C'est une histoire de respect mutuel. Vieille de trente ans, et qui donne lieu aujourd'hui à une collaboration. En 2024, Liam Gallagher et John Squire croisent ensemble dans une britpop psyché qui serait "aussi bonne que tout ce que les Stone Roses et Oasis ont fait". Développement.
À ma gauche, John Squire, guitariste des mythiques Stone Roses. À ma droite, Liam Gallagher, ancien chanteur d’Oasis et rockstar certifiée. Deux membres de deux des plus importants groupes de l’histoire du rock de Manchester, du rock tout court peut-être même, se réunissent pour un disque qui fait sensation outre-Manche. Au pays du Brexit, ils sont des institutions, des trésors nationaux même. Les billets pour leur tournée commune sont partis en quelques minutes à peine. Et dire que Liam va encore se produire à l’automne pour des concerts-événements où il reprendra intégralement Definitely Maybe, sorti il y a (attention, ça fait mal) trente ans. «Mais ça c’est après. Parlons du présent», recadre-t-il lors de cette interview réalisée début février à Paris. Le présent, c’est donc un album commun avec son héros de jeunesse, «le meilleur depuis Revolver des Beatles», clame-t-il avec sa modestie habituelle. Évidemment, on en est loin, même si, sur la dizaine de chansons dont cette collaboration a accouché, un tiers tient plutôt bien la route. À vrai dire, on en n’attendait pas tant. Quand John Squire semble être dans une autre dimension, s’exprimant posément, avec calme, Liam semble toujours agité, prêt à en découdre pour cet album auquel il croit sincèrement. Attention, la grande gueule va encore frapper !
Vous vous connaissez depuis longtemps. Pourquoi avoir choisi de faire précisément un disque ensemble maintenant ?
Liam : Aucune idée. John avait écrit les chansons, le moment était venu tout simplement. Et je suis content qu’il soit arrivé. J’aime chanter, je fais ça bien, non ?
Et vous John, vous aviez écrit ces chansons auparavant ou en pensant précisément à Liam ?
John : La deuxième option. Cela faisait longtemps que je n’avais pas écrit de nouvelles chansons. Depuis les deux dernières des Stone Roses, en 2016. Je continuais à jouer de la guitare, à peindre… Ce que je fais depuis que j’ai quatorze ans. Mais écrire des chansons, non. Le faire pour Liam m’en a donné l’envie. Mon manager m’avait suggéré l’idée au moment des concerts de Liam à Knebworth [deux dates consécutives en juin 2022, ndlr] ; il s’occupait de la promotion. Il m’a poussé ; je crois que je n’aurais jamais osé le demander directement à Liam.
Liam : C’est vrai ? Écoute, je suis content que ce soit arrivé. John fait les trucs à sa façon et je suis content d’en faire partie. Les chansons sont géniales et j’ai vraiment hâte de les jouer en concert. Elles sont aussi bonnes que tout ce que les Stone Roses et Oasis ont fait. L’album est vraiment top.
Comment avez-vous commencé à travailler ensemble sur ce disque ?
John : J’ai envoyé des maquettes par Dropbox à Liam.
Liam : Une première chanson est arrivée, puis une autre ; et ainsi de suite. Et sans qu’on s’en rende compte, on est arrivés comme ça à huit chansons, je crois. On a commencé à enregistrer des démos dans le studio de John à Macclesfield [dans la banlieue de Manchester, la ville qui a vu naître Joy Division, ndlr]. Et puis on est partis à Los Angeles où John a encore écrit deux nouvelles chansons. En tout, on en a dix. Il n’y a pas de faces B ou quoi que ce soit d’autre. C’est ça qui est bien avec cet album, c’est quelque chose d’unique.
