Avec une surprise expérimentale signée Yo La Tengo, "The Cause Of Doubt & A Reason To Have Faith" de L.A. Salami, "Flower of Devotion" de Dehd et "After the Curtains Close" de Jonathan Bree, Magic vous a sélectionné les sorties importantes de ce vendredi 17 juillet.
YO LA TENGO – We Have Amnesia Sometimes
(MATADOR RECORDS)
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C’est la belle surprise de la semaine. Une page bandcamp lundi. Un morceau. Puis deux. Puis cinq, un par jour de la semaine. Et au final, la première release de Yo La Tengo depuis l’admirable There’s a riot going on de 2018. Le trio d’Hoboken a enregistré ces morceaux pendant la période de distanciation sociale d’avril-mai et affirme prendre le public à témoin du processus créatif grâce auquel naissent ses chansons. Chanson est d’ailleurs un terme assez inapproprié pour qualifier ces cinq plages étirées de texture sonore en mouvement, à base de guitares planantes et de sons en fusion. Elles “sonnent” toutes, malgré leur radicalité, comme du Yo La Tengo fraîchement moulu. Magie des grands groupes.
L.A. SALAMI – THE CAUSE OF DOUBT & A REASON TO HAVE FAITH (SUNDAY BEST RECORDING)
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Le monumental The Cause of Doubt & a Reason to Have Faith, premier et morceau titre de ce troisième effort, symbolise une œuvre profonde tant son auteur excelle dans l’association des styles : la folk, la pop, le psychédélisme, le jazz ou le hip hop. En seulement sept titres, ce disque nous bouleverse (Thinking About Emiley), jamais ne s’épuise (Dear Jessica Rabbit) et se permet même de contenir un tube euphorique (Things Ain’t Changed). En perpétuelle évolution, l’album de L.A. Salami donne brillamment la définition d’une pop moderne, protéiforme, courageuse, brillante et accessible.
JARV IS… – Beyond the Pale
(ROUGH TRADE RECORDS)
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L’album Room 29 (2017) susurré sur le piano de Chilly Gonzales laissait entendre un Jarvis Cocker de salon, caustique et méditatif, mais pas encore tout à fait à sa place. C’est désormais chose faite avec ce Beyond the Pale signé Jarv Is…, alias d’une famille élargie qui englobe, entre autres, Serafina Steer à la harpe et Jason Buckle aux synthés. Réunie depuis fin 2017, la troupe a mis à profit deux années de concerts épisodiques (dans des grottes parfois !) pour mettre en chantier son répertoire et enregistrer en live les fondations de l’album, épaissies plus tard en studio. Au programme : un disque qui indique des tas de directions, des étapes sont longues – beaucoup de morceaux au groove hypnotique au-delà des cinq minutes. Mais qu’importe, puisque pour la première fois en presque vingt ans, Jarvis Cocker ne roule plus sur la réserve.
DEHD – Flower of Devotion
(FIRE TALK)
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Les guitares surf rock et chœurs lumineux de Dehd évoquent le bord de mer, l’insouciance et les couchers de soleil. Loin de la côte Ouest à laquelle on les rattacherait naturellement, c’est à Chicago qu’ils sont nés. La rupture entre deux des trois membres, anciens amants, a conféré au premier album du trio, Water (2019), une écriture vulnérable et une énergie brute qui ancraient leur signature, quelque part entre surf punk, bubblegum pop, beach rock et twee pop. Un an plus tard, le groupe enchaîne avec l’agréable Flower of Devotion, qui flirte avec la pureté des Pastels (Apart), l’insolence de Hunx and his Punx (Nobody, Letters) et le piquant de Guantanamo Baywatch (No Time).
THE BETHS – Jump Rope Gazers(CARPARK RECORDS)
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Non contente d’avoir servi de décor pour la gargantuesque saga Le Seigneur des anneaux et d’abriter dans ses forêts l’oiseau le plus insolite du monde, le kiwi, la Nouvelle-Zélande est aussi, depuis longtemps, une formidable colonie pour groupes d’indie-pop. I’m Not Getting Excited, clament The Beths. Nous, on l’est, quand on pose sur notre platine l’excellent second album du groupe d’Auckland. Le quatuor délivre toujours autant de petites bombes power-pop, légèrement plus mélancoliques que sur Future Me Hates Me, portées par la voix placide d’Elizabeth Stoke ainsi que par des guitares plus chatoyantes que les fougères qui servent d’emblème au pays. Jump Rope Gazers donne une furieuse envie de contempler paisiblement la baie d’Auckland, observant l’horizon avancer et reculer depuis une balançoire.
