Geordie Greep (à droite) – © Yis Kid
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Geordie Greep (à droite) – © Yis Kid

Geordie Greep : «”Holy, Holy” m’a été inspirée par Andrew Tate»

Le deuil des fans de black midi n’aura pas duré très longtemps. Geordie Greep est – déjà – de retour avec "The New Sound", premier album en solitaire qui dissèque la masculinité toxique et la fragilité de l’homme moderne derrière des influences latino-caribéennes. Extraits d'une rencontre lors de son récent passage promo à Paris.

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Magic : La première lecture du titre du disque, The New Sound, est très directe. Black midi n’est plus, tu es seul aux manettes à présent, tu ramènes donc un nouveau son à tes fans, le «nouveau son de Geordie Greep». Passée cette évidence, j’y vois aussi une tentative de véritablement apporter un nouveau son dans la scène crank wave actuelle dont black midi faisait partie, avec ces influences cubaines et brésiliennes qui parsèment le disque…

Geordie Greep : J’ai toujours apprécié les musiques brésiliennes, cubaines et latino-américaines en général. La bossa nova, la cumbia, le tango… Comme beaucoup de gens, d’ailleurs, car c’est bien une preuve que la musique transcende les frontières, les langages et les esprits. Mais je me suis toujours demandé pourquoi, au Royaume-Uni, on ne s’en inspirait pas plus dans les sphères où l’on gravite. Par exemple, tu vas avoir une interview d’un groupe de punk, qui va faire du punk un peu classique, un peu naïf, et les musiciens vont te dire «en vérité, on écoute peu de punk, on est surtout branchés folk anatolienne, IDM russe, musique néoclassique, pop du Henan…». Et ça arrive souvent. À chaque fois que je vois ce genre de citation, je me pose la même question : «mais si vous aimez ce genre de musique, pourquoi vous n’en faites pas vous même, ou au moins vous en inspirer pour proposer quelque chose de neuf ? Est-ce que vous aimez au moins la musique que vous faites ?». Il me parait normal, parce que la moitié de mon temps d’écoute est dédié à la musique latino-caribéenne, d’en faire une influence principale sur The New Sound

Oui, tu as même enregistré avec des musiciens rencontrés pendant un périple au Brésil ? 

Oui, exactement. Pourquoi être aussi timide avec ses goûts musicaux ? Est-ce que c’est de la pression de groupe, avec la peur de perdre «des parts de marché» si tu t’éloignes du son en vogue ? Est-ce que tu n’as pas suffisamment confiance en toi ? Je veux dire, il est difficile, aujourd’hui, de vivre du rock indé, alors quitte à en faire, autant t’amuser ? Et même les groupes établis ont parfois peur de décevoir leur public en s’ouvrant à de nouvelles sonorités. Mais la musique échappe, doit échapper tout du moins, à toute obligation. Même s’il était évident que The New Sound allait tirer certains ponts depuis mon travail dans black midi, je ne voulais pas en faire une simple redite. 

Dans Blues, tu chantes “You can speak English better than anyone / And you can cursе like no one evеr has done / And you have a bigger dick than any man who’s ever lived / And you can cum more than a hundred stallions / In a room that smells of cigarettes and carrion” («Tu peux parler anglais mieux que quiconque / Et tu peux maudire comme personne ne l’a jamais fait / Et tu as une plus grosse bite que n’importe quel homme qui ait jamais vécu / Et tu peux jouir plus que cent étalons / Dans une pièce qui sent la cigarette et la charogne»). Je ne peux m’empêcher, en lisant ça, de penser à Andrew Tate [ancien kickboxeur et influenceur anti-féministe controversé, mêlé à des affaires judiciaires pour traite d’êtres humains et viol et arrêté en 2022 en Roumanie, ndlr], qui représente pour moi ce que la masculinité toxique a de plus détestable. La critique d’une radicalisation machiste des hommes en réaction au féminisme est un sous-texte assez prégnant dans le disque, je me trompe ? 

