UK GRIM
Sleaford Mods
Rough Trade Records

Chronique : Sleaford Mods, indignés s’entêtent

Le douzième album des Sleaford Mods adresse avec brio une nouvelle addition salée à l'Angleterre du Brexit. Avec son lot de productions irrésistibles, souvenirs d'enfance et ruminations.

«En Angleterre, personne ne vous entend crier», aboie Jason Williamson sur UK GRIM, le morceau-titre qui ouvre ce douzième album du duo de Nottingham, et rien ne résume mieux le défi que ce nouveau LP représente pour Williamson et son complice Andrew Fearn : à quoi bon gueuler encore une fois les mêmes conneries, sur les mêmes beats bon marché, pour le même public, avec les mêmes critiques contre les mêmes connards, tories incompétents, trolls d’Internet, patrons escrocs ? À quoi bon même une nouvelle chanson des Sleaford Mods, alors que, avec sa Première ministre groupie thatchérienne battue en longévité par une laitue, c’est l’Angleterre elle-même qui est devenue une chanson des Sleaford Mods ? (Liz Truss est dans les lyrics et le clip de UK GRIM).

Un autre groupe aurait déjà baissé les bras. Ou changé de style. Pas les Sleaford Mods. Derrière ses machines, Andrew Fearn n’a pas encore épuisé tout son réservoir de productions irrésistibles, de la ligne de basse élastique de UK GRIM aux beats made in 1984 de Rhythms of Class, en passant par le piano italo-house de Apart from You ; et si plusieurs titres ressemblent davantage à la bande-son frénétique d’un jeu Nintendo vintage (Pit 2 Pit, Tory Kong), Fearn sait aussi ralentir les choses pour créer des ambiances plus méditatives, comme sur Smash Each Other Up ou I Claudius, permettant à son complice de se faire plus personnel, sans cesser d’être sarcastique.

Car si Williamson continue à déverser sa bile sur l’état de son pays ravagé par le Brexit, la xénophobie et la nullité de ses gouvernants, il parsème aussi ses éructations de souvenirs d’enfance, d’évocations de son âge, de références télévisuelles et cinématographiques (films de guerre de série B, péplums, King Kong), tout en continuant à faire surgir de ses mots des images aussi prosaïques que saisissantes («J’ai vu le père Noël avec un paquet de chips (il mange ça ? vraiment ?)», sur I Claudius). Mais sur UK GRIM, la meilleure preuve de la vitalité de l’art vulgaire des Sleaford Mods réside certainement dans ses titres en collaboration, Perry Farrell sur So Trendy et, surtout, Florence Shaw (la chanteuse des Dry Cleaning) sur Force 10 from Navarone, qui se coule parfaitement dans le flot logorrhéique du duo. En ce début d’année 2023 aussi déprimant que l’année 2022, vous n’entendrez pas grand-chose de mieux que la voix grave de Florence Shaw susurrer des mots orduriers et des histoires de blob vert sur une cavalcade électronique signée Andrew Fearn. Honneur aux Sleaford Mods : they did it again.

SORTIE CD, VINYLE ET NUMÉRIQUE LE 10/03/2023

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