JONATHAN BREE – After the Curtains Close
(CARGO RECORDS)
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Ancien leader des Brunettes, le Né o-Zélandais Jonathan Bree a rencontré le succès en solo en 2017 avec l’album Sleepwalking (et son single You’re So Cool) autant pour la réinvention de sa musique, de l’indie-pop aux chansons orchestrales rétro-nostalgiques (sous influence Scott Walker, Gainsbourg et Vannier), que pour celle de son personnage public, fascinant-inquiétant chanteur masqué (sans orifices), déclinant son visage immaculé-impassible sur ceux de tout son groupe. Cet austère uniformité fait de Bree une «figure» pop fascinante, entre homme invisible et surface de toutes les projections. Le crooner d’Auckland revient avec un de ces fameux «disque de rupture», contant d’une voix d’outre-tombe la fin d’une histoire d’amour et la déprime qui s’ensuit. Dangereusement proche des gouffres du Freaks de Pulp, il noircit à l’envie sa pop baroque que des invitées et chœurs féminins viennent parfois légèrement éclairer (Princess Chelsea sur Heavenly Vision et Kiss My Lips, Crystal Choi l’accompagnant sur 69). Entre constat d’échec (Waiting on the Moment), méditations solitaires (In the Sunshine) et apologie morbide de la sexualité (Until We’re Done), le chanteur confesse ses doutes, ses manquements, sa bêtise. De la mélancolie à la vapeur, le précipité finit pourtant par donner de la lumière, lorsque les chœurs surviennent : “Honey don’t despair, she’s still out there”.
CRACK CLOUD – Pain Olympics
(MEAT MACINE / BIGWAX)
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Avec ce premier album, le collectif canadien mené par Zach Choy troque l’anguleux post-punk de ses premiers EP pour un kaléidoscope ambitieux et spectaculaire de rythmiques dance ou afrobeat, riffs secs de guitares no-wave, envolées de cuivres, scansions hip-hop et mélodies hymniques qui lui permet de passer au sein d’un même morceau (Post Truth, par exemple) du punk à la pop baroque en passant par la musique industrielle et le chant lyrique (!). Cette fragmentation musicale ayant vocation à refléter la dispersion de l’attention, le vrai et le fake mélangés dans le grand bordel capitaliste contemporain. Trippant et addictif.
BING & RUTH – Species
(4AD)
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Le pianiste américain David Moore, alias Bing & Ruth, poursuit l’édification d’une discographie passionnante entamée en 2010 avec le somptueux City Lake. Pour qui ne verrait dans l’ambient qu’une musique paresseuse d’ascenseur, Species, comme les autres recueils de compositions de Bing & Ruth, apporte le plus beau des démentis avec une musique savante qui convoque aussi bien le minimalisme d’un Philip Glass que les structures répétitives d’un John luther Adams.
PROTOMARTYR – Ultimate Success Today
(DOMINO RECORDS)
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Ça commence un peu comme le Theme from Shaft d’Isaac Hayes, sur un martèlement de charley et une basse répétitive qu’un mix de guitares saturées et de cuivres free vient surligner, avant que le chant scandé, façon Mark E. Smith, ne vienne charger cette litanie tendue de colère explosive. De ce brûlant Day Without End introductif au final Worm in Heaven, adieu en forme d’épitaphe contrite, ce cinquième album du quatuor punk de Détroit ne dépareille pas une discographie rageuse et bruitiste, qui traduit énergiquement le spleen et la misère de la “motor city”. Digne héritier du MC5 et des Dirtbombs, Protomartyr marie groove et électricité en brûlots toujours plus révoltés, jamais résignés.
FRANK RABEYROLLES – Materia Prima
(WOOL RECORDINGS)
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Frank Rabeyrolles produit désormais sous son propre nom l’electronica onirique et mélodique qu’il porte depuis des années, sur son propre label, après avoir été repéré sous les identités Double U et Franklin. Après son projet d’EP chroniquant les quatre saisons en 2019 (voir Magic n°217), il revient avec Materia Prima, album complet qui le voit travailler la «matière première» de ses compositions à la façon d’un sculpteur de formes sonores, qui suggère à l’auditeur toutes les directions possibles de ses accords et boucles, plus qu’il ne les impose. Parfois vocale, souvent planante, à la frontière de la pulsation libre et de l’ambient, cette matière est l’une des plus originales proposées jusqu’ici par Rabeyrolles.
Mais rien ne vous empêche d’écouter aussi les autres sorties du jour :
CÔME RANJARD – L’Enfant Casanier (AUTOPRODUCTION) (Voir notre exlu du clip éponyme)
SAMANTHA CRAIN – A small death (REAL KING RECORDS)
OUMOU SANGARÉ – Acoustic (NO FORMAT)
THE TEXAS GENTLEMEN – Floor it (NEW WEST RECORDS)
KLLO – Maybe We Could (BELIEVE)
ALFIE TEMPLEMAN – Happines in Liquid form EP (KOBALT / AWAL)
DANIELE GRUBB – D (EP) (ECHO ORANGE)