochette de Minus est de lui). Avant, j’étais un autodidacte, mais de 2015 à 2016, j’ai participé à un cours intensif à Londres dans la Raw Drawing School, une école unique en son genre en Europe. Et aujourd’hui, si en musique ça coince, je vais dessiner pendant une semaine, un mois, trois mois… Si ça coince dans le dessin ? Je me replonge dans la guitare. Pour moi, avoir deux pratiques me permet de garder l’envie. Les musiciens avec qui je travaille maintenant m’inspirent aussi énormément. Ute Kanngiesser est une des musiciennes que je préfère. Quand je vais la voir, ou qu’elle vient dans ma chambre jouer du violoncelle, vingt minutes plus tard j’ai envie de prendre ma guitare et, toujours, quelque chose de nouveau se produit. Depuis que j’ai 15 ans, de nombreuses personnes m’ont dit quoi faire ou ne pas faire… “Fais un autre album”, “fais plus d’argent”… Ce sont des putains d’abrutis. Je suis tellement heureux de faire encore de la musique. J’ai échappé à tellement de pièges le long du chemin. Mais, c’est ma vie. Plus jeune, j’ai pris la décision de dédier ma vie à tout cet art. Donc je m’y tiens.
Entretien : Benjamin Pietrapiana