Avec "La Battue" des Marquises, l'album éponyme de Muzz, "Head Above The Water" de Brigid Mae Power et "Première Partie" d'Ali Danel, Magic vous a sélectionné les sorties importantes de ce vendredi 5 juin
LES MARQUISES – La Battue
(LES DISQUES NORMAL)
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Ce nouveau disque des Marquises, le plus réussi d’une discographie jamais avare en grands moments enthousiasmants, vient confirmer qu’avec Jean Sébastien Nouveau, on tient assurément un des compositeurs les plus aventureux de la pop hexagonale. Sans jamais l’appuyer, sans jamais rien affirmer, La Battue dit beaucoup de l’incertitude de notre époque, de nos peurs viscérales ancrées dans nos chairs meurtries. Comment ne pas voir dans cet acte de solitude, à la base de la création de cet objet sonore singulier, une forme d’allégorie de nos vies un temps confinées, de cette essence ramenée au strict nécessaire, de cette urgence à se confronter à soi et seulement soi ? Tout au long des neuf titres, Jean-Sébastien Nouveau nous transporte dans un univers plein et entier, d’une cohérence qui ne faillit jamais. Poursuivant encore et toujours les mêmes obsessions, cette fascination pour les percussions africaines que l’on entendait dès Lost Lost Lost (2010) et ses images hallucinées, comme extraites d’un film de Werner Herzog, Jean-Sébastien Nouveau est un musicien qui creuse encore et toujours le même sillon, un monomaniaque du détail, comme certains peintres poursuivent toute leur vie la même forme, la même couleur, la même énergie, pour permettre à leur vision de venir corrompre notre réalité. Jean-Sébastien Nouveau, avec Les Marquises, poursuit cette démarche, un corrupteur de notre temps, un révélateur de nos faiblesses et de nos manques. Un coup de cœur Magic.
MUZZ – Muzz
(MATADOR RECORDS)
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La tessiture de Paul Banks est reconnaissable entre mille. Soutenue par une basse frappante, elle s’harmonise à l’excellence dans la formation Interpol. Elle se tonifie sur ses délires avec RZA (Wu-Tang Clan) sous la bannière Banks & Steelz. Mais sur ce nouveau projet collégial et analogique baptisé Muzz aux côtés de Matt Barrick (The Walkmen) et Josh Kaufman (Bonny Light Horseman), elle va chercher au plus profond de son envergure pop. À la fois clairsemée (Broken Tambourine), carillonnante (Bad Feeling), envoûtante (Patchouli, Red Western Sky) ou limpide (Summer Love). Le tout orchestré autour d’influences rock psyché et cosmiques. Nous sommes à peu de chose du chef-d’œuvre.
BRIGID MAE POWER – Head Above The Water
(FIRE RECORDS)
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Un mellotron, un piano, une pedal-steel guitar et un violon, une batterie jouée aux tréfonds du temps : les sonorités patinées des chansons de Brigid Mae Power nous installent dans les contrées éternelles country-folk. La beauté des timbres et la richesse des arrangements font naître une multitude d’émaux bouleversant la surface quiète des chansons. Posée sur les tapis (volants) de guitare, la voix de Brigid Mae Power s’élève, ceinte par le halo de lumière tendre d’une contrebasse. C’est une voix haute aux mélismes rappelant Paula Frazer (Tarnation) et, avant elle, Patsy Cline qui, prolongeant la tradition folk, nous conte du quotidien la beauté déchirante.
ALI DANEL – Première Partie
(Pschent/Alter K)
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Première Partie, le nouvel album d’Ali Danel, Presque Célèbre du Magic n°220, enregistré en confinement, porte bien son nom. Ses nouvelles chansons sont exclusivement des reprises d’artistes dont il a ouvert les concerts depuis la sortie de son premier album solo, en 2017, parmi lesquels Sanseverino, Mustang ou Amadou & Mariam. Riche idée. Et le Gentil Cowboy (du titre de son dernier single, dont il nous avait réservé l’exclusivité) parvient même à se raconter dans ces titres dont il n’est pas l’auteur.
DOUBLE FRANÇOISE – Les Bijoux
(Freaksville)
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Que vous évoque ce prénom Françoise ? La malice de Dorléac, la fragilité de Hardy, le sens de la formule de Sagan peut-être ? Ce sont en tout cas quelques références de ce nouveau duo, à la scène comme à la ville, formé par Maxence et Elisabeth Jutel qui produit une pop au charme fou comme on aime ici : une musique raffinée et sensible, faussement naïve et terriblement efficace. En écoutant Double Françoise on pensera évidemment à une autre formation qui nous avait laissé un sacré coup de soleil : La fille de la Côte. C’est dire la très belle impression que ce disque nous a laissée.
