Deux disques rivalisent d'excellence parmi les sorties du 18 mars 2022. Magic les consacre l'un et l'autre album de la semaine. L'un des deux est l'œuvre de Pete Doherty et Frédéric Lo : le très élégant "The Fantasy Life of Poetry & Crime", où la musique du Français requinque l'art du plus rimbaldien des Anglais.
Il fallait bien que ça arrive. Magic ne désignera pas cette semaine un seul et unique album de la semaine, même si notre formule hebdo a été conçue autour de cette promesse. Choisir, c’est renoncer, et il n’était pas possible de renoncer à In Cinerama d’April March ou The Fantasy Life of Poetry & Crime de Frédéric Lo et Peter Doherty. Ces deux coups de cœur, très différents à l’écoute, ont des points communs qui concourent à notre volonté de vous raconter leur histoire. Ce sont deux ouvrages conçus en toute indépendance hors du circuit des labels. Ils rassemblent deux univers et deux personnalités en fusion artistique (April March a conçu In Cinerama avec Mehdi Zannad, aka Fugu). Et deux artistes anglo-saxons à la reconnaissance internationale consommée ont confié leur voix, leurs mots et leur son à un cerveau français. En attendant que la grande histoire d’In Cinerama vous soit racontée dans notre trimestriel, dans deux semaines, l’album prête ses couleurs bleu, blanc, rouge à notre notre dixième numéro. La réalisation, les arrangements, la direction artistique, c’est aussi cela la fantasy life de la grande pop made in France…
- Retrouvez ici la chronique de notre second album de la semaine :
APRIL MARCH – In Cinerama (OMNIVORE RECORDINGS)
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Addiction et rédemption sur fond de confinement et de Brexit. Mariage, fromage, Arsène Lupin et falaises normandes. Avant même les premières notes, le nouvel album de Pete Doherty offre une histoire parfaite à raconter. Il y a trois ans, le Libertine se faisait (encore une fois) arrêter à Paris. Bagarre, drogue, prison avec sursis… Business as usual. La quarantaine était arrivée, elle n’avait pas assagi Pete. Depuis, il a trouvé l’amour et son Arcadie en Normandie, du côté d’Étretat et de sa fameuse aiguille creuse. La seule que Doherty jure fréquenter désormais. Les polos Fred Perry et le visage émacié ont laissé place au béret et à une silhouette plus ronde.
Et la musique dans tout ça ? Peter Doherty & the Puta Madres, sorti en 2019, n’avait pas laissé un souvenir impérissable. D’ailleurs, il remontait à quand, le dernier grand geste musical de l’Anglais ? À 2015 avec le troisième disque des Libertines, pilier des palmarès de fin d’année ? Ils ne sont pas nombreux à s’en souvenir aujourd’hui. À quelques fulgurances avec les Babyshambles peut-être, à son premier album solo, Grace/Wastelands, plus sûrement en 2009. L’affaire n’était pas loin d’être entendue. Revoir, ces derniers mois, Doherty avec une bonne mine et quelques kilos en trop faisait sourire. On était content qu’il ait survécu à «tout ça». Good luck, old chap. Affaire classée.
Il va falloir pourtant rouvrir le tiroir avec un nouvel élément à mettre au dossier : The Fantasy Life of Poetry & Crime. Crime et poésie, ça sent le Pete Doherty à plein nez. Un Doherty revigoré par sa rencontre avec le Français Frédéric Lo. Celui qui avait déjà ressuscité (le parallèle est facile, évident et totalement inévitable) Daniel Darc sur l’intemporel Crèvecœur en 2004 puis produit, plus près de nous, en 2019, le sublime Rendez-Vous Streets avec Bill Pritchard, était venu solliciter Pete Doherty pour un disque hommage à Darc, justement. Une adaptation de Inutile et hors d’usage (ici Without Use and All Used Up). Le Libertine s’est totalement reconnu dans cette chanson. À tel point que l’envie de collaborer avec Frédéric Lo est rapidement arrivée. De premières musiques sont proposées, les textes se mettent à couler de source. Voilà les deux lancés dans l’écriture et l’enregistrement d’un disque dans une maison d’Étretat, celle-là même qui apparaît sur l’album.
Loin de la furie électrique de ses débuts, Pete Doherty a trouvé dans les mélodies élégantes de Frédéric Lo les habits parfaits – plus smoking que perfecto, donc – pour ses émois personnels. Gentleman cambrioleur à sa manière, Pete Doherty chante d’une voix toujours émouvante son spleen d’enfant du début du siècle sur des textes joliment désabusés, qu’il parsème de quelques références personnelles (le name-dropping de The Epidemiologist), des mots en français, où il se livre mais pas trop (Yes I Wear a Mask, glisse-t-il malicieusement). L’évidence pop de certains titres (You Can’t Keep It from Me Forever au charme instantané, Invictus et son refrain parfait) cohabite avec des chansons plus tortueuses, qu’elles se fassent orchestrales (le somptueux crescendo de The Ballad of) ou jouent le dépouillement avec juste quelques accords de guitare ou de piano (Abe Wassenstein et Far from the Madding Crowd, qui terminent en douceur l’album). À nouveau réjouissant, à nouveau touchant, Pete Doherty signe le retour que l’on n’espérait plus de lui.
SORTIE CD, VINYLE ET NUMÉRIQUE LE 18/03/2022