Festival Variations – Temps 1 : Gisèle Vienne, Villeneuve & Morando, Apparat

Sous l’intitulé « Musiques pour piano et claviers », la troisième édition du festival Variations présente à Nantes de multiples concerts de musiques classiques, jazz, électroniques, expérimentales, improvisées ou traditionnelles. Après l’interview des programmateurs, premier temps de notre compte-rendu des festivités, sur plusieurs octaves.

 

Crowd de Gisèle Vienne – Mardi 23 avril –  lieu unique 

Variation autour d’une rave-party, la foule (Crowd) orchestrée par la chorégraphe Gisèle Vienne met en scène quinze danseurs-noctambules, saisis dans leurs différentes temporalités, rythmes intérieurs, mouvements et errances solitaires au cœur du collectif dansant. Dans cette reproduction confinée de dance-floor à ciel ouvert, sur la terre meuble et parsemée de canettes de bière, peu à peu se transformant en boue élémentaire ou poussière (« ashes to ashes »), rencontres et séparations, transes et retour à dure réalité (le sol, la gravité), empruntent à différents univers comme les danses urbaines, les films en slow-motion, la gestuelle des gifs animés ou de la robotique, captant l’essence de ces soirées où ivresse dionysiaque et solitude existentielle faisaient exploser les carcans sociaux et les inhibitions psychologiques. Ceux qui ont connu les raves des années 1990 (comme cette mythique Phantom de 1993) se souviennent peut-être de l’incroyable liberté de mouvements et d’expressions que permettaient l’explosion de la house et de la techno pour une  génération qui écoutaient autant Nirvana que Primal Scream ou Larry Heard. Sous l’effet des substances, ou de la meilleure musique de transe, les gens ne dansaient pas dans le quant-à-soi confiné des clubs d’aujourd’hui, mais, littéralement, couraient, sautaient, bondissaient, jouaient des personnages, chorégraphiaient des situations, dans les vastes hangars ou champignonnières de banlieue. C’est cette dimension libératoire, cette exultation quasi mystique que Gisèle Vienne photographie ici, usant du ralentissement pour mettre en relief les mouvements et postures, expressions du désir ou de la frustration, en scènes collectives prenant des atours religieux, comme des tableaux du Caravage (pour le meilleur, de Bettina Rheims, pour le pire) saisis par la grâce d’un spot lumineux. Parfois, sont des photos de champs de bataille (les cadavres des danseurs jonchant le sol), de résurrections (ceux-ci devenant troublants zombies), d’envols (accélérations) ou d’explosions (de canettes) qui s’impriment sur la rétine du spectateur surplombant. Par la grâce d’une bande-son son orchestrée par le musicien Peter Rehberg (comprenant Underground Resistance, KTL, Vapour Space, DJ Rolando, Drexciya, The Martian, Choice, Jeff Mills, Peter Rehberg, Manuel Göttsching, Sun Electric et Global Communication),  passant de la house hédoniste à la techno hardcore ou à l’ambient saturée, le terrain de la rave party se transforme ainsi en désert, en tranchée, en plage, ou en surface lunaire où les danseurs évoluent en apesanteur (chacun ayant une identité de départ – tigresse sexy, grand skinhead, punk à chien, fluokid –  qui évolue à mesure qu’avance le spectacle et la confrontation à l’altérité) . Ainsi transcendant l’espace et le temps,  Crowd est une fenêtre sur un lieu d’utopie éphémère, rituel cathartique où violence (réelle, psychologique) et pulsions (sexuelles, de mort) peuvent être sublimées.

Villeneuve & Morando – Finissage du Dance-Park – Jeudi 25 avril – le lieu unique

Benoit de Villeneuve (compositeur de musiques de films, guitariste et clavier chez Team Ghost) et Benjamin Morando (Discodeine, The Noise Consort) se retrouvent ici en face en face avec leurs machines (synthétiseurs modulaires, OP-1, Buchla Music Easel) pour jouer  des titres de leur premier album Artificial Virgins (2018) au cœur du « Dance-Park », installation plastique en forme de skate-park proposée par Olivia Grandville, chorégraphe associée au lieu unique. Leur musique ambient et contemplative, entre nappes ondulant vers la saturation et arpeggiators planants, déploie un paysage étrange et accidenté sur lequel viennent danser deux hommes et deux femmes, venus du public adossé aux murs tout autour de l’installation. Si la musique donne au skate park en bois des airs de dune d’un désert intérieur, les mouvements des danseurs sur cette courbe coincée entre deux plafonds, obéissent plus à la contrainte spatiale qu’à la délicate musique du duo. Gesticulations, errances désordonnées et trajectoires décousues donnent à la musique une dimension anxiogène. L’on se dit que les danseurs n’ont pas su s’approprier la douce transe technologique autrement que par des clichés de pantins désarticulés, quand des tourneries de derviches (ou de Sysiphes) auraient bien mieux rendu grâce à l’espace autant qu’aux ondulations électroniques du duo (au statisme tout à fait krafwerkien). Las, on nous expliquera ensuite que les danseurs ont plaqué des routines issues de spectacles précédents, sans réelle rencontre avec les musiciens. C’est en effet ce qu’on aura vu, une absence de rencontre, et deux propositions : il fallait fermer les yeux pour apprécier la musique, ne pas écouter pour apprécier les danseurs.

Apparat (live) – jeudi 25 avril 2019 – Warehouse (Hangar à Bananes)

Apparat présente dans ce club de Nantes aux multiples propositions (un live de Manau bientôt !) son premier album solo depuis Krieg Und Frieden, sorti il y a six ans. Sur LP5, Sascha Ring collabore avec le violoncelliste Philipp Thimm, également présent sur scène aux côtés d’un groupe complet (batterie, percussions, basse, guitare), Apparat chantant d’une voix haute et émotionnelle, sur des tapis foisonnant d’orchestrations, acoustiques et/ou électroniques. De moins en moins adaptée au dancefloor, la musique d’Apparat ressemble ici à des fragments de répétitions, bribes de morceaux décousus, ambitieusement arrangés mais incapables de transporter. Cordes passant du pizzicato aux ondulations orientalisantes, percussions dans tous les coins, rythmes destructurés, incompréhensibles intentions, entre deux tables basses siglées Belvédère, on a bien du mal à adhérer à la profusion sonore du live, quand les productions discographiques d’Apparat (ou au sein du groupe Moderat) distillent détails et des nuances qui appellent autrement l’attention. Les fans semblent apprécier, les profanes s’ennuyer. Comme je n’ai jamais été trop fan, je préfère rentrer me coucher. A bien vite pour la suite.

Par Wilfried Paris

Festival Variations – Musiques pour piano et claviers

Du mardi 23 au mardi 30 avril 2019 à Nantes

DEAD CAN DANCE / GISÈLE VIENNE « CROWD » / VILLENEUVE & MORANDO / MAYA DUNIETZ / APPARAT (LIVE) / GABRIEL KAHANE / YARON HERMAN TRIO / UNICORN / JAMES MCVINNIE / CÉLIMÈNE DAUDET / FREDDY EICHELBERGER / NITAI HERHKOVITS / PIERRE RIGAL « SUITES ABSENTES » / VICKY CHOW / AUM GRAND ENSEMBLE & ENSEMBLE O / STRADIVARIA / SALOLI ETIENNE JAUMET / AHMEDOU AHMED LOWLA / GAELLE COULON / NICOLAS HORVATH / MICKAEL LEVINAS / EVE RISSER / EKLEKTO & ENSEMBLE O / SAMUEL BORÉ / TERRY TILEY & GYAN RILEY

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