THOUSAND – Au Paradis
(TALITRES)
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Dans Jeune femme à l’ibis, on est à la fois dans un tube suranné de Chagrin d’amour, une pépite électro-pop vocodée profusément contemporaine et un happening littéraire… À moins que ce soit dans Mon dernier voyage, Les enfants de Saturne (chef- d’œuvre), Le rêve du cheval (autre chef-d’œuvre) ou dans les autres titres qui font écho les uns aux autres (et à l’album précédent, Le tunnel végétal), déconstruisent et rebâtissent aussitôt. «À ceux qui disent qu’il ne marche pas qu’à l’eau», Stéphane Milochevitch (alias Thousand) répond en hallucinations sonores : on croirait entendre les arrangements de cordes de Bryce Dessner (The National), les claviers d’Olivier Marguerit et la voix d’Emma Broughton. On ne rêve pourtant pas, tout est vrai !
NADINE SHAH – Kitchen Sink
(INFECTIOUS MUSIC / BMG)
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L’Anglo-Pakistanaise Nadine Shah renouvelle un geste d’engagement et de prise de position avec Kitchen Sink, qui va piocher dans la culture musulmane pour la faire entrer en contact avec l’Occident. On pourrait le ranger aux côtés du Let England Shake (2011) de PJ Harvey et du Third (2008) de Portishead. Ce krautrock chargé d’un psychédélisme oriental et porté par cette voix androgyne et ces arrangements nerveux déroutera dans un premier temps, pour mieux s’installer par la suite.
SONIC BOOM – All Things Being Equal
(CARPARK RECORDS)
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Les années ont passé, Sonic Boom reste attaché aux mêmes préceptes : le psychédélisme, les mantras hypnotiques à la Suicide, la musique répétitive inspirée du krautrock (son côté Neu!). Planant (évidemment), perché (forcément), All Things Being Equal voit Sonic Boom cultiver le même jardin qu’il avait laissé en jachère plusieurs décennies. Sans surprise mais pas sans saveur.
LIRE NOTRE INTERVIEW AVEC PETER KIMBER
BRUCE BRUBAKER & MAX COOPER – Glassforms
(INFINÉ)
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Quand Bruce Brubaker, pianiste new-yorkais dit «post-moderne», et Max Cooper, producteur londonien électronique de pointe – ses pièces audiovisuelles qui traînent sur YouTube sont à tomber – s’emparent du répertoire de Philip Glass, le résultat est passionnant et l’union des univers n’est pas sans évoquer la sublime collaboration de Murcof et Vanessa Wagner sur Statea (2016). On entend Glass partout, dites-vous, et à toutes les sauces ? Croyez-nous : là, c’est du Glass comme vous ne l’avez jamais entendu.
FAST FRIENDS – Domestic Eyes
(LES DISQUES DU PAVILLON)
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Après un premier EP réussi (Unknown Homes en 2018), voici Domestic Eyes, un album sans frein qui collectionne les morceaux raffinés et fluides. Julien et Jim savent également s’entourer: les featurings avec des artistes aussi enthousiasmants qu’Heather Woods Broderick (sur l’excellent Nightingale), Sammy Decoster ou Jona Oak offrent un souffle encore plus grand à un disque prolifique et irrésistible. Ils vous avaient offert la primeur de leur très beau clip Hard Sunshine.
MODERN NATURE – Annual
(Bella Union)
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Jack Cooper (ex-Ultimate Painting) est le cerveau de mini-album de chansons atmosphériques très influencé par les meilleures heures de Talk Talk et qui rappellera aux plus attentifs les Britanniques de Movietone apparus au tournant des années 1990 et 2000. Will Young, un an après le réussi How To Live, laisse son ex-comparse laisser libre au cours au mariage réussi des guitares, des cuivres fins et des percussions contrôlées.
NO A.G.E – Goons Be Gone
(DRAG CITY)
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Né en décembre 2005 sur les cendres du groupe Wives, le duo formé par le guitariste Randy Randall et le batteur chanteur Dean Spunt a conquis un large public avec son punk rock coup de poing, volontiers noisy, partagé entre énergie brute et expérimentations. Ce sixième album gagne en textures sonores (samples d’origine inconnue) mais conserve la fraîcheur de la révolte adolescente de ses illustres influences (Sonics, Stooges, Sonic Youth) en onze chansons n’excédant jamais quatre minutes, portées par des tempi survoltés, un combo basse batterie redoutable d’efficacité, et surtout, surtout, des mélodies tout à fait hymniques.
