Ce premier album de Lesneu, paru sur l'AOC brestoise Music For The Masses, place directement la formation parmi les grands de la bedroom pop hexagonale. Un coup de cœur de notre numéro 220.
Faire un bel album, ça tient finalement à peu de choses. Avoir une technique instrumentale un peu plus évoluée que la normale, construire des chansons qui se démarquent un tant soit peu de ses contemporaines, ou tout simplement posséder une voix remarquable qui recouvre toutes vos créations d’une couche d’or auditive. C’est ce dernier chemin qu’a choisi d’embrasser Victor Gobbé, ce Midas du Finistère, lorsqu’il s’échappe de ses Glisseurs Tranquilles (Slow Sliders, en version originale) pour goûter à une autre forme de quiétude. Celle de sa chambre d’enfance, dans la maison familiale de Lesneven (campagne finistérienne) où il compose de sobres mais stupéfiantes mélopées sentimentales au milieu de posters Goldorak et de Légos mal rangés, sous l’alias de Lesneu. Alors qu’Édouard Baer, dans le rôle d’Otis dans Astérix et Obélix Mission Cléopâtre, chantait la vie, Lesneu préfère chanter l’amour tout en ressuscitant la période Devotion-Teen Dream de Beach House dans une exquise bedroom-dream pop (ou beddream-pop ?) à même de chatouiller aisément les glandes lacrymales. Après une première croisière en solitaire, l’EP Lovin’ sorti en décembre 2017 sur Music For the Masses, AOC brestoise toujours fidèle au poste, et une tournée en accompagnement de Miossec, Victor s’est constitué un équipage pour fendre les mers et les cœurs ensemble. Et donc donner naissance à ce Bonheur et Tristesse. La singulière ouverture quasi éponyme, aux allures de mirage et aux incantations féminines étouffées chantant inlassablement «bonheur ou tristesse ?», dévoile un album en clair-obscur et à la recette simplissime. Un orgue Yamaha-PS20, déniché pour vingt euros dans un vide-grenier, crée cette atmosphère onirique qui infuse tout le disque de sa langueur, à laquelle viennent s’arrimer une basse et une batterie aussi classieuses que minimalistes pour ne pas trop perturber nos rêves. Ainsi que des guitares qui sont tantôt jouées en riffs déchirants dans tous les sens du terme (Shocked et son allure de course-poursuite nocturne, l’amusante candeur qui se dégage de King’s Fool), tantôt en arpèges cristallins (les lignes qui s’entremêlent et s’entrechoquent dans Again rappellent le meilleur d’Alex Scally). Rien de plus. Enfin, si. Une voix, comme évoqué en introduction. Une voix de crooner un peu gauche mais terriblement attachante, qui tenterait désespérément d’avaler sa timidité afin d’inviter la personne qui lui plaît à l’accompagner au bal de fin d’année, ne trouvant d’autre moyen que de lui chanter ses sentiments. Bal de fin d’année où Lesneu serait plus qu’à son aise au milieu de la scène, avec ses claviers, tant il affectionne réhabiliter l’exercice un peu dévalué du slow à l’ancienne, celui qui se danse tête sur l’épaule d’un être cher, impression dégagée par Girls Night et sa touchante ambiance feutrée. Bonheur ou Tristesse vous fera tout simplement chavirer dans un océan d’émotions. Et jamais noyade n’aura été aussi douce.