Vingt-huit musiciens et choristes l’accompagnent et pourtant, dans "Below a Massive Dark Land", son deuxième enregistrement, il n’y a que sa voix, grave et délicate, que l’on entend. Née d’un père brésilien et d’une mère grecque, Naima Bock, petit bouillon de culture natif de Glastonbury, qui a grandi au Brésil avant de retourner vivre en Angleterre, est habitée par des voix dont elle ne soupçonne pas la portée mystique et spirituelle. Celle qui fantasme les voix de ses idoles Sibylle Baier, Karen Dalton, Will Oldham et Aldous Harding qui jaillissent sans effort n’a pas conscience d’avoir un talent au moins aussi comparable. On en est tellement convaincu qu’on l’imagine déjà revenir avec un disque entièrement a cappella, où elle ferait de sa voix son unique instrument. L’idée pourrait bien germer dans son esprit.
Alors que son Below a Massive Dark Land nous avait époustouflés, notamment grâce à cette voix qui prend toute la lumière – ce fut d’ailleurs notre album de la semaine du 27 septembre –, Naima Bock s’apprête à charmer la Boule Noire le 13 décembre prochain.
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D’où viennent les voix du disque ?
J’ai choisi des gens particuliers pour m’accompagner, parce que je trouvais que nos voix allaient vraiment très bien ensemble, en particulier sur mon dernier single, Feed My Release, que j’ai composé en tournée à la guitare comme une sorte d’harmonie à trois voix, avec Ollie et Holly [Whitaker, ndlr] et c’était bien la première fois que je réussissais un tel mariage vocal. Je préfère les chœurs à une voix isolée, et je trouve ma voix plus précise dans ce genre de configuration. En reprenant une vieille démo à la guitare récemment, j’ai constaté que ma voix avait beaucoup changé. Chanter en groupe, dans des clubs folk avec des groupes de folk, m’a fait découvrir que j’aimais la projeter davantage. Même si, à dire vrai, j’ai toujours chanté sur un fil. Il y a des gens qui peuvent chanter sans jamais que leur voix ne se dérègle ou ne se craque. Ils n’ont pas d’accidents. Moi, ça n’est pas mon cas. Ou alors ça me demande de l’entraînement, un échauffement, une certaine somme de travail préparatoire et un bon ancrage. J’aime ma voix, ou plutôt j’ai appris à l’aimer malgré ou avec ses imperfections. C’est difficile de ne pas se comparer dans ce métier…
Comment as-tu expérimenté avec ta voix ces dernières années ?
En la poussant toujours un peu plus loin. En faisant des concerts notamment. Quand je suis entrée en studio pour enregistrer cet album, j’avais nettement plus confiance en ma voix que pour le précédent, disons à soixante-quinze pour cent. Quand j’ai enregistré mon premier disque, j’avais le cœur brisé, et je n’étais pas vraiment capable de m’ouvrir vocalement. Même si ça m’a permis de toucher plus de gens, je dirais que c’est quand même plus facile et plus fluide pour moi aujourd’hui. M’échauffer régulièrement m’a aussi permis de déverrouiller ma voix à différents endroits que je ne soupçonnais pas. J’ai trouvé le bon préchauffage (rires). Ça me fait me sentir beaucoup plus libre. Je peux atteindre certaines notes sans pression, et les concerts n’en sont que meilleurs, parce que j’arrive à interpréter les chansons de façon plus honnête, l’anxiété et/ou la nervosité en moins !
Était-ce difficile de t’aventurer loin de ta zone de confort ?
Oui évidemment. Ce n’est vraiment pas facile, c’est même un peu gênant. Je crois que j’ai toujours eu tendance à retenir beaucoup, parce que si je retiens, je m’évite toute forme d’embarras. Jusqu’à ce que je réalise que ça n’avait aucun sens. Parce que la performance ne peut pas être dénuée d’un quelconque embarras, et souvent, je crois que ça touche les gens de la bonne façon, même si l’inverse est aussi possible. Disons que c’est toujours un pari que tu prends. Parce que performer, c’est s’exposer.
Quelles sont les grandes vocalistes qui t’ont inspirée ? Je suppose qu’on te parle souvent de Weyes Blood, PJ Harvey et Aldous Harding.