WESTERMAN – Your Hero Is Not Dead
(Play It Again Sam/[PIAS])
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Cet inconditionnel de Mark Hollis (Talk Talk) publie son premier album, deux ans après l’EP Ark. Il partage avec son idole la même amplitude dans la voix (certaines inflexions dramatiques rappellent aussi Morrissey), le goût des mélodies déstructurées, et ses longues respirations instrumentales et jazzy. La parenté établie, il s’aventure personnellement du côté de l’électro-house. Il est question des souvenirs qui s’affadissent, de déjouer la mort, de la douleur d’une maladie chronique, d’argent facile, de la faillibilité de l’être humain en somme.
JUMO – Et le vent ?
(NOWADAYS RECORDS)
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Après une poignée de clips et de EPs, paru depuis la création de son projet musical il y a 6 ans, Clément Leveau dévoile Et le vent?, premier album de Jumo. Toujours féru d’ambiances cinématographiques, ce graphiste a conçu un univers d’inspiration synth-wave dans lequel il convie des featurings aussi divers que le rappeur Hyacinthe (Première Vie) ou l’inclassable parisienne Léonie Pernet (Steve).
MICHELLE BLADES – Nombrar las Cosas EP
(MIDNIGHT SPECIAL RECORDS)
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Michelle Blades (Presque Célèbre du Magic n°214) sort son premier EP entièrement en espagnol, porté par le single Mota o Perreo, qui fait l’éloge de la weed et de la fête. Détonant par rapport au reste du maxi, plus réservé, où son rock énergique psychédélique se teinte d’un doux accent folk latino. L’artiste panaméenne y nomme les choses de la vraie vie, l’amour et la précarité. Et elle le fait bien.
AL-QASAR – Miraj EP
(THE ARABIAN FUZZ)
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Al- Qasar, c’est la rencontre du producteur franco-américain Thomas Attar Bellier et du Marocain Jaouad El Garouge. Le premier apporte le fuzz et tout le son garage. Le second, la tradition et l’instrumentarium gnawa, de l’oud aux darboukas. Ce mélange n’est pas une bouture marketing grossière, mais une sincère célébration du dialogue, aussi bien instrumental, souligné par la spatialisation des instruments qui se donnent la réplique, que culturel. Et dès les premières écoutes, une chose est sûre : ce groove implacable donnera lieu à de folles liesses quand la magie du live aura repris ses droits.
V/A – Mémoires d’Éléphant #3
(CRACKI RECORDS)
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Après les volumes I et II, Cracki Records sort le chapitre III de ses Mémoires d’Éléphant. Cette compilation anniversaire célèbre la première décennie d’existence du label français. En plus de rassembler les morceaux qui ont marqué son histoire (I’M That Guy d’Agar Agar ou Folamour et son Skin U’re In), elle s’imagine au travers de featurings et remixes exclusifs. Du beau monde et de belles mélodies.
Mais rien ne vous empêche d’écouter aussi les autres sorties du jour :
ANNUAL – Modern Nature (BELLA UNION)
WORKING MEN’S CLUB – Working Men’s Club ([PIAS])
OHMME – Fantasize Your Ghost (JOYFUL NOISE)
RUN THE JEWELS – RTJ4 (JEWEL RUNNERS / BMG)
DOOMSHAKALAKA – Doomshakalaka (MOSHI MOSHI RECORDS)
SONDRE LERCHE – Patience (PLZ)
FABIANO DO NASCIMENTO – Preludo C (NOW-AGAIN RECORDS)
CAMILLE DELEAN – Cold House Burning (NEW HABITAT RECORDS)
BOLIVARD – Docteur Bolivard (COOKIE RECORDS)
BRUNO MAJOR – To Let A Good Thing Die (HARBOUR / AWAL)
CLÉMENT BERTRAND – Secondes Tigre (HÉ OUAIS MEC)
CRÈME SOLAIRE – Bébé? (AUGEIL RECORDS)
KATCROSS – Girls Can Fly (KATCROSS)
ABSYNTHE MINDED – Riddle of the Sphinx EP (Absynthe Minded / Sony Music Entertainment)