Le dandy voyageur Jalsaghar présente le premier extrait de Atypicalman, son album paru le 3 mars, un bijou d’orfèvre pop à la radieuse élégance.
Pasolini, Clémenti, Duras et Rollin hantent Spring Winter, premier extrait de l’album du parisien Jalsaghar, Atypicalman, ambitieux recueil de chansons en anglais, douces-amères ou claires-obscures, c’est-à-dire donnant des teintes crépusculaires à la sunshine pop (evening pop ?), ou mariant, comme son titre l’indique, l’hiver et le printemps, en un baiser.
“Jalsaghar signifie salon de musique en bengali, nous explique Jérémie Regnier, le musicien derrière le projet Jalsaghar. J’ai aimé la sonorité du mot et sa référence au très beau film de Satyajit Ray, Le salon de musique, qui raconte le crépuscule d’un maharadjah et d’un monde ancien, et sa passion immodérée pour la musique et la danse qui le mène à sa perte. J’aime le thème de la décadence dans les films, par exemple chez Visconti, et les pièces de théâtre, de Tchekhov, car c’est un moment d’incandescence absolue et de dérèglement en forme de bouquet final. Donc de sublime. Par ailleurs j’ai enregistré l’album seul dans le grand salon rouge d’une ancienne maison bretonne, que j’ai équipé pour le transformer en studio d’enregistrement. J’ai trouvé Jalsaghar inspirant, ouvert à un imaginaire riche, pour ces diverses raisons.”
Du fait peut-être de cette association entre confinement (le salon d’enregistrement) et grand air (la mer voisine), Atypicalman (titre de l’album jouant lui-même sur l’ambiguïté entre “a typical” et “atypical”) a autant la délicatesse feutrée de la musique de chambre que l’amplitude spatiale des vastes paysages américains. Sunshine (Harpers Bizarre, Sagittarius) ou FM (Fleetwood Mac, Supertramp), la pop de Jalsagahr respire la Californie, de Laurel Canyon à Joshua Tree, mais avec la sophistication d’un européen lettré (Pasolini, Duras, Rollin, donc), également bercé par l’école de Canterbury (Wyatt en premier lieu). Les mélodies d’Atypicalman sont donc aussi limpides que ses structures sont compliquées, les progressions créant une sorte de torpeur douce-inquiète, l’auditeur croyant parfois sombrer dans les soyeuses descentes chromatiques (sur Citizen (Tare- K) par exemple) ou les passages en mineur, comme dans un lac profond. Les nombreuses harmonies vocales, contre-chants, et une savante utilisation des claviers et boites à rythmes analogiques, en font un album à la rare élégance, redoublée par cette captivante ambivalence. La voix toujours en retrait sonne comme un signe de discrétion, d’humilité (autre élégance), au service de la musicalité.
“Atypicalman est une sorte de A.O Barnabooth (le dandy égoïste et sentimental de Larbaud parcourant l’Europe illuminée) mais du XXIe siècle, poursuit Jérémie Regnier. Un personnage en errance (chassé ou banni ?) dont le voyage est une finalité en soi. Parcourant le monde, il parcourt également sa Carte du (pas si) Tendre (que ça) et ses chansons sont autant d’étapes dans sa géographie intime (pensées, flashs, souvenirs de lieux, de ses amours, d’époques de sa vie).” Pour illustration, le clip de Spring Winter, outre des extraits de Porcile de Pasolini et du Lost in NY de Jean Rollin, contient des morceaux de films expérimentaux et de vacances en super 8. Le personnage masculin principal et les vues de rues ont été filmés à Beyrouth par Jérémie Regnier lui-même, atypique dandy chantant, qui nous fait faire là un beau voyage.
Par Wilfried Paris