Dans leur quatrième album, "Lahs", paru en octobre 2019, les Allah-Las nous offrent une musique polyglotte et exotique. Le groupe du chanteur-guitariste Miles Michaud est toujours habité par ses penchants pour le doux psychédélisme rétro et la réverbération sacrée.
Être présent dans le passé, ou passé dans le présent ? Tel est le dilemme que la musique du quintette Allah-Las, substrat actuel de culture passée, nous pose. Comme frappée par un spleen baudelairien, chauffée par le soleil californien et baladée par de quiètes vagues, leur musique raconte les amours, perdus, absents ou impossibles, la mort, la nature dans toute sa splendeur, sa grandeur et l’insignifiance à laquelle elle nous renvoie. À coups de guitares carillonnantes et d’harmonies aériennes, elle évoque aussi leur ville natale, Los Angeles la belle, ses plages sauvages, ses palmiers impressionnants et ses mouettes aux cris stridents. Miles Michaud et le bassiste Spencer Dunham sont revenus pour Magic sur ces beaux éléments qui nourrissent leur univers.
Vous pouvez me parler du concept de carte postale derrière ce nouvel album ?
Miles Michaud : Notre batteur Matt (Correira, ndlr) et Robbie (Simon, ndlr) qui s’occupe de nos artwork essayaient de trouver un concept pour notre pochette. Sachant qu’il y a une chanson en portugais, une en espagnol et une autre qui intègre de la poésie japonaise… Cette variété de textures et de sons nous a donné cette impression que chacun de nos titres venait d’un endroit différent. Voyager est une partie si importante de notre vie que ça nous a semblé approprié et logique de faire de cet album une carte postale. C’est une série de souvenirs de différentes époques et lieux. Et puis, Spencer collectionne les cartes postales depuis très longtemps, il a une collection impressionnante.
Pouvez-vous me parler du morceau chanté en portugais, Prazer Em Te Conhecer ?
Miles Michaud : Le titre veut dire “enchanté”, “ravi de te rencontrer”. Ce n’est pas la plus profonde de nos chansons, c’est ce qui pourrait être écrit sur une carte postale. Une pensée simple, en somme.
En quoi Los Angeles joue-t-elle un rôle dans la composition de votre musique?
Spencer Dunham : Tout ce qu’on a fait ne pouvait être possible qu’ici. Grâce notamment aux gens qu’on a rencontrés, Dan Horne (producteur de Worship The Sun paru en 2014, ndlr), Nick Waterhouse, les studios dans lesquels on a enregistré, tous ceux qui nous ont aidés… Il y a une vraie communauté de musiciens inspirante et dynamique.
Miles Michaud : On a grandi dans la banlieue de Los Angeles et lorsqu’on a commencé à conduire, on a découvert la liberté. On séchait les cours pour aller dans le centre ville, trainer là où “ça se passe” et se faire des amis qui ont les mêmes centres d’intérêts. C’est en ça que Los Angeles est actrice à part entière de notre musique. À San Diego, le résultat n’aurait pas été le même.
Spencer Dunham : Dans certaines de nos chansons, cette influence est vraiment tangible. 200 South La Brea (sur Calico Review, paru 2016, ndlr), que j’ai écrite, évoque un endroit précis à Los Angeles. Il y a aussi Catalina (sur Allah-Las, paru en 2012, ndlr) qui parle d’une île toute proche de Los Angeles.
Vous avez choisi ce nom de groupe pour son aspect sacré et spirituel notamment. Pouvez-vous m’en dire un peu plus ?
Spencer Dunham : À l’époque où l’on a démarré le groupe on avait urgemment besoin d’un nom pour pouvoir commencer à jouer en public. Il se trouve qu’à ce moment-là, on écoutait des groupes comme Spiritualized, The Jesus and Mary Chain, Spaceman 3, The Shangri-Las… Ça nous a inspiré, quand l’un d’entre nous a suggéré Allah-Las ça nous a parlé.
Miles Michaud : Allah-Las, ça sonne respectueux, sacré, comme une chanson. La sonorité de ce nom est ce qui nous a le plus convaincu. Les groupes mentionnés par Spencer jouent jouent aussi souvent une musique spirituelle, avec un côté mystique. La cohérence entre le nom de ces groupes et leurs musique leur donne du poids, de la profondeur et un certain mystère. On s’est dit qu’Allah-Las aurait la même résonance, le même effet.
Ce que vous évoquez dans votre musique, comme la nature et les émotions, me fait penser au romantisme du XIXe siècle… C’est une comparaison qui fait sens pour vous ?
Miles Michaud : Absolument. Personnellement, je me sens rattaché à ce mouvement littéraire.
Spencer Dunham : Ah ouais ? Et qui est ton auteur préféré de la période romantique ?
