Les quatre musiciennes londoniennes font enfin paraître le premier album qui manquait à tous ceux qui les ont déjà vues sur une scène. Serra, Josefine, Nic et Agustina nous racontent leur complicité, les contretemps et le souci de bien (re)faire.
Depuis que les festivals s’arrachent ses bonnes vibrations, on a fini par bien connaître la petite histoire derrière la musique syncrétique de Los Bitchos : celle d’un quatuor londonien riche de l’éparpillement de ses racines. Serra Petale (guitare) débarque d’Australie et tient de la famille de sa mère, turque, le goût de l’Anatolie pop des seventies. Josefine Jonsson (basse) est suédoise, comme ABBA. Nic Crawshaw (batterie) représente l’Angleterre avec une solide expérience dans le garage rock. Agustina Ruiz (claviers) a grandi en Uruguay, dans l’aire d’influence de la cumbia. Mais passé cette première prise d’information, difficile d’en savoir plus quand leurs instrumentaux, tropicaux et euphorisants, ne laissent presque rien entendre de leurs voix. De passage à Paris en amont de la sortie d’un premier album opportunément titré Let the Festivities Begin!, les quatre musiciennes nous ont raconté le travail, les farces et les angoisses derrière la danse des instruments.
Jusqu’ici votre discographie se résumait à une série de singles. Ils ont disparu des plateformes à l’approche de la sortie de l’album. Pour faire de la place aux nouvelles versions qu’on retrouve sur Let the Festivities Begin! ?
Josefine : Exactement ! Ils sont bien de retour sur l’album !
Serra : On a tout réenregistré avec Alex [Kapranos, producteur du disque et leader de Franz Ferdinand, ndlr]. Les morceaux sont bien là mais ils portent son empreinte désormais.
Vous cherchiez à faire évoluer votre son ?
Nic : On souhaitait recommencer à zéro. Notre morceau Pista [qui était sous-titré (Great Start) en single en 2019, ndlr] a d’ailleurs été renommé Pista (Fresh Start) pour l’occasion. Et la nouvelle version est plus dynamique ; on lui a donné un petit coup de boost.
Serra : Et puis, nous avons eu la chance que l’album soit mixé par David Wrench [producteur et ingénieur du son gallois, connu pour son travail avec Caribou, David Byrne ou Goldfrapp, ndlr]. Et c’était important pour nous que toutes les pistes aient une esthétique cohérente, qu’elles soient fondues dans un seul mix. Si nous avions décidé de les intégrer tels quels, Pista et The Link is About to Die auraient eu une vibe différente. Et on voulait vraiment éviter que deux morceaux détonnent au milieu du reste.
Ces nouvelles versions ont un son plus rond, comme si on avait appliqué un vernis…
Agustina : Oh, c’est définitivement plus groovy !
Serra : Il faut se rendre compte qu’avant l’album, on travaillait sur nos petits ordinateurs. On n’avait jamais rien enregistré dans les conditions du live, toutes ensemble. Donc ce que vous entendez sur nos toutes premières démos, les enregistrements qu’on avait sortis sur cassette ou sur le 45 tours lathe-cut qu’on avait sorti chez Strong Island Recordings [le titre Bugs Bunny, en 2018, ndlr], c’était du travail d’home studio. Là, sur l’album, on ressent beaucoup plus une énergie de groupe.
Comment avez-vous été amenées à travailler avec Alex Kapranos ?
Josefine : On avait fait la première partie de Bodega [un groupe de dance-punk new-yorkais, ndlr], il nous avait vues jouer et il avait aimé. Enfin… Il avait posté quelque chose à propos de nous sur son compte Instagram… Et nous, on a pris ça pour un «j’aime» (rire général) ! C’était un peu comme si on s’était dit : «Ouais, on est amis maintenant, ça te dirait de produire notre album ?». Après le concert, on est restés en contact et on a fini par lui demander s’il était partant, et c’était le cas.
Try the Circle!, The Link Is About to Die, Las Panteras… Quelle est l’inspiration derrière les titres que vous donnez à vos instrumentaux ?
Josefine : Oh, ce sont surtout des blagues entre nous !
Serra : Il ne faut pas chercher plus loin…
Agustina : Et personne ne trouve ça drôle à part nous en général…
Nic : À chaque auditeur de se faire sa propre version !
Un peu comme pour votre musique, qui pioche au hasard dans la cumbia, le psychédélisme anatolien, le garage… Comment composez-vous à partir de toutes ces influences ?
