En visite à Montréal pour apprécier le penchant pop du FIJM, Magic a eu l’occasion de prendre des nouvelles de Connan Mockasin et Courtney Barnett, dont les derniers albums (Jassbusters et Tell Me How You Really Feel) figuraient parmi notre top 100 de 2018.
Douce canicule sur Montréal en ce début juillet. Les vents nordiques et les déneigeurs ont laissé place à un soleil radieux, à faire bouillir le bitume du boulevard René Levesque. Il faut suivre les quelques rues ombragées adjacentes pour rejoindre la place des Arts, centre névralgique de la ville et de son Festival International de Jazz de Montréal qui fête cette année – excusez du peu – son quarantième anniversaire. Petit frère du Newport Jazz Festival, né une vingtaine d’années plus tôt, et situé à quelques centaines de kilomètres, par delà la frontière américaine, le FIJM a gagné ses galons sans rien avoir à envier à ses concurrents. Devenu l’un des rassemblements musicaux les plus importants de la planète avec ses 450 concerts étalés sur dix jours, tout en interdisant les stands commerciaux touristiques sur le site – un vrai luxe pour évènement qui rassemble chaque soir environ 20 000 personnes rien que sur la place des Arts – le FIJM peut avant tout se targuer d’une programmation gratuite en extérieur conséquente. Et si le jazz y est représenté sous toutes ses coutures, en véritable locomotive, son ouverture vers la pop actuelle n’est pas à prendre à la légère.
“You are all under arrest”
Première confirmation au Club Soda. Dans cet ancien cabaret reconverti en théâtre lounge, face au café Cléopâtre et ses strip-teaseuses, Connan Mockasin prenait ses quartiers le jeudi soir et faisait de Montréal une cité balnéaire de premier choix. La jeune populace agglutinée devant l’entrée ne s’y est pas trompée : jamais l’Amérique du Nord n’avait compté autant de chemises tropicales au kilomètre carré. La musique a parfois ce pouvoir magique de métamorphoser tout un écosystème. Sur les comptoirs, voyez un peu : des Tequila Sunrise, Pina colada et Kahlua, une liqueur mexicaine, comme s’il en pleuvait. Porté par un hypnotique roulement de batterie, Connan, béret vert et étrange demi stratocaster bleue pailletée au son noyé dans le chorus, est assis. Son élégance n’est plus à démontrer, ce soir là, il ajoute à la rondeur de Faking Jazz Together la grâce d’un sifflement pareil à celui d’un rouge-gorge. Le très charnel It’s Choade My Dear plonge le Soda dans une atmosphère moite, plus exacerbée encore que sur la version de Forever Dolphin Love (2010). Avec les années, le blondinet néo-zélandais s’est mué en un personnage mystico-érotique. Torse nu au milieu du set, Connan le bluesman transforme sa guitare en pedal steel guitar, son verre de vin en bottleneck, avant de se visser une casquette de gendarme sur la tête et de mimer une arrestation du public. “You are all under arrest”, lance t-il. Il y a d’ailleurs du Stevie Ray Vaughan dans son jeu. Forever Dolphin Love est repris en choeur par une bonne partie de l’audience et le morceau s’emballe dans une version hallucinée sous speed.
Le lendemain après-midi, c’est sur le Plateau Mont-Royal que nous faisons escale, quartier branché où se trouve le bar Escogriffe, fief de la scène garage locale où l’on croise les organisateurs du festival psychédélique Distorsion qui a lieu chaque année début mai dans une église du Miles-End. L’accueil est chaleureux, l’intérieur de l’Escogriffe, un demi sous-sol typique du quartier, rappelle les ambiances plus hivernales du nord canadien, avec ses murs épais en pierre et ses petites lucarnes qui donnent sur l’extérieur et que l’on imagine recouvertent de neige. On nous conseille d’aller rendre visite aux camarades qui s’occupent du Marché des Possibles, installation éphémère organisée par Pop Montréal dans un parc à quelques centaines de mètres, où l’on déguste des huîtres, de la cuisine vegan, devant des concerts gratuits : Efy Heeks, Bodywash et Absolutely Free assurent leur prestation. Petit détail : ici, personne n’a oublié que la ville tolère la consommation de cannabis depuis peu. Le Marché des possibles est une synthèse parfaite du “cool” montréalais. On ne voudrait plus repartir.
Courtney, prêtresse soft grunge
Mais pas le temps de planer, il faut rejoindre le coeur de la ville et la rue Sainte Catherine où Courtney Barnett est à l’affiche du Mtelus. L’ambiance est proche des soirs de matchs de hockey : des couples se partagent des canettes de soda et portent les mêmes t-shirt de Bruce Springsteen. De la musique country, Janie Jones des Clash et Psycho Killer des Talking Heads nous rappellent qu’on est bien à un concert de rock, et pas à une finale de Division Atlantique entre les Maple Leafs de Toronto et les Red Wings de Detroit. Trois amplis Fender, massifs mais classiques, attendent au milieu de la scène. Courtney, prêtresse du soft grunge, fait son entrée. “The city looks pretty when you been indoors”. Trois ans après Sometime I Think and Sit, and Sometime I just Sit, l’australienne présentait Tell Me How You Really Feel en 2018. Un an après, quelques titres sont déjà repris en choeur par le public montréalais. Qui d’autres qu’elle peut soulever un stade entier avec du low-fi boosté à mort, un soir de match ? “Bonsoir, ça va ?”, amorce t-elle avec son accent Aussie. Sa nonchalance aura-t-elle raison de ses guitares qu’elle maltraite les unes après les autres ? Sur Small Talk, single sorti en 2018, elle alterne le propre et le sale, la grâce et une gouaille toute dylanienne, avant de claquer un solo mélodique. Guitare héroïne aussi gauchère que Kurt Cobain – elle lui emprunte quelques gimmicks, du genre à cracher derrière les amplis comme un homme ou se pencher la tête en arrière en plaquant ses accords. “This next song is very serious”. Need A Little Time, Hopefulessness, Nameless, Faceless, toutes ses merveilles pop sont gonflées à bloc pour le live. Elle transforme sa voix sensible et fébrile en grognements gutturaux, fait des bends à la Sonic Youth, et arpente la scène d’un bout à l’autre. De son compagnon de route Kurt Vile, elle reprend Peeping Tomboy, avant de revenir, une fois, puis deux, sous des applaudissements persistants.
Peu convaincu par le final de Matt Holubowski, chanteur québécois à la folk lyrique pompeuse, on quitte Montréal avec la conviction que Connan et Courtney, Néo zélandais pour l’un, Australienne pour l’autre, sont les meilleurs ambassadeurs pop que l’Océanie puisse compter.