Pourquoi être parti à Los Angeles pour l’enregistrer ? Vous auriez pu trouver un studio en Angleterre…
Liam : On voulait travailler avec le producteur Greg Kurstin. j’avais fait quelques chansons avec lui avant [sur le premier album de Liam, As You Were, en 2017, ndlr]. Il connaît son boulot, il a du talent, son studio est super, et en plus il joue de la basse. Et comme on avait besoin d’un bassiste…
Ce que les Roses m’ont donné, c’est de la confiance. Ils m’ont appris à croire en moi, à croire en la musique. Si les gens pensent que ça, c’est être arrogant, eh bien ils se trompent
Liam Gallagher
La formation est très resserrée sur le disque : guitare, basse, batterie…
Liam : Il y a aussi un peu de claviers, que Greg joue.
John : J’étais un peu inquiet car nous partions sans groupe en studio, juste Liam et moi. Et probablement quelques musiciens de session. Nous n’avions pas beaucoup de temps pour enregistrer – trois semaines. J’ai eu de longues conversations au téléphone avec Greg pour le sonder. Et lui faisait la même chose. Nous parlions du genre de disque que nous aimions, de ce que nous voulions pour celui-ci. Finalement, il s’est dit qu’il pouvait jouer de la basse pour nous. Et sur les batteurs qu’il nous a proposés, Joey Waronker (R.E.M., Beck, Roger Waters…) s’est vraiment démarqué. Il a su amener sa touche, un petit peu jazzy.
Vous n’avez pas eu envie de trouver un nom à votre duo ?
Liam : C’est plus logique, non ? Ça a plus de sens. Tout le monde comprend tout de suite de quoi on parle !
John : D’ailleurs, on n’a pas non plus cherché de titre à l’album.
Les Stone Roses ont eu une énorme influence sur vous Liam…
Liam : Oui, à 100 %. Dans la musique, dans la façon de s’habiller, dans l’attitude. Et quand je parle d’attitude, je ne parle pas d’arrogance. Certains disent que je suis arrogant. C’est faux. Ce que les Roses m’ont donné, c’est de la confiance. Ils m’ont appris à croire en moi, à croire en la musique. Si les gens pensent que ça, c’est être arrogant, eh bien ils se trompent. Peut-être que parfois, avec quelques verres dans le nez, je pousse le bouchon un peu loin mais je ne suis pas arrogant. C’est juste de la confiance en soi.
Chanter les chansons de John, ça vous fait quoi ?
Liam : Je suis ravi. Que veux-tu que je te dise ? Il n’y a pas de mots pour décrire ça. C’est vraiment génial. J’aime ses mélodies, son jeu de guitares, tout dans sa musique ! Il n’y a rien de calculé, ça vient naturellement. C’est le meilleur moyen non ? Si on avait voulu essayer de sonner d’une certaine façon, ça n’aurait rien donné. Ça aurait été comme de se déguiser. Et ceux qui diront que je reste dans ma zone de confort, je m’en fiche. J’aime ma zone de confort, je n’ai pas envie de stresser à cause de la musique.
Ce que je ressens quand j’entends par exemple Mother Nature’s Song, je n’avais jamais connu ça avant. Peut-être avec quelques chansons des Beatles
John Squire
Et vous, John, d’entendre la voix de Liam sur vos chansons ?
John : J’ai eu une réaction physique dans ton mon corps, vraiment. C’était extrêmement stimulant. L’entendre chanter mes chansons, c’était comme un rêve qui devenait réalité. Ça m’a fait ça dès les premières démos. Je n’ai pas pu m’arrêter de les écouter constamment. Je n’écoutais plus les Stones, les Beatles et mes trucs habituels. Et quand on est partis à L.A., qu’on a enregistré les chansons avec guitare et basse et que je les ai entendues sur les grosses enceintes du studio, ça a été encore plus fort. Ce que je ressens quand j’entends par exemple Mother Nature’s Song, je n’avais jamais connu ça avant. Peut-être avec quelques chansons des Beatles.
Vous avez travaillé ensemble sur les paroles ?
Liam : Dieu merci, non ! Je suis totalement nul pour écrire des paroles. Et les mots de John me vont comme un gant.
John : Je pensais qu’on s’y mettrait ensemble mais tu as préféré me laisser faire.
