Jusqu'à la fin du mois, nos rédacteurs résument leur année pop dans un Top 10 de leurs albums préférés. Aujourd'hui, Grégory Bodenes se penche sur une année trop longue, et pourtant essentielle.
01. MANUEL ADNOT & MACADAM ENSEMBLE – Amor Infiniti [Fo Feo Productions / Caroline]
02. MOCKE – Parle Grand Canard [Objet Disque]
03. SARAH DAVACHI – Cantus Descant [Late Music]
04. THE APARTMENTS – In And Out Of The Night [Talitres]
05. MATT ELLIOTT – Farewell To All We know [Ici d’Ailleurs]
06. A GIRL CALLED EDDY – Been Around [Elefant Records]
07. CABANE – Grande Est La Maison [Cabane Records]
08. THE INNOCENCE MISSION – See You Tomorrow [Bella Union]
09. DOMINIQUE A – Vie Etrange [Cinq 7 / Wagram]
10. SOPHIA – Holding On/Letting Go [The Flower Shop Recordings]
Les années se suivent et ne se ressemblent pas. Il y a celles qui nous forgent, les essentielles, celles qui sont de transition. 2020, pour chacun d’entre nous, sera une année d’exception, ce genre de date que l’on s’empresserait d’oublier comme un mauvais cru ou une période maudite. Pourtant, elle restera gravée dans nos mémoires à jamais. Bien sûr, ce fut une période d’exception entre angoisse et craintes, enfermement forcé et désir d’évasion. Plus que jamais, on a pris conscience de l’importance de ces petites choses du quotidien quand nous en avons justement été privés. Ces moments qui nous unissent et nous fédèrent comme les concerts et les festivals. Comment peut-on qualifier la culture d’activité non-essentielle ? Ce qui justement a peut-être sauvé cette année du naufrage absolu, c’est peut-être la culture.
2020 a été une grande année d’un point de vue musical. Elle a permis l’émergence de futurs grands créateurs, la confirmation de certaines promesses mais aussi l’aboutissement des travaux d’artistes immenses. 2020 fut néo-classique avec la proposition du guitariste nantais Manuel Adnot à aller fureter dans les polyphonies d’Eric Whitacre ou les territoires de Kjartan Sveinsson (Ex-Sigur Ròs), avec le malaxage envoutant de l’orgue par la canadienne Sarah Davachi ou la réappropriation malicieuse du répertoire de Bach par Arandel.
Mocke a emmené encore plus son vocabulaire musical dans un bain de jouvence et d’étrangeté et a signé avec Parle Grand Canard, sans doute sa plus belle oeuvre dans une carrière déjà riche de coups d’éclats et autres merveilles. Peter Milton-Walsh est encore une fois touché par la grâce avec The Apartments, tout au long de In And Out Of The Light, un album miraculeux et rare quand Matt Elliott atteint enfin un degré d’apaisement et de lucidité dans Farewell To All We Know, un disque au titre ô combien prémonitoire. Matt Elliott rejoint la sphère privée des grands songwriters de l’ampleur d’un Bill Callahan (en grande forme cette année avec son Gold Record minimal et vibrant).
2020 aura vu le grand retour d’Erin Moran alias A Girl Called Eddy que l’on s’était mis à espérer après sa collaboration avec Mehdi Zannad (Fugu) en 2018 avec The Last Detail. Quinze ans après son premier album, le temps ne semble pas avoir de prise sur les lignes mélodiques de l’américaine hésitant entre soul et mélancolie. L’un des disques majeurs de cette année 2020 est un objet d’humilité confectionné avec la minutie d’un artisan. Porté par un casting aussi brillant qu’indispensable, Grande est la maison, premier album de Cabane fait partie de ces albums nécessaires, compagnons d’une vie. Ils sont rares, c’est peut-être pour cela qu’on ne les chérit que plus.
Karen et Don Peris de The Innocence Mission continuent, eux, de composer la musique de nos vies, de nos faiblesses mais aussi de nos joies. Rien que la voix de Karen Peris suffit à nous faire croire en des jours meilleurs comme sur ce See You Tomorrow à la sensibilité irradiante. Robin Propper-Sheppard, quant à lui, avec Sophia, travaille tous les degrés de l’émotion, de la mélancolie à la rage, de l’urgence à la torpeur.
Mais sans aucun doute, l’album qui, à lui seul, résume cette année est né d’un accident, de ce premier confinement qui nous a forcé à nous isoler. Dominique A, comme tant d’autres s’est retrouvé cloîtré chez lui non loin de la Loire. Sans vraiment le vouloir, des chansons sont apparues comme pour mettre à distance ce silence pesant. Sans trop savoir pourquoi sont arrivés sous ses doigts sur sa guitare la mélodie de L’Éclaircie de Marc Seberg et ces mots qui nous ressemblent tellement:
Les coups de vent
En plein cœur d’Avril
S’éternisent.
Les mois s’étirent
Se ralentissent
Jusqu’au plus profond de l’ennui