Depuis bientôt dix ans, Mitski est une anomalie du circuit indé sur laquelle s’entendent miraculeusement la critique et une fanbase aussi tentaculaire qu’enamourée. Analyse du phénomène alors que l’Américano-Japonaise sort le superbe "The Land Is Inhospitable and So Are We".
“But I'm writing this at 3 a.m.” Griffonnées dans l’un des carnets de Mitski, ces paroles soulignent l’état d’agitation de ses sentiments. Sur disque, c’est là que sa voix se déleste de sa fatigue, regonflée par l’arrivée de la batterie. Dans une salle de concert ? C’est un point de ralliement pour un public qui se fait brusquement entendre deux fois plus fort… La chute du premier couplet de Francis Forever n’est pas seulement l’une des plus exaltantes prises d’élan de Bury Me at Makeout Creek, le troisième album de Mitski sorti à l’automne 2014. C’est aussi, à notre oreille, une invitation à faire parler les forces qui s’activent sous la musique de l’Américano-Japonaise. «Mais je me retrouve à écrire ça à 3 heures du matin…» La phrase (chantée, adressée à quelqu’un sans doute, tendue aux autres) dit très bien le besoin vital que revêt à ses yeux l’écriture de chansons. On y décèle aussi cette bonne vieille solitude sur laquelle une mélodie sous tension projette ses promesses de crush et de crash. Et, bien sûr, sa livraison sur la place publique signifie que les mots et leur écho appartiennent pour moitié à tous ceux qui reçoivent la musique… Ces distances qui s’annulent de part et d’autre de son art documentent l’hyperprésence médiatique de Mitski Miyawaki depuis bientôt dix ans et la fin de ses études de composition et arrangement à SUNY Purchase, dans l’État de New York. Derrière elle, à l’époque : deux premiers albums un peu à part, enregistrés avec les commodités et le sérieux de l’université. Devant : une pop faite de débrouillardise et quatre disques (cinq aujourd’hui) qui lui ont ramené une adoration massive et assez frénétique, sans équivalent à ce niveau d’artisanat.