Liam : Et j’ai bien fait ! Parce que tes chansons sonnent super bien.
Ça se ressent dans votre voix Liam… quelque chose comme une plus grande conviction que sur vos albums solo, non ?
Liam : Peut-être bien, oui. C’est grâce à la guitare et aux musiques de John. Je ne saurais pas vraiment l’expliquer. Ce que je peux vous dire, c’est que j’ai vraiment hâte de me retrouver sur scène. J’ai vraiment envie de chanter à nouveau ces morceaux.
En Angleterre, les billets de votre tournée se sont vendus en quelques minutes. À quoi peut s’attendre le public ? Vous jouerez des chansons d’Oasis et des Stone Roses ?
Liam : Ça serait nul, ça ne rimerait à rien. Ce serait comme faire s’affronter nos nouvelles chansons avec les plus anciennes. Et puis les chansons des Roses signifient tellement pour moi. Ce sont les chansons de ma jeunesse, cela ne voudrait rien dire de les chanter maintenant. Ce sont les morceaux que nous avons enregistrés avec John qui méritent toute l’attention.
John : Et j’ai hâte qu’on les joue ensemble sur scène. Je pense que ce sera différent que sur le disque, plus extrême.
Liam : Oui, ça va être punk. Même si tout le monde trouve que le disque est psychédélique. Ça va envoyer.
Il y a trente ans, Oasis sortait son premier album Definitely Maybe et les Stone Roses publiaient Second Coming. Quels sont vos souvenirs du disque de l’autre ?
Liam : C’est vrai que je suis plus resté scotché sur le premier album des Roses mais il y des chansons que j’adore sur le second. Love Spreads entre autres. Et Begging You, ça m’avait bien retourné la tête à l’époque. Et les clips ! Les clips étaient géniaux.
John : Je n’avais pas acheté Definitely Maybe à sa sortie. J’ai vu l’album chez ma petite amie de l’époque : «Oh, c’est le groupe dont tout le monde parle en ce moment, écoutons-le». J’ai été scotché par la première chanson, puis la seconde, et ainsi de suite.
Il n’y a jamais eu de rivalité entre les deux groupes ?
Liam : Non. De toute façon, on arrivait, on allait faire notre truc quoi qu’il arrive et il y avait de la place pour tout le monde. Les Stone Roses ont été une vraie source d’inspiration pour Oasis, on n’a jamais cherché à les remplacer. J’ai toujours été fan. La seule raison que j’avais de monter un groupe, c’était parce que les Roses ne sortaient plus de musique. Et j’avais besoin d’entendre quelque chose qui me plaisait. Ils n’étaient plus là pendant un moment. J’ai dû m’y mettre.
En fait, pour vous, être avec John, c’est comme être avec un ami…
Liam : C’est plus que ça, bien plus que ça. Mais je n’ai pas le bon mot pour le dire. Quand je le trouverai, promis, je t’envoie un texto (rires). Mais ce que je veux dire, c’est que ce qui nous réunit est au-delà de l’amitié. Ce disque, on ne le fait pas pour l’argent, on ne le fait pas pour la gloire. Tout ça, on l’a déjà. On le fait pour de bonnes raisons et quand on fait les choses pour de bonnes raisons, ce qui arrive est forcément bien. La bonne raison ? Mais c’est la musique, tout simplement. De pouvoir sortir une chanson comme Mother Nature’s Song. C’est ça une bonne raison.
Et rien ne peut vous fâcher ? Pas même le football ?
Liam : Non, il est pour United, je suis pour City, évidemment. Ils ont eu leur temps, maintenant, c’est notre tour.
John : Ils jouent toujours This Is the One à Old Trafford à l’entrée des joueurs. Et Manchester United va sortir toute une gamme d’équipements
avec Adidas inspirée par les Stone Roses.
Liam : À City, ils jouent tout le temps des chansons d’Oasis, c’est un peu gênant. Enfin c’est toujours mieux que de chanter Blue Moon [l’hymne officiel de City, ndlr] en boucle quand il y a plein de soleil !