Les quatre membres de DIIV ont quitté New York pour enregistrer "Deceiver", à Los Angeles. Un troisième album aux compositions complexes et denses qui s’avère calibré, honnête et intime, affirmant un peu plus encore le talent d’écriture de l’âme sensible du leader Zachary Cole. Retour sur la genèse de ce bel album avec ce dernier et le bassiste Colin Caulfield.
Même si vous avez enregistré votre nouvel album à Los Angeles, vous avez toujours ce son new-yorkais. Qu’est-ce qui en fait une ville si spéciale musicalement parlant ?
Zachary Cole Smith : Vivre à New York en tant que musicien, c’est très difficile. La compétition qui y a lieu rend la création nécessaire. Mais c’est la ville d’origine de notre groupe et ça le restera toujours. J’ai l’impression que le train de vie que tu y as mené ne disparait jamais de ton esprit. Ça reste une partie de ton caractère. Pour le meilleur comme pour le pire.
Vous avez commencé ce groupe sans formation musicale, sans maîtriser vos instruments. Est-ce qu’avec le temps, vous avez cessé de douter de votre valeur en tant que musiciens ?
Colin Caulfield : Aucun d’entre nous n’est très bon en théorie… J’ai pris quelques cours à la faculté mais je n’ai jamais vraiment étudié la musique dans une école. Et en tant qu’autodidactes, on n’est pas obsédés par la technique. Je pense qu’elle nous enlèverait cette naïveté nécessaire à une création musicale émotionnelle. On est tous devenus meilleurs en expérimentant.
Zachary Cole Smith : L’apprentissage était une grande partie du processus de création de ce nouvel album. Colin et Andrew avaient un peu plus de background musical lorsque nous avons monté le groupe. Ça a toujours été génial de collaborer ensemble parce qu’on se complète dans nos connaissances et nos capacités. Mes idées sont souvent un peu brutes et parfois on peut en faire quelque chose, d’autres fois pas vraiment… Ils m’aident à m’en rendre compte.
Vous avez annoncé vouloir faire perdurer la “musique à guitare”. Vous n’avez jamais eu envie d’aller vers autre chose ?
Zachary Cole Smith : Nous sommes un groupe à guitares : faire autre chose serait assez malhonnête. On a déjà essayé les synthés par-ci, par-là, mais on s’est rendu compte que ça ne nous ressemblait pas, que c’était plus cohérent de rester à la guitare. C’est le son de notre groupe, finalement.
Cole, tu as beaucoup joué de guitare acoustique dernièrement. Qu’est-ce qu’elle t’apporte de plus que la guitare électrique ?
Zachary Cole Smith : La guitare acoustique a une couleur différente. Pour certains accords, c’est un meilleur choix. À chaque fois que nous voulions un son plus chaleureux, pour habiller et remplir l’espace, nous utilisions la guitare acoustique. On ne voulait pas accumuler trop de couches de guitares électriques pour éviter les redondances.
Colin Caulfield : Oui, les couches de guitares électriques s’entrechoquent alors que la guitare acoustique peut à elle seule remplir l’espace sonore, sans empiéter sur le reste.
Zachary Cole Smith : J’ai joué beaucoup de guitare acoustique, par nécessité, entre Is the Is Are (2016) et cet album. C’était tout ce que j’avais en cure de désintoxication… L’utilisation de guitares acoustiques permet de distinguer de véritables chansons dans cet album, plus que par le passé. Tu peux les reprendre, jouer les accords, les chanter. Ça a moins à voir avec la production ou l’atmosphère.
Colin Caulfield : Ces chansons, d’ailleurs, évoquent de grands chanteurs comme Elliott Smith. Quand elles deviennent très bruyantes, il y a cette guitare acoustique qui souffle au fond et qui ancre l’ensemble. Pendant l’enregistrement, elles nous paraissaient vraiment inachevées sans la guitare acoustique.
Zachary Cole Smith : La guitare acoustique a permis de trouver un équilibre dans la sensation d’écoute à 360 degrés. Elle complémente le son assez aigu des cymbales.
Cole, tu as avoué avoir mis beaucoup de monde dans des situations compliquées. Est-ce que Deceiver est un moyen de te faire pardonner par les autres membres du groupe ?
Zachary Cole Smith : Oui, cet album est cathartique, un moyen de prendre mes responsabilités, de me faire pardonner pour ce que j’ai fait aux gens.
Colin Caulfield : Deceiver nous a permis de recommencer à zéro, d’oublier certaines choses que l’on a pu se dire ou faire. On est restés pour la musique, en famille. Rien d’autre ne compte tant qu’on continue de surpasser les problèmes ensemble. Travailler sur ce disque était un moyen non verbal de remédier à la situation… La communication verbale n’est pas forcément la bonne manière de résoudre tous les problèmes. La musique, c’était le moyen de se retrouver et de se rapprocher.
Zachary Cole Smith : Oui, on se parlait à travers la musique, en discutant de nos chansons, des chansons des autres, en mettant nos égos de côté, en se disant avec franchise ce qui nous plaisait ou quand ça n’allait pas… Et en jouant beaucoup. Ça a été la clé pour aller de l’avant malgré le passé difficile du groupe.
Comment l’écriture de cet album s’est-elle passée au quotidien ?
Colin Caulfield : On l’a écrit en différentes phases. On a commencé par rassembler nos démos qu’on a ensuite beaucoup répétées et modifiées. On essayait différents tempos, différents assemblages. Ça nous a pris des mois. Avec Cole, on a ensuite travaillé les mélodies et les harmonies vocales chez lui avec un microphone tout pourri. Ça représente beaucoup de tentatives et d’erreurs. Cole a ensuite écrit toutes les paroles seul. Tout a été très simple, on n’avait jamais autant collaboré. Une fois qu’on a décidé de la direction à prendre, qu’on savait à quoi cet album devait ressembler, comment il devait sonner, tout est devenu fluide. C’est rare d’avoir une collaboration aussi saine. À chaque fois que j’essayais d’écrire une chanson pour DIIV et que je croyais l’avoir terminé, le groupe était là pour demander à ce qu’on la retravaille, pour dire que ce n’était pas assez bien et qu’il fallait aller plus loin.
Zachary Cole Smith : On est tous des musiciens très différents, nous n’avons pas du tout la même oreille. Parfois, j’arrivais avec du matériel en me disant : “Je sais que Colin ou Ben va détester… Je dois trouver comment le vendre, comment le défendre.” Si je n’arrivais pas à le faire accepter, il fallait en discuter, trouver un compromis. Même si nous sommes en désaccord, nous arrivons toujours à prendre une décision. Sonny (Diperri, ingénieur du son ayant travaillé avec My Bloody Valentines, NDLR), notre producteur, nous a d’ailleurs beaucoup aidés pour ça. Et puis, on avait un veto chacun.
Pour moi, votre premier album (Oshin, 2011) est abstrait, le second (Is The Is Are, 2015) très intime. Comment décririez-vous ce troisième long format ?
Zachary Cole Smith : Je dirais plutôt que le premier album est universel et abstrait. Ça pouvait être à-propos de n’importe qui, n’importe quoi. Avec du recul, le second album était lui plus superficiel. Il était intime, personnel et instantané mais il y avait aussi beaucoup de pipeau… Je pensais savoir, je pensais avoir pris mes responsabilités, avoir changé mais ce n’était pas le cas. Après cet album-là, ça a mal tourné, j’ai touché le fond… J’avais besoin de reconstruire ma vie, mon groupe. Deceiver, notre nouvel album, est encore plus intime et personnel, parce qu’il dit la vérité.