Tous les mois, un membre de la rédaction ou un invité déclare sa flamme éternelle à un album. En septembre, "Providence" de Shannon Wright. Une île de paix pour notre journaliste Pierre Lemarchand qui répondra toujours à l'appel de la neige et de la nuit.
C’est une chose étrange que d’écrire sur un disque qu’on a tant écouté ; les mots ne viennent pas aisément, c’est comme s’ils avaient tous été recouverts par les notes. La force des disques qui restent c’est peut-être que leur écoute nous absorbe totalement ; il n’y a plus beaucoup de place pour autre chose. Nous traversent des bouts de souvenirs, des boules d’émotion brute, mais peu de mots finalement. C’est un peu comme la neige : on sait qu’en dessous saillent les reliefs de tout un monde mais son manteau est une invitation à l’oublier un temps, à s’en abstraire. Ainsi sont les disques qui comptent, dans lesquels on vient puiser le réconfort de l’oubli et, en même temps et paradoxalement, une présence extrême au monde. Je reviens à la neige. Ainsi qu’à la nuit. Parce que Providence, le dixième album de Shannon Wright, me ramène à elles. Tout y semble en noir et blanc. Sa pochette, bien sûr, tout d’équilibre et d’abstraction. Les touches du piano, unique instrument du disque (c’était la première fois alors que Shannon Wright réalisait un album entièrement composé de chansons interprétées au piano solo) : ivoire et ébène. Et le dialogue qui se noue entre la voix de Shannon – soul, tourmentée, inquiète, un cri dans la nuit, une étincelle dans les ténèbres, une main qui plonge profond dans la terre – et la sonorité de son piano à queue – céleste, opaline, aussi légère que l’air.