Absolument. Tu vois, dans les dix dernières années, à chaque fois qu’éclate une affaire d’agression sexuelle ou pire, tous les groupes à majorité masculine se pressent au portillon pour faire des publications à connotation féministe sur Instagram, mais sans que ça n’ait jamais vraiment un impact sur eux ou sur leur art. Et je ne vais pas dire que c’est nul, au contraire c’est très important, mais il y a un côté très démonstratif pour se donner une image “safe”. Et puis, parallèlement à ça, il y a effectivement des personnages comme Andrew Tate qui sont totalement de l’autre côté de cet engagement, et qui poussent les hommes à être encore plus sexistes et dégradants avec les femmes. Comme tous ces influenceurs qui vont par exemple «t’entraîner» à ne plus exprimer tes émotions parce que ce serait être une fillette ou, pire à leurs yeux d’hommes qui prétendent sauver «la famille traditionnelle», un homosexuel. Je trouve ça tragique, et je voulais vraiment en parler d’une façon mordante, toujours sur le fil du rasoir, dans des morceaux à personnages. Tu parles de Blues, mais une ligne de Holy, Holy me vient directement d’Andrew Tate. C’est quand je chante “All the Jihadis too!”. Andrew Tate était souvent très fier de raconter qu’il recevait des messages de l’ISIS lui disant que les djihadistes adoraient ses vidéos et ses positions sur les femmes. ISIS, quoi. Les putains d’ISIS.

Oui, il avait même lancé que les djihadistes étaient les «derniers vrais musulmans»…

Et pour être honnête, je pense que certains de ces influenceurs qui te vendent des formations pour devenir un «vrai mec» qui mange de la viande crue, investit dans la crypto, a des relations sexuelles avec des filles vierges et se muscle en préparation de leurs combats à venir, ne croient pas vraiment à leur propre discours. Mais leur cible principale, les jeunes hommes n’ayant jamais vraiment eu de succès avec les filles pour x ou y raison et qui cherchent à ce qu’on les dédouane entièrement de ces échecs, vont finir par, eux, y croire. 

En France on a Thaïs d’Escufon, militante d’extrême-droite qui prétend être la femme la plus anti-féministe de France et qui raconte que le consentement est un mythe et que le «non» n’est rien de plus qu’un «oui» qui ne s’assume pas… Comment est-ce qu’on évite de voir davantage de jeunes hommes tomber dans cette “red pill” ? [concept issu du film Matrix, repris par des communautés en ligne pour désigner un éveil à des vérités supposées sur la société, souvent lié à des idées controversées sur les relations de genre et la dynamique de pouvoir, ndlr] Est-ce que la musique aurait un rôle à jouer pour «contre-éduquer» les jeunes qui suivent ces théories ? 

Je ne sais pas si mettre plus de valeurs moralistes dans la musique ou dans l’art en général va vraiment changer les choses – certains vont au contraire davantage s’insurger, en considérant qu’on les corrompt. Je préfère plutôt «informer», d’une certaine manière, mon public, et laisser les auditeurs se faire leur propre avis. Une de mes “hippie thougts”, c’est que chaque pensée politique obéit à un cycle, et une fois que les gens se sont lassé de ce cycle, ils font l’inverse pendant dix-quinze ans. Un pays va vraiment être de gauche pour quinze ans, vraiment être de droite pour quinze ans, et ainsi de suite. Et à mes yeux, les idées et les mouvements sociétaux fonctionnent de la même façon. Mais certaines choses nées de ces cycles finissent par se normaliser, quand les autres, celles qui n’ont pas convaincu, sont laissées sur le carreau. Au final, une sélection naturelle s‘opère et les choses deviennent un peu moins merdiques au fur et à mesure. Enfin, je l’espère. 

Je ne sais pas si tu as déjà joué à la série de jeux vidéo Fallout, mais j’ai toujours trouvé, que l’on parle de black midi ou de ton aventure en solo, que ta musique aurait très bien pu figurer dans les nombreuses radios du jeu…

J’ai toujours adoré les ambiances, musicales mais pas seulement, des années 1940, ainsi que le post-apocalyptique, donc je comprends totalement ce que tu veux dire. C’est un chouette compliment.