“Is this future or is this past ?” : Le Top 2018 de Luc Magoutier

TOP DE FIN D’ANNÉE. Les rédacteurs de Magic délivrent tous les jours leur Top 2018, sous la forme d’une liste de 10 albums, assortie d’un texte de mise en relief. Épisode 22 avec Luc Magoutier.

 

  1. SHAME – Songs of Praise (Dead Oceans)
  2. PARCELS – Parcels (Because Music)
  3. THE LEMON TWIGS – Go To School (4AD)
  4. EN ATTENDANT ANA – Lost And Found (Buddy Records / Montagne Sacrée / Trouble In Mind)
  5. LOW – Double Negative (Sub Pop)
  6. OLDEN YOLK – Olden Yolk (Trouble In Mind)
  7. BARBAGALLO – Danse dans les Ailleurs (Almost Musique / Sony)
  8. DAVID BYRNE – American Utopia (Nonesuch Records)
  9. MAKESHIFT – Makeshift (North Records / Microcultures / WW2W / Differ-Ant)
  10. MERMONTE – Mouvement (Room Records)

+ L’époustouflante et ultra-novatrice scénographie du (génial) concert de DAVID BYRNE au Zénith de Paris.

Is this future or is this past ?”, demande le personnage de Mike à Dale Cooper, lors de leur retrouvaille dans la Black Lodge, au tout début de la dernière saison de la meilleure série de tous les temps, Twin Peaks. Cette question, qui revient en boucle dans la série, symbolise la volonté de son créateur David Lynch de brouiller sa narration. À l’écran, l’action n’est pas linéaire. Elle est morcelée entre passé, présent et futur. En 2018, la musique pop a suivi le même chemin, avec évidemment moins de mysticisme, mais avec cet indémodable désir, obsessionnel et contradictoire, de marquer son temps et de durer éternellement, tout en réinventant l’héritage venu du passé.

Trois albums, dans trois styles bien différents, symbolisent ce retour vers le futur : Shame, Parcels et The Lemon Twigs. Les premiers remettent le post-punk à la mode, redonnent un élixir de jeunesse à un rock en souffrance face aux vagues rap et électro du moment, convoquent toute une histoire de la musique britannique (du Gang Of Four en passant par PiL) pour aboutir à des titres redoutables, hypnotiques, colériques et pleins d’intelligence, qui trouvent leur prolongement dans des concerts furieux et impressionnants. Songs of Praise est un shot d’adrénaline qui nous permet de faire des bons de trente ans en avant et en arrière.

Le présent chez les Australiens de Parcels se comprend comme un éternel renouvellement (voir Magic n° 212). Les cinq gars de Byron Bay changent, ajustent, bidouillent constamment chacun de leurs morceaux et refusent l’immobilisme pour finalement offrir la musique la plus excitante du moment, des concerts différents à chaque date et un premier album au groove fascinant. Enfin, les deux frères d’Addario des Lemon Twigs remettent au goût du jour une certaine idée de l’opéra-rock. Go To School est baroque, débordant d’idées, de références mais jamais dans la copie, toujours dans l’excitation de créer du neuf avec du vieux.

Mais ce sont les Américains de Low qui se sont le mieux affranchis du temps avec un Double Negative radical, noir déroutant, d’une émotion brute et formidablement inspirant. Plus tôt dans l’année, David Byrne a prouvé avec American Utopia qu’il reste l’un des plus grands génies de la pop moderne, toujours en recherche de modernité grâce à une créativité intacte et à une ingéniosité unique. Dans un format plus classique, l’acid-folk d’Olden Yolk s’est également imposé comme l’un des grands moments de 2018.

Dans cette recherche d’intemporalité, les Français ont également eu leur mot à dire, notamment avec l’énergie garage-punk d’En Attendant Ana. Le batteur de Tame Impala, Barbagallo qui, avec son troisième album Danse dans les ailleurs, a aussi inscrit son art dans un double mouvement : mêler une musique volontairement accessible (tournée vers les sixties) et des textes d’une poésie merveilleuse, en français, et qui donnent à réfléchir.

De mouvement, il en est également question chez Mermonte et Makeshift. C’est même le nom de l’album des Bretons. Leur pop fait le tour du monde à la vitesse d’un cyclone. Les Normands de Makeshift naviguent eux dans des intuitions à la fois psychés et indies et proposent des harmonies en recherche constante de secousses et de bouleversements, sans emprise sur le présent. Alors “Is this future or is this past” ? Comme Dale Cooper dans Twin Peaks, nous n’avons pas complètement la réponse. Mais notre intuition nous amène à penser que dans cette époque décloisonnée, dématérialisée et sans véritable tête d’affiche, c’est dans la pop moderne que, plus que jamais, le futur se construit.

LUC MAGOUTIER a déjà étiré son verbe entre ses grandes passions : le foot (bizarrement aussi le foot américain) et bien sûr la pop. Cet adorateur d’Arrigo Sacchi aime le jeu comme il déguste les mélodies : sophistiquées, léchées et enlevées. Passé par le service culture et web de La Croix, mais aussi par L’Equipe, quand il ne réalise pas une enquête pour Marianne, il est présent tous les jours au bureau de Magic depuis début 2018. Cette année, il a notamment signé la une du numéro 212 en dressant les spécificités du groupe Parcels et a rencontré des artistes comme Phoenix, François Atlàs ou Barbagallo.

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