TOP DE FIN D'ANNÉE. Les rédacteurs de Magic délivrent tous les jours leur Top 2018, sous la forme d'une liste de 10 albums, assortie d'un texte de mise en relief. Épisode 3 avec Alexandra Dumont.
- FLAVIEN BERGER – Contre-Temps (Pan European Recordings)
- JULIA HOLTER – Aviary (Domino)
- LEONIE PERNET – Crave (InFiné)
- U.S. GIRLS – In A Poem Unlimited (4AD)
- AGAR AGAR – The Dog and the Future (Sony A+LSO/Cracki Records)
- ANNA CALVI – Hunter (Domino)
- TIRZAH – Devotion (Domino)
- SOPHIE – Oil of Every Pearl’s Un-Insides (Transgressive Records/[Pias])
- AMEN DUNES – Freedom (Sacred Bones/Differ-ant)
- BARBARA CARLOTTI – Magnétique (Elektra)
+ Mathilde Fernandez, Oubliette (extrait de son nouvel EP Hyperstition)
Honneur aux femmes. Jeunes artistes ou dans le circuit depuis longtemps, elles affichent toutes à leur manière une franche singularité. Julia Holter rivalise avec Björk avec son cinquième album, Aviary («Volière»), conçu à partir du bruit que lui inspire notre époque, et qui traduit son anxiété face au désordre climatique. L’Américaine rompt avec la forme plus directe et plus pop de son prédécesseur Have You In My Wilderness (2015), et c’est tant mieux. Ce disque jouit d’une fantaisie sans limite. Avec ses voix célestes et ses arrangements dissonants, Aviary rappelle les longues improvisations robotiques et les saturations lo-fi de ses premiers albums.
La Parisienne Léonie Pernet publie un premier album cathartique, bouleversant, mitonné à force d’acharnement. Symbole de l’aboutissement d’une quête spirituelle originelle. La musicienne, longtemps percussionniste pour les autres (Aaron, Yuksek), s’épanouit pour la première fois derrière un micro, avec une profondeur troublante. Elle se frotte même au chant lyrique en référence à Klaus Nomi (Crave) et se fantasme sous les traits de Jeanne Moreau interprétant Duras (India Song). Avec brio.
La DJ et productrice anglaise Sophie surprend par la radicalité de ses productions, qui mêlent overdose de sucre empruntée à la K-pop et âpreté de la techno indus’. U.S. Girls et Anna Calvi se distinguent par la radicalité de leur propos qui défie le regard de l’homme. La première milite pour plus d’empowerment féminin, la deuxième, pour l’avènement d’un troisième sexe. Deux disques militants conçus comme des manuels de savoir vivre.
La Britannique Tirzah est à mi-chemin entre la pop, la soul et le rnb. Sa voix est vulnérable, cotonneuse, sa musique, minimale, touchante. Son premier album Devotion est un essai sur les relations amoureuses, épanouies ou non. Une découverte qui s’écoute au ralenti, un peu comme le premier album des Français Agar Agar. Avec leurs compositions aux boucles répétitives, Clara et Armand, aux commandes, nous filent un trip sans drogue. Je ressors de l’écoute de The Dog and the Future complètement azimutée. Juste avant de sombrer dans les bras de Morphée, je m’écoute Magnétique de Barbara Carlotti. Un disque qui repose sur la collecte, minutieuse, des scénarios qui lui apparaissent en rêves. Avec sa dream machine (une création de Brion Gysin et William S. Burroughs) et ses cérémonies rituelles, dispensées aux auditeurs en même temps que la promo de son album, l’artiste joue les gourous et se fixe l’objectif de nous faire atteindre la transcendance. A condition de se laisser dériver avec elle.
Deux hommes pour compléter ce Top. L’Américain Damon McMahon alias Amen Dunes, qui enregistre des disques depuis une dizaine d’années, en groupe et en solo. Le folk-rock Freedom est son album le plus personnel. En creux, son rapport à la masculinité obligée, un sujet dont se sont également emparé Gaz Coombes et Jungle cette année, à la lecture de The Descent of Man de l’artiste plasticien et céramiste britannique Grayson Perry.
« Tu changes et ça me dévore / Je ne veux pas voir ça / Je sens que le temps nous mord », s’inquiète Flavien Berger à l’évocation d’un couple d’amoureux dévorés par l’éloignement. Contre-Temps est un beau disque, doux et tristement solaire, autour de la notion du temps qui passe et de ce qu’on en fait. Les adjectifs sont simples, mais c’est le propre des émotions quand elles sont transmises de manière aussi directe, sans poudre aux yeux. Flavien Berger s’épanche, entre le personnel et l’universel, et me touche. Prêtez une oreille attentive au morceau fleuve de 14 minutes qu’il partage avec l’artiste rnb Bonnie Banane, chef-d’œuvre de synth-pop orchestrale. Tire-larmes.
Dernière recommandation, la géniale Mathilde Fernandez et sa pop gothico-médiévale. Cette Néo Mylène Farmer est fan de métal symphonique. Oui, oui. Elle a une voix de diva d’outre-tombe qui côtoie aussi les aigus hauts perchés, sa musique est théâtralisée à l’extrême, et pourrait s’écouter au bal du diable (en référence à la série de films d’horreur Carrie). C’est déroutant et fascinant. Oubliette s’inspire de sa difficulté à sa se faire entendre en tant qu’artiste et en tant que femme. Pour illustrer ce titre au lyrisme exacerbé, elle s’offre un clip paranoïaque et fétichiste.