Depuis une vingtaine d’années, Yann Tambour trace un sillon musical unique avec Stranded Horse. Un projet né de sa découverte de la kora lors du festival de Coutances Jazz sous les Pommiers, en 2003. Sur son cinquième album, "The Warmth You Deserve", il retrouve l’épure de ses débuts en compagnie de Boubacar Cissokho, avec qui il joue depuis douze ans. De la guitare, de la kora et une voix, il en faut peu pour être heureux. Yann Tambour nous raconte sa recette d’une certaine idée du bonheur musical.
Comment s’est passé l’enregistrement de ce cinquième album, The Warmth You Deserve ?
Tout a été enregistré à l’ancienne, sur bandes, à Cherbourg, au studio Chaudelande avec l’ingénieur du son Manu Laffeach. Il est très pointu là-dessus, il a fait des stages avec Steve Albini, et il a le matériel idéal pour ça. On a tout fait dans les conditions du live – une prise, deux prises, voire trois maximum – en deux jours avec Boubacar Cissokho. En fait, on a voulu garder ce qui fait la particularité de nos concerts. Se suivre à la note près, se faire des surprises, se chercher… On se connaît très bien musicalement. Ça fait douze ans que l’on joue ensemble et nous nous sommes aperçus que nous n’avions rien enregistré qui mettait en lumière ce duo.
L’album est d’ailleurs signé Stranded Horse avec Boubacar Cissokho…
Parce qu’il a apporté une part primordiale à ce disque. Il emmène mes morceaux ailleurs. J’ai une manière de composer qui est très cyclique. La musique répétitive m’a beaucoup marqué. Boubacar, de par son héritage mandingue, amène un mouvement perpétuel à mes cycles. Il casse mes répétitions et fait serpenter le morceau ailleurs. On a fait énormément de concerts en duo, on a une connivence de jeu. L’année dernière, on a fait une tournée sans sortir d’album, et on s’est dit qu’il fallait suivre ce chemin-là.
Les instrumentations sont minimalistes : kora, guitare, voix…
On a retrouvé l’épure des deux premiers albums. Mais c’est une esthétique qui s’est imposée d’elle-même. Cela faisait des années que nous faisions cela en concert, mais cela n’existait pas sur disque.
Il y a un seul titre en français sur ce disque. Pourquoi ?
Je ne me pose pas la question comme ça. Je constate plus la différence que je ne la pense. Je pourrais faire un album complètement en français sans m’en rendre compte. Sur cet album, je voulais revenir vraiment aux racines du folk britannique, le style dans lequel j’avais démarré Stranded Horse, et c’est une esthétique qui se prête plutôt à l’anglais.
On entend d’ailleurs dans votre album des réminiscences de Nick Drake…
C’est quasiment un des premiers artistes qui m’a accroché à une musique disons différente. Quand j’avais 14 ans, ça a été une étape importante. J’étais un guitariste classique à la base, j’avais un jeu en fingerpicking assez développé et j’ai trouvé plus intéressant de me pencher sur le répertoire de Nick Drake à l’époque plutôt que de faire des reprises de Jean-Jacques Goldman en picking.
Vous avez toujours joué sur une guitare classique ?
Toujours. Je préfère les cordes en nylon. Précisément, cela se marie mieux avec la kora qui a elle aussi des cordes en nylon. J’ai plus l’approche d’un guitariste qui greffe son jeu à la kora. J’ai un rapport très intime avec cet instrument, mais je ne veux pas en jouer de manière traditionnelle, je ne sais pas le faire d’ailleurs. Quand on se frotte à un répertoire traditionnel, on ne peut pas de toute façon arriver à la hauteur de quelqu’un qui baigne dedans depuis longtemps. Boubacar a réussi à jouer de la kora pratiquement dès qu’il l’a eue entre les mains. Il a vu son père jouer de la kora, il y a un travail d’imprégnation qui ne peut pas avoir d’équivalent.
Comment la kora est-elle entrée dans votre musique et dans votre vie ?
C’était en 2003, lors d’une édition du festival Jazz sous les Pommiers à Coutances. Un concert du Moriba Koita Quartet. La musique mandingue m’a happé tout de suite. Il y avait quelque chose de triste mais doux, un peu comme avec la bossa. Une nostalgie mélancolique, légère et salvatrice. Cela a représenté une charnière. Avant, avec mon projet précédent, Encre, j’allais chercher musicalement ce qu’il y avait de plus sombre dans l’humain. Et la musique mandingue m’a donné envie d’aller vers plus de lumière. En regardant ce concert, je me suis rendu compte que ce qui me plaisait le plus émanait de la kora. Cet instrument a changé mon comportement. Faire des concerts avec une kora, créer cette atmosphère particulière, ça m’a profondément changé.
Mais comment avez-vous commencé à en jouer ? Avez-vous pris des cours ?
Non, j’ai appris en autodidacte. J’en ai même construit moi-même en regardant des vidéos sur internet. Ce n’est qu’après avoir sorti un premier disque avec cet instrument que j’ai rencontré des joueurs traditionnels, notamment Ballaké Cissokho avec qui j’ai tourné en duo. Je devais ensuite partir en résidence au Mali mais les événements ont éclaté, et ça a fini au Sénégal où j’ai rencontré Boubacar. Avec lui, ça a collé tout de suite.
Vous avez toujours été plus nomade. Mais depuis dix ans, vous avez décidé de revenir vivre dans votre Normandie natale. Qu’est-ce qui vous a décidé à ce retour aux sources ?
Je voyage toujours, mais c’est vrai, cela fait dix ans que j’habite à Granville. Pendant longtemps, j’ai eu du mal à rester deux années de suite au même endroit. Je pense que j’ai beaucoup tourné autour du pot, mais même si j’avais envie de vivre différemment, je me suis rendu compte que j’étais très attaché à l’endroit où j’ai grandi, entre Coutances et Coutainville, sur la baie de la Sienne. J’ai grandi en regardant la mer depuis que j’ai 2 ans. Sous ma fenêtre, je voyais la mer qui montait et qui descendait. Je sens que j’ai besoin de cette proximité. Et ce mouvement perpétuel a inconsciemment nourri ma musique.
Le disque s’achève sur un titre en créole…
Oui, une reprise du chanteur réunionnais Maxime Laope. Il y a trois-quatre ans, j’ai tourné avec un groupe de maloya et on a enregistré un album qui est dans les tiroirs. Ça fait partie de ces projets qui ont souffert du Covid.
Pourquoi ce titre, The Warmth You Deserve ?
On a tous remarqué que l’on vit une période de tumultes. On a du mal à trouver des raisons d’être optimistes. On vit dans un monde très violent avec l’impression de se faire valdinguer dans tous les sens. Et dans tout ce chaos, j’estime que l’on mérite un peu de chaleur et de réconfort, tout simplement. C’est ce que j’essaie de procurer très simplement avec ma musique.
Il y a aussi, je trouve, une dimension cinématographique à ce disque…
C’est possible. C’est quelque chose que je voudrais vraiment développer, ce rapport entre la musique et l’image. J’avais fait d’ailleurs, il y a quelques années, la musique des Mauvais Garçons, qui avait gagné le César du court-métrage en 2020. J’aime vraiment faire ça, c’est une direction vers laquelle je voudrais aller, en dehors des tournées et des sorties d’albums.