Miles Michaud : Euh… Robert Frost, un type de la Nouvelle-Angleterre, et Walt Whitman ! Parler de communion avec la nature et de son aspect religieux, c’est quelque chose que j’ai toujours admiré et essayé de faire. À l’exception de Pedrum, l’autre chanteur-guitariste, on surfe tous et c’est un toujours moment sacré et inspirant.
Dans l’essai Rétromania, Simon Reynolds pointe du doigt le phénomène rétro dans la musique en particulier et se demande si le rock s’épuise à force de nostalgie. Qu’en pensez-vous ?
Spencer Dunham : C’est un Français, un Américain ?
Miles Michaud : Un Anglais, sans aucun doute. Il n’y a qu’eux pour écrire des essais comme ça. (Rires) Il doit y avoir une validité dans ce concept mais j’espère qu’il ne dit pas qu’en étant nostalgique on ne peut pas créer, ce serait ridicule. Il y a des centaines de milliers de manières de réinterpréter ou d’utiliser le passé, d’être créatif à partir de celui-ci. Il est possible de répliquer ce qui a déjà été fait dans le passé et de ne rien apporter de nouveau, tout comme il est possible d’ajouter une pierre à l’édifice… Ça sonne tellement british comme réflexion et comme questionnement. Pour moi apprendre le passé, mais ne pas en répéter les erreurs, c’est de la sagesse. C’est vrai, qu’au Royaume-Uni, on peut observer cette retromania, mais je pense qu’utiliser l’histoire pour en nourrir le futur, c’est une bonne méthode de création.
Votre côté rétro vient justement de votre usage de la réverbération. Qu’est-ce qui vous plait tant là-dedans ?
Spencer Dunham : À Londres, il y a quelques jours, on était dans un théâtre. Un claquement de doigt s’y entendait pendant des secondes entières, le son rebondissait et perdurait. Il y a quelque chose de spécial, de magique dans cet effet sonore. Les architectes du passé savaient que c’était un outil puissant.
Miles Michaud : Ça sonne colossal, impressionnant et important. Mais ce n’est pas du tout la raison pour laquelle on en arrose notre musique, on fait plutôt ça pour que personne n’entende les erreurs. (Rires) Mais c’est beau !
C’est quoi votre truc avec les morceaux instrumentaux ? Il y en a un certain nombre dans votre discographie.
Spencer Dunham : Parfois, quand tu as une bonne chanson, y ajouter des paroles détourne l’attention de sa structure, sa richesse. Ça peut être vraiment superflu. Par exemple pour Roco Ono, je ne peux imaginer de paroles qui ajouteraient quelque chose… Quand une partie instrumentale est assez forte seule, ça ne sert à rien d’en rajouter. C’est l’une des choses les plus difficiles avec l’enregistrement digital de nos jours : ne pas trop en faire. On peut tellement ajouter de couches de son que c’est devenu compliqué de faire simple, de savoir s’arrêter. Et puis, c’est agréable d’écouter de la musique sans que quelqu’un y raconte quelque chose.
Miles Michaud : On séquence nos albums pour qu’ils soient écoutés dans leur ensemble, ces parties instrumentales sont des aussi des breaks que l’on trouve nécessaires.
J’ai entendu dire que le titre de l’album, Lahs, venait du fait qu’on écrivait mal votre nom de groupe…
Spencer Dunham : Ça arrive constamment.
Miles Michaud : Tout le monde se trompe, y compris les gens avec qui on travaille.
Spencer Dunham : Au bout d’un moment on s’est dit qu’il fallait l’accepter, que ça ne devait plus nous ennuyer.
Miles Michaud : Donc cet album s’appelle Lahs. Et peut-être qu’on va s’appeler Lahs à partir de maintenant… Qui sait ?
D’ailleurs, ça veut dire quoi Lahs ?
Spencer Dunham : Ça doit sûrement vouloir dire quelque chose.
Miles Michaud : Rien. C’est comme les Shangri-Las. C’est un lieu imaginaire historique. Les Shangri-Las ont ajouté un s à la fin. Et puis il y a The La’s, un groupe britannique des années 80. “Las” ne veut rien dire en soit, c’est juste un son.
Vous êtes dans le circuit depuis un certain temps maintenant. Qu’est-ce qui a changé par rapport à vos débuts ?
Miles Michaud : On a commencé en 2008 et à ce moment, on avait la vingtaine et on n’imaginait pas que ça deviendrait notre « travail ». On voulait juste prendre notre pied en jouant ensemble, mais depuis ça a été une déferlante. Aujourd’hui, on a la trentaine : c’est un âge de grands changements pour tout le monde, pas que pour nous ! (Rires)
Avec du recul, y a-t-il des choses que vous auriez faites différemment ?
Miles Michaud : Évidemment qu’on aurait voulu faire un tas de choses différemment… Mais en même temps, on est reconnaissants d’en être arrivés là. Ce soir (le 4 octobre, ndlr), on joue à l’Élysée Montmartre et c’est complet ! C’aurait été dommage de faire les choses différemment finalement.