Oh, c’est une si bonne question. J’aime beaucoup Sibylle Baier. C’est une chanteuse allemande. Sa voix est absolument incroyable, ça semble très facile pour elle, elle chante d’une manière très détendue, comme si elle n’avait pas besoin de faire d’efforts pour aller dans n’importe quelle direction. L’écouter avant de monter sur scène m’a vraiment aidée à me détendre avec ma voix, je ne sentais plus qu’elle se serrait ou que j’avais besoin de la pousser. Parce qu’une voix sonne toujours mieux quand vous êtes détendue. Je pense aussi à Karen Dalton, évidemment. Je suis très sensible aussi aux premières chansons de Will Oldham, Bonnie Prince Billy, Palace. L’écouter chanter au gré de ces différents projets a toujours été très inspirant. Parce que c’est aussi très doux et c’est comme si ça ne lui demandait jamais trop d’efforts. Je n’écoute pas vraiment PJ Harvey, mais j’ai trouvé son dernier album, I Inside the Old Year Dying, vraiment incroyable. J’adore cet album. Je n’ai jamais écouté Weyes Blood, en revanche je suis fan d’Aldous Harding, comme beaucoup de gens (sourire).
Tout comme elles, il semble que tes mélodies de voix soient totalement improvisées. Ta voix dérive, sans que tu sembles la commander, et des mélodies s’en échappent, sans que tu aies besoin d’instruments. Mais dis-moi comment ça s’est passé réellement ?
Oui, je pense que c’est un peu comme si les mélodies vocales s’étaient formées avant la guitare d’une certaine façon. C’est un peu l’essence même des chansons. J’aime écrire en conduisant ou en marchant, les choses coulent bien mieux de ces façons-là. Je ne sais pas m’asseoir à une table avec ma guitare pour écrire. Ça ne marche jamais comme ça.
Je crois que tu as trouvé plusieurs mélodies de voix au violon. Un instrument dont tu commences seulement l’apprentissage, comment est-ce possible ?!
Oui, pendant que j’écrivais ces chansons, j’apprenais à jouer du violon. Évidemment comme je veux toujours aller trop vite, j’ai commencé à écrire mes propres parties de violon avant même de savoir en jouer. C’est un instrument tellement difficile à appréhender. Je ne suis pas tellement bonne, mais la personne qui a coarrangé l’album avec moi [Oliver Hamilton, ndlr], était aussi mon professeur de violon, il m’a appris les bases de la lecture et de l’écriture de chansons avec un instrument classique. Pour le premier album, c’était moi et Joel [Burton, ndlr], je n’avais aucune idée de comment faire ce qu’il avait fait. Et puis j’ai appris le violon et je me suis rendu compte que je pouvais écrire des chansons et des arrangements moi-même. Oui, ils sont plus basiques, parce que je ne connais que la forme la plus simple d’écriture de musique avec un instrument classique, mais ça a définitivement inspiré des mélodies auxquelles je n’aurais pas pensé autrement, ce qui était assez satisfaisant au final.
Ta voix est tellement incroyable que tu pourrais presque faire un disque a capella sans instrument. N’y as-tu jamais pensé ?
Non, ce serait chouette de le faire en live, mais un album entier, je ne sais pas… il faudrait vraiment de bonnes mélodies de voix.
Où et comment as-tu enregistré tes voix ? Il semble que ce soit un processus assez solitaire.
Nous avons enregistré les voix en studio, et certaines ont été enregistrées dans le couloir pour avoir un son un peu plus organique. J’aime mieux être seule pour enregistrer mes voix. Ce n’est pas toujours possible, mais si ça l’est, je saute sur l’occasion. Je pense que pour le prochain disque, j’aimerais faire autant de choses que possible par moi-même.
PJ Harvey a déjà enregistré ses voix sous une couverture…
C’est une bonne idée de le faire sous une couverture. Ça doit être tellement agréable ! Parce qu’il y a quelque chose de l’ordre de «la mettre à l’abri». Et, c’est marrant, mais quand j’adopte une mauvaise posture [assise en tailleur, elle colle son ventre contre ses genoux, ndlr], je trouve que ça aide à faire sortir ma voix d’une manière beaucoup plus libre (rires).
Ta voix résonne comme une incantation ou comme une prière. Qu’est-ce que le mysticisme pour toi, et est-il important dans ton art ?
Oh, c’est intéressant, je n’ai jamais pensé que cela pouvait être interprété de cette façon-là. Je suis originaire du Brésil, dans un pays où il y a plein d’églises différentes. Ma famille est catholique, mais pas pratiquante. Il y a plusieurs croyances religieuses représentées au Brésil, comme certaines religions d’Afrique de l’Ouest, de la macumba à l’umbanda, en passant par le spiritisme. Bien que je sois très curieuse, je suis assez prudente et je n’ai jamais vraiment été impliquée dans ce genre de cultes, que je trouve néanmoins très intéressants, intrigants. En revanche, le mysticisme est resté très présent dans ma vie grâce à ma mère qui est très spirituelle. Quand nous sommes arrivées en Angleterre, considéré comme un pays laïc, elle m’a encouragée à embrasser cette culture-là. Je prie, je ne prie pas un Dieu en particulier, mais je prie quand même. Et c’est une bonne chose que tu dises ça à propos des chansons. Je n’y avais jamais pensé en ces termes, mais je suis contente que tu le ressentes ainsi.
