Curiosité de la fin d’année 2022 avec "Sod’s Toastie", The Cool Greenhouse fait figure d’ovni dans la scène post-punk actuelle. D’ovni, il en est question dans cette interview avec Tom Greenhouse, en partance pour une tournée européenne qui l'amènera au Petit Bain (Paris) le 1er février.
Une question finalement assez simple pour commencer, mais qui reste de rigueur : est-ce que tu pourrais me résumer ton parcours musical ?
Entre 2013 et 2016, j’ai monté un groupe avec des copains, qu’on avait appelé Business Lunch. On n’arrêtait pas de se disputer tout le temps ! On a enregistré quelques trucs mais on n’a jamais rien sorti. On a pas mal joué à Londres par contre. J’écrivais quelques chansons, mais je les laissais à notre frontman, qui voyait les concerts comme un lieu de performance. La fin de Business Lunch coïncide avec le moment où je me suis dit que j’allais me mettre au sprechgesang et assumer mon côté pince-sans-rire.
Tu parles de sprechgesang, procédé beaucoup utilisé dans la scène post-punk actuelle, alors que tu en faisais déjà en 2016-2017… T’es un peu comme un père pour eux, finalement ?
Un père moins célèbre, alors ! En réalité, ça vient surtout des 70s et des groupes qui gravitent autour de The Fall. On a juste tous été frappés par ce style, cette façon de chanter, et on se l’est appropriée. Après, je ne te cache pas que je suis toujours content quand on mentionne l’antériorité de The Cool Greenhouse par rapport à Dry Cleaning ou d’autres formations plus connues et reconnues que la nôtre…!
Chez toi, il y a aussi un petit côté Country Teasers, non ?
J’adore les Country Teasers ! J’ai un énorme respect pour Ben Wallers, leur chanteur. Il n’en a pas grand-chose à faire d’avoir du succès. Il n’a même pas de réseaux sociaux, il s’occupe juste de sortir sa musique dans son coin. Je l’ai déjà croisé quelques fois à Londres, sans qu’on discute plus que ça… Je ne sais même pas s’il apprécie ma musique (rires) !
Le pire, c’est les gens qui t’envoient «bonne musique mais nom de merde»
Tom Greenhouse
S’il y en a bien un qui aime beaucoup The Cool Greenhouse, c’est Henry Rollins de Black Flag.
Oui ! Henry est quelqu’un qui nous soutient énormément. C’est une vraie encyclopédie, il passe son temps à «digger», c’est comme ça qu’il nous a découverts. Savoir que quelqu’un d’aussi légendaire dans le punk vous apprécie, ça fait plaisir. Mais j’aime aussi recevoir des messages de gens «normaux» qui écoutent notre musique. Même si parfois, c’est un poil étrange. Il arrive qu’on me compare à Chris Eubank, un boxeur anglais, sous prétexte qu’il aurait, comme moi, une voix marrante. On m’appelle aussi “the English Christopher Walken”. Le pire, c’est les gens qui t’envoient «bonne musique mais nom de merde» (rires).
On ne va pas nier que ta musique a quelque chose d’étrange elle aussi. Tu as besoin d’être dans un état d’esprit particulier pour écrire des choses aussi excentriques ?
Je pense avoir besoin d’être dans un état d’esprit particulier pour me mettre «sérieusement» à travailler sur une chanson, mais je me balade constamment avec un petit calepin où je note des idées qui me passent par la tête et qui peuvent potentiellement me servir. Je suis toujours à l’affût de choses bizarres, certes, mais qui éclairent d’une façon ou d’une autre notre société. Hier, par exemple, je lisais une interview de Nick Cave. Sur son mur était accroché un tableau de chat, dans un style victorien, qui m’intriguait – tout comme le journaliste, d’ailleurs, qui lui demande une explication. C’était l’œuvre de Louis Wain, un peintre anglais du XIXe, obsédé par les chats, et malheureusement devenu schizophrène assez tôt. Ses peintures trahissaient l’évolution de son état psychiatrique, et étaient quasiment psychédéliques vers la fin de sa vie. Typiquement, ça peut m’inspirer.
Tu dis souvent que tu détestes Internet, je me trompe ?
Oui, mais pas que. La technologie, aussi. On avait fait une chanson sur Alexa, en 2020, qui montre bien que cette évolution est parfois effrayante. Tu peux maintenant te faire espionner par une boîte en plastique et écouter de la musique depuis ton frigo. Le pire, selon moi, c’est tout ce qu’il se passe autour des IA. ChatGPT [IA génératrice de textes, ndlr], DALL-E [IA génératrice d’images, ndlr], ça va contraindre pas mal de gens à laisser tomber leur activité professionnelle. Même les musiciens ne seront pas protégés, regarde Hatsune Miku [«chanteuse» hologramme japonaise, ndlr] !
