Grand Blanc publie ce vendredi Images au Mur. Cet album, inflexion stylistique notable, refuse à dessein de choisir entre rupture et continuité, et traduit les questions identitaires d’un groupe très souvent étiqueté.
Depuis 2011, ce quatuor porte les espoirs d’une presse toujours pas remise de la disparition d’Alain Bashung, s’est vu coincer dans une case new wave, pas forcément inadéquate, quoi franchement limitante en 2018, et affublé de comparaisons, parfois excessives et hasardeuses.
Ils furent accablés de mots-clés, parmi lesquels “messins”, “Paris”, “new wave”, “topographique” trônaient en bonne position. Jusqu’à disparaître derrière. Ce storytelling forcément réducteur semble avoir orienté cette formation qui est bien plus que ça. La rencontre se déroule en plein été. Sur la terrasse du studio Luna Rossa. Ils préparent la tournée qui débute à la rentrée. Extérieur jour.
Comment situez-vous Images au Mur par rapport à votre précédent album ? En rupture ou en continuité de celui-ci ?
Vincent Corbel (basse) : Les deux. On est vraiment sincère mais on a l’impression d’avoir réalisé un album complètement What The Fuck. Mais je dirais que c’est une oeuvre plus ouverte plus chaleureuse, moins synthétique et un peu moins brute que Mémoire vive.
Camille Delvecchio (chant et clavier) : Je suis d’accord. Et j’ajouterais que c’est moins alambiqué, plus direct, tout en gardant sa profondeur.
Mon impression, c’est que vous avez voulu vous émanciper du storytelling qui vous accompagnait sur le début. Et qu’en conséquence, en modifiant l’ambiance générale, le rapport à la ville et à l’abstrait, vous prenez à rebours plusieurs lieux-communs à votre sujet.
Camille : Oui, Mémoire vive c’était une séquence extérieure nuit. Là, il y a vraiment autre chose. Dans Images au Mur, il y a une sensation d’intérieur, de liberté, tu peux rêver de Los Angeles. Avant, on parlait souvent de la ville, sans la nommer. Aujourd’hui, il y a Belleville, Aurore, Los Angeles.
Et sémantiquement, Mémoire vive, c’est le passé immédiat. L’exact opposé du futur proche latent dans Images au Mur, une projection, du devant soi.
Benoit : Ouais, c’est vrai… Ça a avoir aussi avec le processus.
Vous vous risquez même à proposer Rêve BB Rêve, un morceau manifestement influencé par le hip hop. Souhaitez-vous prouver que vous êtes bien plus que ce que l’on sait de vous ?
Vincent : Concrètement, cette chanson, c’est le résultat d’un trip, où je bossais un sample hip hop. Je l’ai fait écouter aux autres en leur disant: “C’est marrant, on dirait du Wu Tang”. Cinq minutes plus tard, Benoît est arrivé avec un texte et là, on s’est tous dit que ça pouvait en fait devenir une de nos chansons…. Qu’on puisse rester nous-mêmes, en faisant du fake hip hop 90’s, ça veut dire qu’on peut tout faire… C’est rassurant de se dire que Grand Blanc s’est plus qu’un style, plus qu’un genre.
Benoît : C’était précisément la première maquette d’Images au Mur… Du rap, on en écoute aussi… Sur le premier album, on avait fraichement découvert pas mal de styles musicaux. On est allés faire un tour chez les maîtres de le variet’ 80’s qui avaient fait des choses formidables, très diverses, libres profondes et littéraires… La new wave, la cold wave, les compils Born Bad, tout ça a été de grandes découvertes. Et en même temps, on a plongé dans la techno, les logiciels de MAO (musique assistée par ordinateur, ndlr). On n’a jamais été en mode : Grand Blanc ne fait que de la cold wave Et c’est vrai que cette histoire de cold wave de Metz… Bon, c’est cool, ça a été compris comme ça – il faut bien une manière de comprendre un projet – mais si tu écoutes Surprise Party, ça n’est pas du tout de la new wave. C’est un tempo de stoner… Tendresse porte déjà les traces de néo r’n’b qu’on écoutait … En fait c’est bidon, on a jamais été un groupe de new wave.
Luc Wagner (batterie) : Non, on n’a pas fait ce morceau pour que les gens se disent : “Tiens, Grand Blanc fait une chanson hip hop”.
Camille : Je ne vais pas te refaire l’histoire “On est des enfants d’internet, on a beaucoup écouté de tout grâce à Kazaa etc…” Mais c’est vrai… Il y a des trucs qui nous fascine chez des mecs comme Damon Albarn dans son projet Gorillaz. Il arrive a rester lui-même mais en touchant à tous les styles.
Benoît : On est quatre, on est amis, on n’a pas tous la même culture. Donc on bricole. On aurait aimé être des spécialistes de tel ou tel style mais c’est pas nous. Notre passion, c’est le bricolage musical.
Benoît, dans des précédentes interviews, on t’a souvent lancé des comparaisons. J’ai ressenti, qu’à un certain point, ça pouvait t’excéder.
Benoît : Bashung, ça fait plaisir, mais j’ai pas la prétention d’avoir autant de talent ni de swag qu’Alain… C’est pesant les comparaisons, même si elles sont nécessaires. S’y résoudre, c’est chiant.
Quand vous commenciez Grand Blanc, est-ce que vous aviez un idéal musical et est-ce que vous avez l’impression de toujours le poursuivre ?
Benoît : Non, mais quand on a fini les morceaux du premier disque, ça a été beaucoup de surprise. C’est un truc qui change pas chez nous: quand on fait un morceau, quand on est tous les quatre étonnés, qu’on avait pas prévu de se retrouver à tel endroit : ça, c’est un bon indicateur.
Ce sentiment de surprise est toujours aussi fort qu’avec Mémoire Vive ?
Vincent : On est dans une autre galaxie.
Benoît : Très lointaine.
Camille : Je crois qu’on ne sait pas encore trop, on n’a pas encore digéré cet album.
Luc : Tant qu’il n’est pas sorti, donné aux gens, ça reste flou pour nous.
Vincent : On finira de comprendre cet album quand on aura fini la tournée. Pour le moment, on est encore dans le nowhere.
Propos recueillis par Benjamin Pietrapiana