The Cure
Polydor / Universal

“Après the Cure, le silence” : la chronique (favorable) de Songs of a Lost World par Philippe Mathé

Notre chroniqueur Philippe Mathé ne s'attendait pas à ce que The Cure puisse livrer, in fine, un aussi bon nouvel album.

THE CURE
Songs of a Lost World
(UNIVERSAL / POLYDOR RECORDS) – 01/11/2024
POUR

Qui se souvient du dernier album de Cure ? 4:13 Dream, sorti il y a seize ans, n’a pas laissé, c’est peu de le dire, un souvenir impérissable. À tel point qu’en fait, personne, hormis les fans, n’attendait grand-chose du groupe de Robert Smith. Qui se souvient du dernier bon album de Cure ? Disintegration (1989) pour certains, Wish (1992) pour d’autres. Les plus tolérants (mordus ?) évoqueront peut-être Bloodflowers (2000). Au moins vingt ans, une éternité.

Mais Robert Smith a bien compris qu’il ne l’avait plus, l’éternité, pour nous offrir de nouvelles chansons qui tiennent vraiment la route. Certaines de Songs of a Lost World ont ainsi éclos sur scène, lors de la dernière tournée mondiale de The Cure. Le leader et seul maître à bord a décidé de prendre son temps avant de les publier. Elles sont finalement sorties un jour de Toussaint, avec une pochette digne d’une pierre tombale. Cela tombe sous le sens tant la plupart des titres évoquent la disparition, la finitude, le deuil. 

The Cure, Songs of a lost  World

The Cure a toujours aimé les ambiances morbides et les danses macabres. Mais ce n’est pas la même rengaine de le faire à 30 ans et à plus de 60 ans. Robert Smith peut continuer à se maquiller, la réalité offre, elle, un visage blafard. Alone, le premier single prometteur, avait donné la couleur : noire. Elle ouvre magnifiquement l’album avant que le groupe se prenne les pieds dans le tapis sur un And Nothing Is Forever boursouflé et dégoulinant.

C’est la seule faute de goût de ce disque envoûtant d’où ressortent deux chansons vraiment pop, A Fragile Thing et son refrain presque dansant, et le neworderesque All I Ever Am, seules éclaircies dans la grisaille. Plus expérimentales, portées par des guitares déstructurées et une rythmique martiale, Warsong et Drone:Nodrone lorgnent légèrement les musiques industrielles et électroniques, créant un maelström musical d’où émerge et semble se débattre la voix intacte de Robert Smith, incarnation de la mélancolie romantique. 

Plus émouvante, I Can Never Say Goodbye – notes de pianos, bruit d’orages et de pluie – évoque la mort subite de Richard, le frère aîné de Robert. Avec ces paroles entêtantes qui évoquent un vers de MacBeth : “Something wicked this way comes to steal away my brother’s life”. («Quelque chose de mauvais vient voler la vie de mon frère»). Comment rester de marbre ? Tout au long de ce disque, Robert Smith se livre comme jamais.

Mais l’essentiel de ce disque se niche en son début (Alone) et dans sa fin, ce monumental Endsong et ses dix minutes poignantes, bouleversantes, renversantes. Songs of a Lost World avait débuté dans la solitude, il se finit dans le néant. Une fois la chanson terminée, il ne reste rien, ce “nothing” qui résonne autant comme une acceptation que comme une crainte. Robert Smith assure avoir deux autres disques de The Cure dans ses cartons. Sans attendre, il vient pourtant de livrer ici un parfait épitaphe. Après lui, le silence. Philippe Mathé ••••• •

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