Adrian Younge et Ali Shaheed Muhammad donnent ce samedi au New Morning (Paris), une représentation de leur "Midnight Hour", coup de cœur Magic dans notre numéro 210 en juillet 2018. On s'y retrouve.
On pourrait, sans trop se tromper, ranger Adrian Younge parmi les champions du rétropédalage artistique – ces obsessionnels de la re-création qui, à l’ère du désenchantement, préfèrent garder les yeux braqués sur le rétroviseur, le papier calque à portée de main. Ce serait éclipser l’essentiel. Car là où beaucoup de ses contemporains se mettent le doigt dans l’œillère en proposant un revivalisme bête et vain, Adrian Younge prouve depuis bientôt dix ans que les vieux pots peuvent encore abriter les meilleures mixtures.
Depuis son studio strictement analogique de Los Angeles, ce sorcier rétro-soul élabore avec une constance désarmante une musique à la fois ultra-référencée et parfaitement audacieuse. Un travail d’orfèvre qui sait tirer la sève d’un certain âge d’or de la soul (confiné entre les années 1968 et 1973 selon l’intéressé) sans y prendre racine. Nouvelle preuve avec The Midnight Hour, sa livraison fomentée avec Ali Shaheed Muhammad, l’ex-producteur et DJ de feu A Tribe Called Quest (1988-2017). Deux ans après la bande originale de la série Marvel Luke Cage, les deux artistes récidivent avec cet album-concept en forme d’hommage au mouvement Harlem Renaissance.
On passera sur les subtilités de ce renouveau de la culture afro-américaine qui secoua le quartier new-yorkais de Harlem dans les années 20, pour s’en tenir au seul vestige de l’époque qui irrigue finalement les sillons de ce disque : son esprit d’émancipation. Malmenée, transformée, mais toujours vivace, la Great Black Music – qui était en pleine démocratisation dans les twenties – est parvenue à se hisser jusqu’à notre décennie. Plus qu’aucun autre projet d’Adrian Younge, The Midnight Hour en déroule le fil. Depuis le post bop de Coltrane et Davis jusqu’au hip-hop de Kendrick Lamar.
Ce rembobinage fantasmé élargit le spectre de l’artiste qui, exceptée la parenthèse électronique et expérimentale The Electronique Void en 2016, avait toujours fait son miel de cette même soul psyché early seventies. Qu’on se rassure : les fantômes de Curtis Mayfield et d’Ennio Morricone ne sont jamais loin.
L’inaugural Black Beacon, entre autres, installe un climat d’intrigue familier dans la pénombre des meilleures B.O. de séries B. Avec le concours d’un orchestre, les compositions savantes des deux hommes gagnent en ampleur. Comme sur Mission où des cuivres longtemps tapis dans l’ombre finissent par prendre en filature une section rythmique sinueuse et imprévisible. Ailleurs, ce sont des motifs de wah-wah qui rappellent les films de blaxploitation (Do it Together) tandis que la charmante ballade Smiling for Me chantée par Karolina – entre autres artistes néo-soul invités à défiler derrière le micro – lévite sur des cordes pleines d’allégresse. Des arrangements luxuriants qui enveloppent aussi des beats boom-bap (Better Endeavor) ou des saxophones free jazz (Possibilities).
Ce disque à maturation lente – entamé en 2013 avant d’être court-circuité par d’autres projets – est à placer au même niveau d’excellence qu’un Something About April (2011). Comme lui, il repousse la date de péremption d’un zénith soul qui, décidément, ne se borne pas à la période 1968-1973. Adrian : c’était mieux avant, tu en es certain ?
THE MIDNIGHT HOUR : ALI SHAHEED MUHAMMAD / ADRIAN YOUNGE
The Midnight Hour
(Linear Labs) – Paru le 29 juin 2018
En concert à Paris le samedi 4 mai
Au NEW MORNING – Ouverture des portes à 20 heures