Travailler en solo, est-ce spirituellement différent que de travailler en groupe ?
C’est intéressant. C’est bizarre parce que… C’est tellement important d’être bien entourée. Mais parmi les moments qui sont peut-être les plus cruciaux ou les plus importants que j’ai connus, j’étais souvent seule. Je vais utiliser une métaphore un peu ringarde. Quand vous partez en randonnée, ça fait une énorme différence que vous soyez en groupe ou seule avec vous-même. C’est agréable de le faire en groupe, mais cela n’aide pas toujours à trouver ce dont on a vraiment besoin, tu vois ? Et ça ne veut pas dire que ça ne sert à rien de le faire avec des gens, c’est juste un équilibre à trouver même si je pense qu’il y a des choses qui sont mieux à faire seul : écrire de la musique, ça en fait partie.
Ton dossier de presse indique que tu as écrit les chansons du disque dans des espaces safe, pendant que tu étais en tournée, en randonnée ou en vacances en Grèce…
La randonnée, ça peut paraître amusant dit comme ça, mais c’est en fait très difficile. En particulier quand tu es seule. Ça peut être vraiment effrayant à certains moments. Je pars généralement pendant plusieurs jours, je n’ai nulle part où dormir, je sais que je vais devoir dormir dehors… c’est vraiment l’idéal pour écrire des chansons.
Je pars généralement en randonnée pendant plusieurs jours. C’est très difficile. Je n’ai nulle part où dormir, je sais que je vais devoir dormir dehors… c’est vraiment l’idéal pour écrire des chansons.
Naima Bock
Quelles sont les conditions que tu dois réunir pour écrire ?
J’essaie de garder mon esprit et mon cœur ouverts. Là, ça fait un moment que je n’ai rien écrit. Quelques mois, peut-être trois. Alors qu’habituellement, je peux être extrêmement prolifique en l’espace d’un mois ou deux. C’est par épisodes, c’est vraiment très bizarre. Je ne me force pas non plus à écrire, parce que ça ne doit pas dépendre d’une quelconque injonction, mais généralement, je me rends bien compte que je n’y arrive plus parce que mon esprit est ailleurs, parce que je suis trop tendue – c’est un super bon baromètre qui me permet de mesurer mon degré de contentement (rires). Ça ne veut pas dire qu’il faut que je sois complètement heureuse pour écrire, mais je sais que quelque chose ne va pas, que je suis stressée, si je n’écris pas. En revanche, dès que je commence à jouer de la guitare, ça peut m’aider à dénouer certaines choses, c’est inscrit dans la mémoire du corps, il y a cet élan créatif qui sommeille et se manifeste quand je joue de la musique, quand je vais à l’église ou à un concert. En ce moment, je suis aux États-Unis. Et même si je suis habituée à voyager, ce pays me rend vraiment très stressée. C’est un tel choc culturel d’une certaine façon. Même si la culture n’est pas si différente de la nôtre, il y a quelque chose de beaucoup plus abstrait. Et puis il y a la distance ! Sans compter qu’ils sont en pleine période d’élections.
Tes chansons sont comme des baumes, pour te protéger du poids des remords, de la perte et du deuil, du mal du pays, du vieillissement et du temps qui passe, des relations et des ruptures amoureuses.
Oui, c’est juste une façon pour moi de gérer les choses difficiles de la vie. J’écris souvent aux deux extrêmes, pendant les moments très difficiles ou très très bons. Pour cet album, dont l’écriture s’est étalée sur deux ans, il y en a eu beaucoup ! J’ai connu une rupture, et c’était vraiment le plus dur à vivre. Ils ne sont jamais très amusants ces moments, et en même temps, c’est un super terreau pour l’écriture de chansons. L’autre jour, j’étais dans ma voiture, j’écoutais la radio et j’étais hallucinée par le nombre de morceaux qui traitent de ce sujet-là. C’est tellement ringard, et en même temps tellement mignon. Nous les humains, on a tant besoin d’être aimé. Tu peux l’observer de manière extrêmement cynique ou alors d’une manière plus spirituelle et/ou mystique. Notre inclination à la procréation est vraiment trop forte (rires). Et en même temps, je trouve ça trop beau de savoir qu’on cherche tous une forme d’union. C’est tellement fort d’être amoureux de quelqu’un. Il y a plein de formes d’amour, comme l’amitié ou l’amour filial, mais l’amour romantique, c’est plus fort que tout, et ça nous touche d’une façon très particulière. Ça nous oblige à avoir le cœur ouvert et c’est aussi risquer d’avoir le cœur brisé. Tu sais que tu y survivras, mais sur le moment, tu penses que tu ne pourras jamais y arriver. Je ne suis pas très bonne conseillère pour moi-même. Même les choses les plus basiques, comme prendre une douche ou me brosser les dents, deviennent insurmontables. Alors savoir que quelqu’un traverse la même expérience en chanson, c’est essentiel pour me sentir mieux.