Serra : Il n’y a rien de vraiment délibéré. Parfois, l’une d’entre nous débarque avec une petite idée un peu folle, un beat de batterie, une ligne de basse, un thème de clavier ébauché vite fait sur un Casio… Généralement, j’aime bien assembler assez vite une démo très vague. Et on sait que le morceau va forcément grandir à partir de là, quand on va lui faire passer le test du live, qu’on va vraiment le jouer ensemble. J’adore les boucles, mais Nic n’a que deux jambes, je n’ai que deux bras… On ne sait jamais à l’avance ce que notre petite idée toute simple pourra donner une fois une fois qu’on l’aura bossée ensemble en studio.
Plus de quatre ans séparent votre première cassette, sortie fin 2017, de ce premier album. Les deux drôles d’années qui viennent de s’écouler ont-elles bousculé vos plans côté studio ?
Nic : Oui, la crise sanitaire a un peu retardé l’album. Surtout les finitions à vrai dire. On avait enregistré la plupart des morceaux juste avant le début de la pandémie, en janvier et février 2020. Et après ça, quelques sessions d’overdubs supplémentaires.
Serra : Avec le recul, on a tout de même eu cette chance de pouvoir enregistrer ensemble les basses, les batteries et les parties de guitare. De pouvoir capter cette vibration particulière du live.
Josefine : Et puis plus rien pendant un long moment, parce qu’on ne pouvait pas se retrouver…
Nic : Je me souviens que Serra et moi avions enregistré des percussions, un soir, dans le studio d’un ami, à Hackney [borough du nord-est de Londres, ndlr]. Et c’est la dernière fois que l’on s’est vues avant des mois… Et bien sûr, on ne s’en doutait pas à l’époque. On sentait que les choses empiraient mais…
Agustina : C’était l’époque où notre notre session live pour KEXP [enregistrée à La Chapelle, la salle de spectacle du conservatoire de Rennes lors de leur passage aux Trans Musicales en 2019 ; 1,6 millions de vues sur YouTube, ndlr] venait d’être mise en ligne. Ça nous a vraiment aidées à tenir le coup.
Josefine : Elle est sortie au parfait moment. Soudain, on ne pouvait plus se voir ni faire de concert mais on pouvait se tourner vers YouTube (rires).
Comment avez-vous vécu ces confinements successifs, avec tout ce que cela pouvait supposer de coups d’arrêt ou de faux départs, en particulier pour un groupe émergent comme le vôtre ?
Josefine : C’est quelque chose qu’on avait forcément à l’esprit et c’était assez angoissant, c’est certain. Mais quelque part, cette pause était valable pour toute l’industrie. On était tous dans le même wagon, et une fois de l’autre côté, on se disait qu’on aurait encore plus la niaque qu’auparavant. Tout un tas de musique allait en sortir. De la musique qui n’aurait sans doute jamais vu le jour dans d’autres circonstances. Et puis soudain, avec les live streams, on pouvait jouer devant le monde entier ! Notre musique était d’un coup plus accessible.
Nic : Et on a pris beaucoup de plaisir à donner tous les mois un concert ensemble, chacune depuis chez soi, via Zoom. (Pause) Enfin non, c’était plutôt très nul en fait, en y réfléchissant (rire général)…
Serra : On se faisait plutôt du souci pour les salles de concert, au fond. Face aux fermetures, certaines ont eu recours au crowdfunding. Mais je crois que les Londoniens sont tellement attachés à la musique live et aux petites salles qu’avec un peu de chance, la plupart d’entre elles vont survivre.
Musicalement, Londres semble de nouveau en pleine effervescence. C’est une scène à laquelle vous êtes fières d’appartenir ?
Serra : Oui, il y a tellement de talents… J’adore Dry Cleaning ! Et c’est vraiment super de se rappeler qu’il y a encore quelques années, ils jouaient dans des toutes petites salles. On les a vus grandir tellement vite.
Nic : Oui, je me souviens de la première fois où je les ai vus jouer, c’était au Moth Club [un club situé à Hackney, ndlr]. Ce soir-là, ils partageaient l’affiche avec deux ou trois autres petits groupes. Et maintenant, ils assurent tellement ! Et ils sont adorables, en plus.
Let the Festivities Begin!
(CITY SLANG)
Sortie le 04/02/2022
Notre chronique de l’album est à retrouver dans notre hebdo #4 du 3 février ainsi que dans notre cahier critique en ligne, avec accès réservé aux abonnés.