Sans aucune bride ni barrière, "Tough Baby", le deuxième album du collectif de Vancouver Crack Cloud, est le disque de la semaine de Magic du 16 septembre 2022.
Formé à Calgary en 2015 par Zack Choy, Crack Cloud devient un groupe en 2018 à Vancouver. C’est là que les différents membres se rencontrent, dans des associations pour aider à traiter les problèmes mentaux et d’addiction. Projet musical doublé d’un moyen d’émancipation psychologique cathartique, il accouche de plusieurs EP défendus ardemment sur scène et réunis en 2018 dans une compilation qui porte le nom du groupe. Excellent aperçu de la première version esthétique du combo canadien, elle donne à entendre un post-punk nerveux dominé par un ersatz de Tom Verlaine en plus déglingué, avec une guitare rythmique qui raye le parquet et une guitare solo à la complexité instinctive, géniale, délicieusement dissonante. Déjà (légèrement) traversé par des cuivres fous, des synthés à forte personnalité et quelques boucles répétitives noires et euphorisantes, il est suivi en 2020 par un premier vrai album, au moment où Crack Cloud se mue en collectif avec un noyau dur complété par une myriade de musiciens. Plus complexe et (déjà) bien ambitieux, Pain Olympics propose un post-punk très créatif où les classiques du genre côtoient des délires instrumentaux bien phasants, avec une grosse dose de synthétiseurs lunaires, des cuivres sortis d’hôpital psychiatrique, des violons angoissants, du rap, sans oublier une fine pincée de chœurs à l’ampleur spatiale prometteuse.
Zack et sa bande pensaient avoir écrit leur épitaphe avec Pain Olympics, mais ils sont repartis au combat pour pondre un nouveau chapitre, drogués à la création permanente alors que leurs êtres «mûrissent émotionnellement avec les nouvelles expériences». Avouant avoir œuvré «sans aucune barrière», ils ont franchi un nouveau cap avec ce disque à l’ambition démentielle qui rend hommage au père de Zack, mort d’une leucémie et dont les mots prophétiques introduisent le propos : «La musique est un excellent moyen d’évacuer nos émotions». Alors ça évacue sévère : nantis d’une armada colossale d’une vingtaine de musiciens, ils repoussent les limites de la création avec, dès le départ, une ampleur instrumentale incroyable via une explosion de cordes, de cuivres et de chœurs fantasmatiques irradiés par un superbe mellotron. Délaissant sa nervosité habituelle, Choy est violemment shooté au bonheur façon OMD sous MDMA sur The Politician et Costly Engineered Illusion, grâce à des harmonies de l’espace sur la première et d’une nappe stratosphérique de touches blanches enfantines, de cuivres et de voix humaines cosmiques sur la deuxième. Encore défoncé sur Please Yourself par une nuée de nymphes maléfiques et une mélodie de stade de football reprise par une armée de choristes en folie, il finit par péter un plomb en mode Alan Vega cramé sur Virtuous Industry, sous la pression d’un beat sportif et d’une strate de trompettes, de saxophones et de trombones terriblement obsédante qui réveillerait un mort.
Si la teuf instrumentale bat son plein sur Tough Baby avec du xylophone, des cuivres sensuels, du piano réverbéré, du violon et une guitare pyrotechnique, puis sur Criminal avec une bastonnade de synthétiseurs avec des cuivres cinématographiques sur un beat guerrier, Zack plie le game avec un battle de rap futuriste, avant une énième et furieuse explosion de jouissance où la batterie supplante la machine, portée en triomphe par une ultime nappe puissante et multisourcée, lâchée par son armada. Elle hurle sa joie infinie d’être ensemble dans une trentaine de micros.
SORTIE CD, VINYLE ET NUMÉRIQUE LE 16/09/2022
Crack Cloud sera en concert au Trabendo (Paris) le jeudi 27 octobre.