Pourtant, tu as une connaissance pointue des sous-cultures ayant émergé sur la toile, et ça se ressent partout dans tes textes, comme dans Hard Rock Potato, premier single de Sod’s Toastie…
Hard Rock Potato parle du “GameStop gate”, quand des internautes un peu chafouins ont réussi à multiplier par trente le cours de l’action du magasin de jeux vidéo GameStop [de 17 à 500 dollars, ndlr]. Je me balade beaucoup sur Reddit ou 4chan, et c’est passionnant. Les gens sur ces plateformes partagent un même langage ultraspécifique à cette communauté, et j’ai repris pas mal de leurs expressions dans le morceau. Comme le “And this non fungible token’s gonna impress my wife’s new boyfriend”, inspiré de ce qu’on peut lire sur des forums comme le subreddit r/wallstreetbets, avec cette mythologie où ils se croient tous cocus. C’est aussi une critique de la folie des cryptomonnaies et NFT. Un autre truc qui me captive, c’est les théories du complot, notamment celles sur les ovnis. On en retrouve beaucoup dans Sod’s Toastie, avec The UFOs ou The Neoprene Ravine, parodie d’une version extraterrestre du Velvet Underground. Je ferais bien un album centré sur eux.
Est-ce qu’il existe des sujets sur lesquels tu t’interdis de plaisanter ?
L’actualité du moment me paraît dépressive. Je ne me vois par exemple pas faire un morceau ultra premier degré sur les crises énergétique ou financière, sur l’Ukraine ou d’autres sujets éminemment politiques. Par contre, je pourrais en faire un sur la propagande sur Internet, en évoquant l’Ukraine en filigrane. D’ailleurs, je trouve que les théories du complot se sont normalisées sur Internet depuis deux ans. Même si j’aime l’idée d’écrire des chansons depuis la perspective d’un individu lambda qui goberait tout ce qu’il trouve sur la toile, ça me semble un peu effrayant. Je me suis d’ailleurs interdit d’écrire sur le Covid… Mais ça, c’est peut-être plus parce que tout le monde l’a déjà fait !
Get Unjaded ferait une parfaite chanson sur le Covid. Elle démarre quand même par : “Well, Simon seems to have misplaced his pet lamprey / His only source of intimacy throughout the whole of last year”… Je pense aussi à 4Chan, sorti sur le premier album, et ce passage où après avoir mentionné Tyler Durden et Patrick Bateman, le protagoniste que tu incarnes parle de spammer des féministes à coup de troll faces. D’où te vient cette envie d’écrire des morceaux à personnages ?
Des Country Teasers, notamment. Dans ses chansons, Ben Wallers incarnait des personnages parfois dégueulasses, d’une façon suffisamment réaliste pour être pris au sérieux par des gens qui ne le connaîtraient pas – mais ce qu’il faut y voir, c’est le dégoût que lui inspirent ces personnages-là. C’est quelque chose que j’essaie de faire à mon échelle. Et pour Get Unjaded, on peut y voir effectivement ce que ces deux années d’isolation scotché à sa télévision ou à son ordinateur ont pu faire au niveau de la santé mentale – avec quelques petites références aux théories du complot, comme le “Can’t cook, won’t cook; tin foil’s only good for hats these days” [les chapeaux en papier alu sont un symbole des conspirationnistes, ndlr].
Dans God Is in the TV Zine, tu expliques que tu fais parfois en sorte de ne pas être aussi bordélique dans tes textes que tu peux l’être sur tes brouillons de lyrics. Ça fait écho à cette phrase dans The Neoprene Ravine : “And our problem is we’ve got so many ideas that it makes it almost impossible to move, or to write radio-friendly tunes”.
Il m’arrive de penser «Oh, comme j’aimerais qu’on soit encore plus bizarres». J’adore faire des pop songs un peu catchy, je m’essaie à l’exercice sur Sod’s Toastie, notamment sur I Lost My Head, mais parfois j’ai envie de faire l’exact opposé : des choses qui vont être inécoutables pour la moitié des auditeurs. Il m’arrive de changer des passages parce que je me dis qu’ils sont trop conventionnels, qu’on pourrait aller plus loin dans l’étrange.
Les gens continuent de parler principalement de ce que je chante. Pour court-circuiter ça, le prochain disque sera 100 % instrumental
Tom Greenhouse
On arrive au bout de cette interview, et je me rends compte qu’on a beaucoup parlé de tes textes, mais pas forcément de ta musique en elle-même. En effet, tes textes comptent beaucoup dans la formule The Cool Greenhouse, ce sont eux qui la rendent unique et c’est appuyé par le sprechgesang dont on parlait au tout début. Quand tu composes, tu privilégies la musicalité instrumentale ou les textes ?
C’est vrai que quand le premier album est sorti, tout le monde parlait de nos paroles et finalement assez peu de musique. Et en même temps, elles accrochent davantage l’oreille que nos instrumentations parce que les gens les trouvent marrantes. Donc il y a un an ou deux, je t’aurais répondu que je préfère privilégier les textes. Pour Sod’s Toastie, on a essayé de faire moitié-moitié. Mais les gens continuent de parler principalement de ce que je chante. Pour court-circuiter ça, le prochain disque sera 100 % instrumental (rires).
The Cool Greenhouse, en tournée depuis le 16 janvier, passera notamment par Le Petit Bain (Paris) le 1er février. Cliquez ici pour acheter vos places.