Julia Jacklin propose un deuxième album, Crushing, d’une exquise élégance mais qui met en avant un son beaucoup plus intense qu’auparavant. De passage à Paris, l’Australienne de 28 ans nous a expliqué cette évolution.
Tu as grandi dans les Blue Mountains en Australie, à environ 100 kilomètres à l’ouest de Sydney. Comment es-tu devenu une artiste ? Tu as toujours voulu être chanteuse ?
Oui ! Je chante depuis que j’ai environ onze ans. C’est seulement à vingt ans que j’ai commencé à jouer des instruments. Pendant longtemps, je voulais être chanteuse mais je ne savais pas comment faire.
En 2016, à 26 ans, tu sors ton premier album Don’t Let the Kids Win. Comment décrirais-tu ton début de carrière ? Tu t’attendais à sortir un disque aussi vite ?
Oh non ! (rires) J’essaie de ne pas avoir d’attentes, même maintenant. Je me suis débrouillée toute seule, sans manager et sans label. Je ne savais pas à quoi ressemblerait une sortie d’album. Je pensais juste mettre mes chansons sur Bandcamp ou quelque chose comme ça. Donc oui, ça a été deux années assez folles.
Musicalement, quel est le plus gros changement entre ton premier et ton deuxième album?
C’était vraiment différent. J’avais beaucoup plus confiance en moi dans mon chant et pour écrire des chansons. Je comprends mieux aussi comment marche le travail en studio. Pour Don’t Let the Kids Win, j’étais un peu intimidée par tout cela. Là, j’étais beaucoup plus ambitieuse dans ma manière de faire de la musique. Sur Crushing, je voulais avoir un son très “présent”, très actuel. Je ne voulais pas faire un disque surproduit qui abuse d’effets. J’aime les disques où, quand on l’écoute avec un casque, on comprend et on entend tout ce qui se passe. Tant pis si la voix n’est pas parfaite, on sent que ça va droit au cœur.
Tes chansons sont beaucoup plus intenses, électriques, comparées à ton premier album plus folk et acoustique.
Je ressentais chaque chanson plus intensément pendant leur écriture, donc ça s’est retranscrit sur ma musique. Je pense que je vis les événements très profondément et fortement. Ce deuxième album fait référence aux deux dernières annés de ma vie qui ont changé tant de choses chez moi comme mon point de vue sur la vie ou l’amour. Ma mentalité a changé sur cet album. Même mon premier album, en live, sonnait plus lourd et plus rugueux.
Tu composes tous tes titres seule. En quoi c’est important pour toi ?
C’est ma manière de faire. Elle est primordiale pour moi. Ma musique est assez personnelle et je ne pourrai jamais collaborer directement avec quelqu’un. Cela n’a aucun sens pour moi. Mais, c’est important d’avoir un groupe qui, après l’écriture, est capable d’apporter quelque chose auquel on ne s’attendait pas. Ainsi, chaque titre que je commence est joué seule à la guitare puis je leur apporte pour les arrangements.
Pourquoi as-tu choisi de jouer de la guitare ?
Parce que c’est le moyen le plus facile pour faire des concerts ! Si je jouais du piano, ce serait tellement ennuyeux (rires). J’ai acheté ma Telecaster parce que j’étais une grande fan d’Anna Calvi à l’époque. Elle jouait avec une Telecaster sur scène. Je me disais “je veux être comme elle plus tard”. J’ai essayé la batterie aussi. C’est vraiment cool. Je ne suis pas très douée mais ça m’amuse.
Es-tu à l’aise désormais avec cet instrument ?
Non, toujours pas. Je n’ai aucune connexion romantique avec la guitare. Pour moi, apprendre la musique a été un moyen de m’exprimer, de pouvoir écrire, d’utiliser les mots. Je suis comme le jardinier avec sa pelle. Il y en a besoin pour faire le job.
Tu chantes sur Body : “It’s just my life, it’s just my body” (“C’est juste ma vie, c’est juste mon corps”. Et sur Alone : “I don’t want to be touched all the time, I raised my body up to be mine” (“je ne veux pas être touchée en permanence, j’élève mon corps pour qu’il m’appartienne”). Pourquoi as-tu choisi de parler à ce point du corps dans tes textes ?
Je n’avais pas l’intention d’en parler autant. J’écris juste à propos des choses que je ressens. J’ai passé les deux dernières années en tournée et à ne plus avoir de maison. Mon espace physique et émotionnel était devenu minuscule. Quand vous êtes en tournée, vous êtes un personnage public, vous êtes touchée tout le temps. Quand tout s’est terminé, j’étais devenu extrêmement claustrophobe. Écrire toutes ces chansons était un moyen de regagner de l’espace autour de moi. J’ai eu peur d’en demander avant.
Propos recueillis par Luc Magoutier
Photographie : Nick Mckk
Retrouvez dans notre n°213 notre dossier sur les nouvelles guitares héroïnes.