Jenny Hollingworth et Rosa Walton sortent leur deuxième album dont le titre, I’m All Ears, est un gage d’ouverture stylistique. Il s’agit d’une odyssée pop étincelante sur la jeunesse, l’amitié, le passage à l’âge adulte. En sortant de l’adolescence, elles se sont forgées chacune une personnalité après avoir joué la carte de la gémellité.
Les amies d’enfance Jenny Hollingworth, 19 ans, et Rosa Walton, 18 ans, sortent leur deuxième album et continuent pourtant d’habiter chez leurs parents. Elles se connaissent depuis qu’elles ont quatre et cinq ans. Elles ont pratiqué toutes les activités artistiques possibles et imaginables, comme la réalisation de courts-métrages, avant d’attraper la fièvre musicale. “C’est incroyable de rencontrer quelqu’un et finir par monter un groupe avec elle“, s’étonne toujours la première. Elles sont nées sous le signe des Gémeaux comme l’indiquait leur premier album I, Gemini (Moi, Gémeaux). Jenny a un an de plus que Rosa, pourtant les journalistes ont fantasmé leur gémellité. Les principales intéressées en ont joué. Elles ne le nient pas. Mi sorcières, mi fées, avec leur longue chevelure ondulée, elles ont cultivé le mystère. Le mimétisme opérait surtout sur scène dans un jeu de miroir creepy, se laissant tomber en arrière simultanément ou se tapant dans les mains dans une chorégraphie rituelle.
Leur deuxième album I’m All Ears (Je suis tout ouïe) est synonyme de changement, aussi bien dans l’apparence que l’esthétique musicale. Leur pop autrefois gothique verse dans une production plus club et industrielle. Sophie, DJ transgenre et productrice de Charli XCX ou Madonna, les épaule pour l’écriture et l’enregistrement de leurs premiers singles Hot Pink qui célèbre le pouvoir du féminin et It’s Not Just Me sur la difficulté d’entretenir une amitié quand on est tout le temps sur la route. “Nous n’avions pas de chansons comme celles-là sur notre premier album“, précisent-elles.
Tombées sous le charme de sa personnalité mutante, elles partagent son goût de la pop mainstream. L’envie de faire danser les gens, et de se lâcher une fois sur scène, les a guidées dans cette nouvelle direction artistique. “Quand vous jouez en festival, vous avez la possibilité de voir tous ces groupes incroyables, et je crois qu’on a été surprises de constater l’énergie que certains donnaient à leur public“, expliquent-elles. Avant de reconnaître : “Nous, quand les gens viennent nous voir en concert, ils ne savent pas trop quoi faire, à part rester debout, statique. On voulait que l’énergie se reflète de part et d’autre de la scène et pour cela, on devait être davantage dans l’échange“. Lors de leur dernier concert parisien, au Supersonic, en avril dernier, les deux jeunes femmes ont laissé tomber leurs bizarreries, au moins sur leurs nouvelles chansons, mais éprouvent encore quelques difficultés à dépasser leur timidité pour interagir vraiment avec le public. On reconnaît cependant l’effort d’ouverture.
Processus de guérison
Musicalement, c’est plus accrocheur. Côté textes aussi. Les paroles cryptiques du premier album ont gagné en clarté. Dans la chanson Donnie Darko, inspirée du film éponyme, elles osent parler ouvertement des troubles mentaux. Le héros de Richard Kelly souffre de problèmes émotionnels qui se traduisent par des hallucinations conscientes, des visions, consécutives à la douleur de la puberté. Elles aussi. “Maintenant je suis allongée contre les carreaux de la salle de bain, j’entends les bourdonnements du frelon pris au piège dans mon esprit d’orchidée, je suis complètement malade, ce n’est pas la vraie vie, je ne peux pas composer le 999 (numéro d’urgence en Grande-Bretagne, ndlr)”, chantent-elles. “J’en souffre depuis que j’ai neuf ans“, révèle Jenny sur le ton de la confidence. Sa volonté, en disant cela, est de sensibiliser les plus jeunes, peu ou mal orientés. Rosa est plus discrète sur le sujet et ne souhaite pas entrer dans les détails de son affliction. “Les gens pensent que ça ne touche que les ados mais c’est faux, reprend Jenny. La musique nous a toujours permis d’y faire face.“
Faire cet album faisait partie du processus de guérison. Leur dernier single Ava en témoigne. Elles tentent désespérément de venir en aide à un ami qui ne veut pas de leur soutien. Les jeunes adultes qu’elles sont devenues ont pris conscience d’une chose : qu’il est difficile de se rendre compte de la souffrance d’une personne depuis l’extérieur. Ça ne vaut pas pour leur relation, fusionnelle. « Quand vous connaissez quelqu’un depuis longtemps, dit Jenny, en particulier si vous êtes proches, comme c’est le cas pour nous, vous comprenez tous les aspects de sa personnalité. Parce qu’on est amies depuis qu’on a 4 ans, je sais expliquer pourquoi Rosa est telle qu’elle est, je peux saisir toutes les choses qui l’ont construite en tant que personne. Je la comprends mieux que quiconque.”
Et Rosa d’ajouter : “Sans ça, vous pensez qu’il y a quelque chose qui ne tourne pas rond chez vous, vous pensez que vous êtes folles, vous vous renfermez sur vous-mêmes, alors que vous n’êtes pas seule.” Elles se tiennent éloignées des réseaux sociaux pour soigner leur anxiété, mais n’excluent pas de s’en servir pour diffuser leur message de solidarité. La fuite en avant qu’elles décrivaientt dans leur toute première chanson ne résout rien. Être tout ouïe est leur nouveau sacerdoce.