Cela m’a fait penser à une artiste française, La Chica, très inspirée par la psycho magie de Jodorowsky. J’avais la même intuition à ton égard et vis-à-vis de ton art.
C’est drôle que tu mentionnes Jodorowsky. J’y ai pensé en écrivant plusieurs chansons, notamment Sweet Body et Someday. J’ai dû regarder son film Endless Poetry, le second volet d’un triptyque, au moins huit fois en l’espace d’un mois. J’essayais de comprendre pourquoi j’y revenais encore et encore. Ça m’a rendue folle. Il y a quelque chose dans ce film que je devais comprendre. Et plus je le regardais, plus la réponse m’échappait. J’imagine que ce n’était pas si important. Je crois que j’y ai gagné quelque chose. Ça a convoqué le souvenir dont je te parlais tout à l’heure, garder l’esprit et le cœur ouvert, ça m’a définitivement apporté ça. Ses films sont des classiques, je les trouve vraiment incroyables, parce qu’ils viennent tous d’un endroit très sincère. J’aime la façon dont son vieux moi vient embrasser son jeune moi, c’est tellement beau.
Avais-tu une idée précise de la façon dont ce disque allait sonner ?
Oui, je pense que je voulais que ce soit assez simple, et comme souvent, plus ça se construit, plus il y a d’instruments et de voix. Mais je voulais que chaque son ressorte très clairement, je ne voulais pas trop de réverb ou d’écho, rien de ce genre. Je voulais un son très naturel, organique. C’est tout. Pour être honnête, j’avais en exemple le dernier album d’Aldous Harding, Warm Chris. C’est drôle parce que j’en ai parlé à mon père et il a dit que c’était tout le contraire, qu’il avait l’air surproduit (rires).
Pourtant les arrangements ne prennent jamais le pas sur ta voix, c’était délibéré ?
Je voulais avoir de l’espace dans les chansons. S’il s’agit d’une chanson calme, je voulais qu’elle le reste, plutôt que de satisfaire une envie de la rendre plus divertissante. Ça peut vous traverser l’esprit mais vous devez vous rappeler que ce n’est pas ce que la chanson exige.
Plus de trente musiciens ont collaboré à l’enregistrement de ton premier disque ; et malgré le nombre conséquent de personnes présentes sur celui-ci, c’est très épuré, minimaliste, intime.
Sur cet album, on est vingt-huit, quelque chose comme ça, dont dix personnes qui composent le chœur. J’ai essayé de préserver l’intimité des démos qui sont nées quand j’étais toute seule. Et puis tout ce que les musiciens ont ajouté, les arrangements, etc., ont été faits avec suffisamment de considération pour les morceaux, sans aucune forme d’ego, excepté le mien (rires). Je pense que je voulais probablement revenir à la façon dont j’ai commencé à écrire des chansons. C’était très minimal. Au début, j’écrivais à la basse et aux percussions, c’était vraiment très amusant. Le fait de choisir moins d’instruments m’a donné plus d’espace pour essayer des choses différentes parce que nous n’avions pas un calendrier aussi serré que pour le premier disque. Avoir une demi-journée entière où tu peux essayer des choses, plutôt que de courir après le temps, faire en sorte que tout le monde arrive à l’heure et s’assurer que tout fonctionne, c’était agréable. L’aspect logistique, tu n’y coupes pas ; c’est la partie la moins romantique du métier mais elle est nécessaire, surtout pour quelqu’un comme moi d’assez désinvolte (rires). C’est comme pour un peintre qui ne pourrait pas négliger sa toile.
Quelle est la chanson du disque que tu préfères chanter ?
Je dirais Takes One. C’est la première chanson que j’ai écrite pour ce disque. Il y a de la colère dans les paroles. Et aussi, évidemment, de la tristesse. Elles sont toutes un peu tristes. Mais ensuite, je pense qu’il y a un genre de mantra que j’aime me répéter, comme tu l’as dit, une sorte d’incantation : il s’agit d’accepter la réalité de la situation, de mettre un genou à terre, et c’est difficile, mais nécessaire. Et puis, à la fin de cette chanson, c’est un peu ma version de la dépression : c’est une évidence, je ne peux pas me lever, je ne peux que m’allonger. Mais c’était une émotion tellement forte pour moi à ce moment-là : comme si tu avais les poches remplies de pierres énormes. J’ai envie de le chanter haut et fort.