Tous les mois, le making of d'une grande pochette. En avril, celle de "Definitely Maybe", le premier album-monument d'Oasis, paru à l'été 1994. Peut-être le salon le plus connu au monde, meublé de petits clins d'œil passés à la postérité.
Depuis 1994, c’est devenu l’un des salons les plus connus d’Angleterre. Bienvenue à West Didsbury, banlieue de Manchester, chez Paul Arthurs, dit Bonehead, guitariste d’Oasis, pour l’heure nouvelle sensation du rock anglais. Liam Gallagher peut bien chanter sur Married with Children qu’une vie rangée, ce n’est vraiment pas son truc, la scène immortalisée chez son pote semble dire tout le contraire. Elle est à des années-lumière de leur sulfureuse réputation. Elle va devenir la pochette de Definitely Maybe, premier album d’Oasis et classique du rock des années 1990.
L’idée de départ de Noel Gallagher est de s’inspirer – oh surprise ! – d’une photo des Beatles. Celle figurant au dos d’une compilation sortie en 1966. Elle montre les Fab Four assis autour d’une table, lors d’un moment de détente dans une chambre d’hôtel à l’occasion d’une tournée au Japon. Le concept laisse le photographe Michael Spencer Jones dubitatif. Il a été choisi par Noel, après qu’il a vu, notamment, ses photos réalisées pour The Verve. Dans la maison de Bonehead, il est plus attiré par le bow-window du salon. Même s’il va falloir utiliser un grand angle pour donner plus de profondeur à la pièce.
Et puis il y a ce plancher qui vient tout juste d’être décapé. Comment faire pour ne pas transformer une photo de groupe de rock en couverture de magazine de déco ou de bricolage ? Spencer Jones s’est rendu, il y a peu, dans la section Égypte ancienne du musée de Manchester, y a vu sarcophages et momies. C’est comme ça que lui vient l’idée d’allonger par terre Liam, au premier plan. Faire se coucher le chanteur ? Enterrer (presque) la grande gueule du groupe ? Quelle idée ! Coup de bol, le petit frère teigneux est prêt à jouer le jeu. Il ressemble à un gisant et se retrouve statufié pour la postérité.
Son frère, Noel, est assis sur le canapé, guitare en main ; Bonehead dans un fauteuil (il est chez lui après tout), Paul McGuigan dit Guigsy, le bassiste, adossé à la fenêtre et Tony McCarroll, le batteur, en tailleur devant la télé. Sur l’écran, une scène de Le Bon, la Brute et le Truand, western spaghetti de Sergio Leone et l’un des films préférés de Noel Gallagher.
À l’image de la musique d’Oasis, la pochette est bourrée de références. Dès le logo imaginé par le graphiste Brian Cannon, à la manœuvre sur les pochettes du groupe entre 1994 et 1998. Il est emprunté à celui de Decca, la maison de disque des Stones dans les années 1960, avec une police proche de celle de la marque de sport Adidas. Pour le titre de l’album, Definitely Maybe, Brian Cannon s’est contenté d’utiliser… sa propre écriture.
Pour cette photo, chacun a pu apporter un objet personnel. Bonehead a posé sa guitare au fond du salon et a choisi de mettre un flamant rose sur la cheminée. Il a même eu l’autorisation de poser près d’une fenêtre, une photo du footballeur George Best, le feu follet nord-irlandais. La légende des sixties, que certains surnomment «le cinquième Beatles», a tout pour plaire aux Gallagher. Si ce n’est qu’il a joué pour Manchester United. Et Noel, Liam et Guigsy sont des fans absolus du rival, City. Alors, pour équilibrer, au pied de la cheminée, ils ont posé une photo de Rodney Marsh, attaquant légendaire des Blues.
À côté de Noel Gallagher, le portrait d’une de ses idoles, Burt Bacharach, le génial compositeur américain, tiré de la pochette intérieur de Portrait in Music, une compilation de 1971. Dessus, on trouve une des plus célèbres compositions du pianiste, This Guy’s in Love with You. Noel Gallagher la pompera allègrement pour Half the World Away, l’une des faces B de Whatever. Pas rancunier, Burt Bacharach l’invitera sur scène en 1996 lors d’un concert londonien pour chanter avec lui.
Sur le sol, un paquet de Benson & Hedges, un briquet, un cendrier et des verres de vin. Cigarettes and Alcohol. Enfin, pas vraiment. Le vin rouge a été remplacé par du jus de raisin parce que, comme l’avait appris à l’école des Beaux-Arts Spencer Jones, le vin rouge pris en photo rend tout noir. Au plafond, il a accroché un globe gonflable apporté par un roadie. Au dos de la pochette, Noel Gallagher le tient dans sa main. Oasis prêt à conquérir le monde ? Ses membres n’en doutent pas depuis que le guitariste leur a fait écouter quelques-unes de ses compositions. À commencer par Live Forever, l’hymne absolu (bien plus que le futur Wonderwall) des Mancuniens. L’histoire leur donnera raison.
En 2014, à Londres, une exposition retraçant les débuts d’Oasis, intitulée Chasing The Sun (1993-1997), permettait de se prendre en photo dans le salon, reconstitué dans les moindres détails. Cela n’a pas suffi à tout le monde. Aujourd’hui encore, certains n’hésitent pas à se rendre à West Didsbury pour sonner à la porte des actuels occupants de la maison, histoire de jeter un coup d’œil au salon de Bonehead. Il est devenu presque un monument historique. Et définitivement l’un des plus connus d’Angleterre.
OASIS – Definitely Maybe (CREATION RECORDS – 1994)